Nominations. Ça traîne en longueur

L’opposition reproche au gouvernement de tarder à nommer 
les hauts fonctionnaires qui relèvent de sa compétence. 
Au cœur de la polémique, des accusations de népotisme.

Le Conseil de gouvernement prend son temps pour redistribuer les rôles à la tête de l’administration publique. Depuis la promulgation de la loi organique n°02-12 relative à la nomination aux fonctions supérieures, en août 2012, il a procédé à 350 nominations sur les 1181 qui relèvent de sa compétence, selon les statistiques officielles du ministère chargé de la Fonction publique. Dans le lot, on retrouve 14 secrétaires généraux de différents départements ministériels, 12 inspecteurs généraux ainsi que 90 directeurs centraux. L’enseignement supérieur se taille une belle part avec la nomination de 3 recteurs d’université et 37 doyens de faculté. Mais au-delà des chiffres, les nominations aux postes à responsabilité nourrissent toujours la polémique entre le PJD et ses détracteurs, l’Istiqlal en tête. 

Lourdeur des procédures

Mais pourquoi ce maigre bilan ? Une source au ministère chargé de la Fonction publique explique que « la longue procédure de sélection y est pour beaucoup, à commencer par la publication des appels à candidature jusqu’à la sélection en commission et la validation finale en Conseil de gouvernement ». Il est même arrivé que certains départements ministériels recommencent la procédure à zéro faute de profils correspondant parfaitement au poste. « En plus, ajoute notre source, rien n’oblige le gouvernement à renouveler la totalité des responsables. Les lois sont claires là-dessus ». La loi n°02-12 stipule en effet que les responsables sont nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Sur les 1181 postes à pourvoir, tous ne sont donc pas vacants. Il n’en reste pas moins que 350 nominations en l’espace d’un an et demi, c’est peu.

« La lourdeur de la procédure n’explique pas tout. Certains ministres ralentissent la machine en établissant des critères sur mesure pour donner le poste à un proche. Cette pratique a été relevée chez quelques ministres PJD », accuse un député de l’Istiqlal. « Je défie quiconque de fournir la moindre preuve que nos ministres ont favorisé quelque proche », réagit Abdelaziz Aftati, député et président de la commission d’éthique du PJD, qui enchérit : « Certains partis, qui ont longtemps monopolisé les postes à responsabilité, sont ulcérés de voir des fils du petit peuple gravir les échelons ». Une autre procédure, qui n’est pas prévue par la loi, peut déboucher sur des retards de plusieurs mois : il s’agit des enquêtes menées par les autorités au sujet de tout candidat aux fonctions supérieures. Et c’est ce qu’a ouvertement admis le ministre de l’Enseignement supérieur, Lahcen Daoudi, il y a quelques mois au parlement, quand il a été interrogé sur la longue vacance de postes à responsabilité au sein des universités.

Le Palais garde la main

Les nominations décidées en Conseil des ministres, elles, passent comme une lettre à la poste et le Palais continue à placer ses hommes aux postes clés du pays. En mars 2012, Mohammed VI a nommé un total de 17 ambassadeurs. Deux mois plus tard, il récidivait avec la nomination d’une trentaine de walis et de gouverneurs. La promulgation de la loi 02-12, qui prévoit désormais de passer par le Conseil des ministres, n’a guère modifié les choses. En janvier 2014, le roi a encore désigné plus de 40 walis et gouverneurs, cette fois en Conseil des ministres et sans qu’aucun nom proposé ne suscite la moindre remarque ou opposition. L’un des exemples les plus emblématiques de l’hégémonie du Palais est la nomination de Fadel Benyaich, ancien chargé de mission au cabinet royal, au poste d’ambassadeur à Madrid. Son nom circulait dès septembre 2013 pour succéder au Sahraoui Ahmed Ould Souilem. Ce n’est que le 11 février 2014 qu’il sera officiellement nommé. Le lendemain, il est convoqué au Palais pour recevoir ses lettres de créances. Là aussi, silence radio de la part des partis de la majorité et de l’opposition. « Même lors de la révision de la Constitution, aucun parti n’a contesté le domaine réservé au roi », nous déclare Mustapha El Khalfi, porte-parole du gouvernement.

Abdelilah Benkirane, qui a été accusé d’avoir délaissé ses prérogatives constitutionnelles au profit du Palais, a vu son intervention dans la nomination aux postes de responsabilité se réduire davantage. A l’occasion de l’amendement de la loi 02-12, début février, quatre organismes et établissements ont été ajoutés à la liste des nominations qui relèvent du Conseil des ministres.   

Les femmes attendront

Le gouvernement Benkirane a toujours été accusé de marginaliser les femmes. Le bilan des nominations aux postes à responsabilité accable l’Exécutif. Sur 350 postes, 42 ont été confiés à des femmes, soit seulement 12%. Il s’agit notamment de 3 secrétaires générales de ministères, 13 directrices centrales, une seule inspectrice générale et deux doyennes de faculté. « 12%, ce n’est même pas le fameux tiers qui pourrait nous mener vers la parité. Cela nous éloigne encore du principe à compétences égales, chances égales. Et qu’on ne nous dise pas qu’il n’y a pas de compétences féminines dans tous les départements capables d’assumer des responsabilités », commente Fatiha Layadi, députée PAM. « Ce gouvernement a dévoilé ses réelles intentions à l’égard des femmes dès la nomination de la première équipe avec une seule femme ministre, accuse un député de l’opposition. Et même quand il a essayé de rattraper le coup, il l’a fait de manière très gauche en nommant des femmes ministres à la tête de départements quasi insignifiants. »

Faisant feu de tout bois, l’opposition a élargi la polémique sur les nominations au recrutement des membres des cabinets ministériels. Hamid Chabat, dans une récente interview à l’agence d’information allemande DAPD, a accusé le gouvernement d’avoir fait appel à pas moins de 655 nouvelles recrues sans respecter les critères de compétence. Le secrétaire général de l’Istiqlal accuse surtout le PJD d’avoir inondé les cabinets de ses ministres de militants du parti et du Mouvement unicité et réforme (MUR). Réponse de Abdelaziz Aftati : « C’est une accusation sans fondement, et pour le prouver je mène moi-même une enquête sur le sujet auprès des ministres de mon parti ».

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