La place Mohammed V comme vous ne l’avez jamais vue !

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Il faut d’abord savoir que l’actuelle place Mohammed V a connu de nombreuses dénominations : place administrative, place de la Victoire, place du Maréchal Lyautey… Au début du protectorat, la place est un terrain militaire choisi pour sa proximité avec l’ancienne médina. Elle comptait un grand nombre de casernes. En 1915, Henri Prost met en place un plan d’urbanisme délimité par un grand boulevard semi-circulaire. La ville nouvelle se dessine alors comme une extension de la médina et du port afin d’accueillir des hôtels, de grands magasins, des banques et des services. La place administrative constitue le cœur de l’implantation du protectorat français, véritable lieu de pouvoir et de loisirs des élites politiques et militaires. C’est aussi l’articulation entre la médina et les quartiers résidentiels qui se développent vers l’est.
Le dessin de la place imaginée par Prost est confié à Joseph Marrast (1881-1971), un architecte français qui travaille sous sa direction. L’architecte est également chargé de la construction du Palais de justice sur cette même place.
Nés de la volonté de Lyautey de mettre en valeur les arts marocains tout en alliant tradition et modernité, les édifices adoptent le style néo-marocain. Cette « architecture officielle », qui se distingue par sa modernité et sa sobriété, est plus proche de l’architecture turque contemporaine que les constructions à Tunis ou à Alger à la même époque.
Dans l’ordre d’édification, on recense à partir de 1916 le consulat de France (Albert Laprade), au nord-ouest de la place, la Grande Poste (1918-1920, Adrien Laforgue) et à l’est, le Palais de justice (1922). Au nord, un théâtre provisoire construit par Delaporte reste en place une cinquantaine d’années. Plus bas, l’Hôtel de ville (actuellement Wilaya) conçu par Marius Boyer en 1936, compte une tour de 50 mètres de haut. La Banque du Maroc, construite par Edmond Brion, date de 1937.

Le consulat de France

L’hôtel de la Subdivision militaire, qui abrite actuellement le consulat de France, est le premier bâtiment construit sur la future place Mohammed V, encore occupée par les campements militaires installés depuis 1907. Le plan imaginé par Prost en 1915 articule les quartiers du port, la future place administrative et les quartiers résidentiels amorcés par le parc.
Négocier ces terrains avec l’armée sera le premier grand geste d’urbanisme qui inaugure une politique de remembrement permettant la définition des grands axes de la ville nouvelle. Laprade fait partie de l’équipe de Prost. Il implante l’hôtel en retrait et dans la parcelle en pan coupé, située entre les futurs Palais de justice et Hôtel de ville. Le bâtiment reflète la passion de Laprade pour l’architecture marocaine. Son allure de pavillon résidentiel aux couronnements de tuiles vertes illustre la volonté des services de la Résidence de rendre discrets les bâtiments à vocation militaire. Le jardin donnant sur la place abrite aujourd’hui la statue de Lyautey, déplacée du square voisin au lendemain de l’indépendance.

La Poste

Construite en même temps que l’actuel consulat de France, à l’opposé de la place, alors partiellement occupée par les campements militaires, la Poste est l’œuvre d’Adrien Laforgue (auteur également de la gare de Rabat-ville), qui prend pour modèle la Grande Poste d’Alger, réalisée quelques années auparavant. L’architecte entame un travail remarquable sur les décors de zelliges, notamment la frise verte et bleue du couronnement, sous l’auvent recouvert de tuiles vertes, ainsi que le magnifique panneau bleu et noir marquant les entrées sous le portique.

Le Palais de justice

L’édifice constitue l’élément majeur de la place qu’il limite à l’est comme un fond de scène. Il est accessible par un escalier imposant et une porte monumentale abritée par un porche de pierre sculptée, couronné d’une frise exceptionnelle de zelliges verts et bleus, l’ensemble évoquant irrésistiblement l’architecture islamique des mosquées et médersas d’Iran ou d’Ouzbékistan. De part et d’autre, une large galerie ouverte, au plafond de cèdre peint, longe les patios richement plantés et fait office de salle des pas perdus. Dans l’axe de l’entrée, la grande salle d’audience se présente entièrement lambrissée – murs et voûtes -, ce qui lui confère une atmosphère particulière. Le Palais de justice, seul bâtiment que Joseph Marrast a construit au Maroc, exprime de façon magistrale le style néo-marocain, mettant en valeur les arts traditionnels locaux. L’architecte a œuvré, au sein de l’équipe Prost, à des travaux d’ordre urbanistique. C’est à lui que l’on doit, entre autres, le dessin définitif de la place administrative.

Bank Al-Maghrib

Tout, jusqu’au plus infime détail, dans ce bâtiment à l’architecture monumentale – le dernier construit sur la place – est digne d’intérêt. Brion signe ici une œuvre considérée comme un des exemples les plus aboutis du style néo-marocain. La façade principale, classique, est ornée d’une frise immense de pierre sculptée, prolongée d’un panneau de losanges d’inspiration almohade, autour des baies de la grande salle de réunion. La richesse des décors (pierres, zelliges, ferronneries, lambris marquetés) est couplée dans sa conception à la modernité de sa fonctionnalité. C’est la première Bank Al-Maghrib que Brion construit seul, après celles de Marrakech, El Jadida, Oujda et Rabat, réalisées avec Cadet.

Wilaya du Grand Casablanca

L’ancien Hôtel de ville qui accueille la Wilaya du Grand Casablanca, est, avec Bank Al-Maghrib, le dernier bâtiment construit sur la place Mohammed V. En 1927, Boyer remporte le concours de l’Hôtel de ville, achevé en 1937. Le corps principal du bâtiment, signalé par le campanile de l’horloge, est constitué d’une colonnade, sobre et stricte, abritant l’entrée, surmontée d’un large balcon à arcades et de trois ouvertures monumentales encadrées de pierre. A l’intérieur, sur deux niveaux, une galerie entoure trois grands patios plantés, desservant les services publics. Elle est doublée, sur les façades, par une circulation ouverte, permettant la liaison directe entre les bureaux. Répondant aux codes imposés par la Résidence, Boyer mélange les styles : l’Art déco, dans le hall et le double escalier d’honneur aux paliers ornés de deux toiles de Majorelle, le néo-marocain avec les arcades, les tuiles vertes et les zelliges de la façade, les lambris des circulations, de la salle des fêtes et des colonnes des patios. Le résultat est un joyau de cette architecture néo-chérifienne caractéristique des bâtiments administratifs du Maroc sous le protectorat.

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