Toute la métropole ne parle que de criminalité en hausse. Le phénomène du « Tcharmil » a ajouté à la panique des Casablancais, poussant la police à multiplier les opérations coup de poing pour les rassurer.
Il est 10 heures ce mardi 1er avril à la préfecture de police de Casablanca. L’imposant bâtiment est en pleine effervescence : le roi est en ville pour plusieurs jours et John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain, arrive bientôt. Mais il y a surtout une partie de la population qui ne parle plus que d’insécurité. Pour rassurer les habitants, les autorités ont organisé une visite pour les médias afin de leur présenter le bilan des arrestations des derniers jours. Le tout sous la supervision d’un membre du cabinet de Bouchaïb Rmail, premier flic du royaume. Au rez-de-chaussée, une vingtaine de prévenus, dont plusieurs mineurs, sont embarqués dans un fourgon, direction le tribunal. « C’est dans la continuité de la rafle des 28 et 29 mars », explique un officier de police sur place. Cette opération coup de poing a permis l’arrestation de 691 personnes dont 554 en flagrant délit (agression et trafic de drogue). En plus de l’arrestation de 137 individus faisant l’objet de mandats d’arrêt à l’échelle nationale.
« Tcharmil », un coup de bluff ?
Au 3e étage de la préfecture de police, les responsables sécuritaires de Casablanca sont presque au complet. Et ils ont un « butin » à montrer aux médias invités : un de ces facebookers qui se revendiquent du « Tcharmil » et qui ont investi les réseaux sociaux où ils étalent leurs exploits en matière de vols et d’agressions. « C’est un des trois jeunes identifiés et arrêtés la veille au quartier Sbata », annonce un haut responsable de la police casablancaise. Les enquêteurs étalent aussi des coutelas, des survêtements, une montre et des tiges de kif. Soit les objets exposés habituellement sur les pages Facebook dédiées au « Tcharmil ». Le « Mcharmel » appréhendé, visage tourné vers un mur, livre son témoignage. Grosso modo, il affirme que ses amis et lui n’ont rien à voir avec la criminalité, qu’ils ont agi pour impressionner des gens. A commencer par les petites copines. De la « âyaka » (frime) qui va se révéler lourde de conséquences après que leurs photos ont été, à l’en croire, détournées et publiées sur d’autres pages. Dans la même journée, des éléments de la PJ vont cueillir un quatrième adepte du « Tcharmil » dans le même quartier de Sbata. A la préfecture de police, d’autres officiers ramènent trois individus arrêtés à Derb El Kabir. Ils sont accusés de fabrication de sabres destinés aux bandes criminelles. Les lames exposées, de diverses tailles, donnent froid dans le dos. « Nous avons décidé de mener une campagne contre cette catégorie d’artisans et ce sera sans merci », nous confie un haut responsable de la DGSN. Fin du coup de com’ de la police de la métropole, les micros et les caméras disparaissent. Mais reste une question lancinante : assiste-t-on à une augmentation de l’insécurité à Casablanca ?
Une situation sous contrôle
« Parler de hausse de l’insécurité à Casablanca est un peu exagéré, même s’il nous reste beaucoup d’efforts à fournir », répond un haut cadre de la DGSN. Notre interlocuteur en veut pour preuve les indicateurs, plutôt positifs, relevés à fin 2013 : la criminalité violente (vol avec violence, sous la menace d’armes…) qui a régressé de 11,22%. Alors que le nombre de personnes arrêtées, entre autres dans le cadre d’actions d’anticipation, a enregistré une hausse de 18,66%. « C’est une tendance positive que nous avons maintenue pendant les premiers mois de 2014. Le bilan que nous publierons prochainement vous l’apprendra dans le détail », promet notre interlocuteur, qui loue une série d’initiatives décidées au niveau central : le renforcement des effectifs des « Sokour » (policiers en civil motorisés), des éléments de la brigade touristique et une grande coordination entre la PJ, la DST et les RG. Mais pourquoi alors ce sentiment de peur qui s’empare des Casablancais, au point que plusieurs pétitions circulent sur les réseaux sociaux pour dénoncer l’insécurité dans la métropole ? « La médiatisation excessive des faits divers et les réseaux sociaux justement ont contribué à installer une sorte de psychose. Récemment par exemple, un meurtre à Derb Ghallef a fait la Une de tous les quotidiens de la place », répond un autre gradé de la police. Un avis que partage Mohamed El Azhar, professeur de criminologie à l’université de Mohammedia. « Il y a une sorte de consensus non écrit entre tous les types de médias pour amplifier le moindre fait divers et cela débouche sur une certaine banalisation/glorification du crime. Il n’est pas rare d’entendre un Marocain menacer son rival du jour de se retrouver sur les pages d’un journal ou dans l’émission Masrah Al Jarima (scène de crime) », analyse notre spécialiste. Et l’insécurité à Casablanca ? Bâtie beaucoup sur la rumeur. Récemment, les réseaux sociaux et certains sites d’information ont fait état d’attaques armées contre une franchise spécialisée dans la restauration fine et un salon de coiffure. La DGSN dément et menace de poursuivre les auteurs de ces rumeurs.
Un confluent des conflits culturels
Mais pourquoi tous les projecteurs sont-ils braqués sur Casablanca quand il s’agit de criminalité ? « C’est la plus importantes des villes du pays alors qu’en termes de criminalité, elle a été détrônée depuis quelques années par Meknès », répond un responsable à la DGSN. « La spécificité de Casablanca, et peut-être aussi son drame, est d’être un concentré des conflits culturels. D’abord, en raison de la migration interne et parce qu’elle a fini par devenir une vraie ville cosmopolite », analyse le criminologue Mohamed El Azhar, pour qui d’autres villes comme Tanger, voire Oujda, sont dans le même cas. « Mais Casablanca n’est heureusement pas Rio de Janeiro ou l’une des grandes villes d’Afrique du Sud », nuance notre spécialiste. Mohamed El Azhar pointe la complexité de la situation à Casablanca, due à plusieurs autres facteurs. L’un des plus significatifs, à son sens, reste la gestion des espaces. « Les Casablancais ont de plus en plus le sentiment de vivre à l’étroit. Les espaces nécessaires pour les jeunes qui veulent se défouler autrement que par la violence se rétrécissent davantage », affirme le criminologue. Faudra-t-il s’attendre alors à ce que la situation empire ? A la DGSN, on répond qu’ « aucun effort ne sera épargné pour faire de Casablanca une ville sûre». Notre source va jusqu’à affirmer que la situation dans la métropole est suivie avec beaucoup d’attention « en haut lieu ». En attendant, à Casablanca, il y a toujours des points noirs où il ne fait pas bon pointer son nez. « Ce qu’on appelle les quartiers de la ceinture nous donnent toujours des insomnies malgré les efforts engagés », avoue un responsable sécuritaire à Casablanca. A savoir Sidi Bernoussi, Douar Tkalia, Hay Mohammadi…
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