Gros pourvoyeurs d’emploi pour les jeunes, les centres d’appels connaissent pour la première fois la récession. Un repositionnement stratégique s’impose.
Neuf heures. Une armée de 400 TC, comprenez téléconseillers, prend d’assaut les plateaux d’un grand centre d’appels casablancais. Casques vissés sur la tête, « logués » sur le service central, ils vont passer les dix prochaines heures à recevoir ou envoyer des appels dans un brouhaha incessant de bonjours et de mercis, entre deux pauses de dix minutes et une heure pour déjeuner.
Pourvoyeur d’emploi de premier plan, l’offshoring marocain emploie actuellement plus de 70 000 jeunes qui travaillent 44 heures par semaine pour un salaire mensuel moyen de 4000 DH. La grande majorité de cette jeunesse en mal d’insertion professionnelle considère le call center comme un job temporaire : l’offshoring demeure un secteur volatile avec un turnover moyen de six mois, bien qu’il offre des passerelles d’évolution aux plus téméraires. Appel d’air pour un marché du travail déséquilibré, cette niche semble désormais arrivée à maturité.
La crise se profile
Après dix ans de croissance à deux chiffres, l’offshoring accuse, en 2013, un repli significatif. Les revenus à l’export ont reculé de 2,7% à 7,2 milliards de dirhams. Résultat, seulement 2000 emplois ont été créés en 2013, contre une moyenne annuelle de 5000 emplois nets auparavant. Youssef Chraïbi, président de l’Association marocaine de la relation clients (AMRC) et du groupe Outsourcia, explique cette performance par une baisse de régime du marché français, premier client des outsourceurs marocains, sur lequel ils réalisent 50% de leur chiffre d’affaires. « Les trois opérateurs télécoms français connaissent de grandes difficultés suite à l’arrivée de Free sur le marché du mobile. Ils ont ainsi réduit significativement leurs flux externalisés, aussi bien en France qu’en offshore », nous explique-t-il.
En plus d’une congestion du marché, les opérateurs marocains doivent également faire face à une concurrence de plus en plus rude de leurs voisins maghrébins et subsahariens. « Ces pays commencent à se positionner comme des alternatives réelles dans un contexte de recherche de baisse de prix liée à la crise en France », redoute le patron du groupe Outsourcia. Certains acteurs de petite taille disparaissent et des activités non rentables, comme le télémarketing, sont abandonnées.
Pistes de relance
Pour redonner un nouveau souffle au secteur, certains patrons prônent la spécialisation. C’est le cas de Karim Bernoussi, PDG de Intelcia, l’un des plus grands centres d’appel du Maroc avec plus de mille collaborateurs : « Le métier a évolué parce que la demande elle-même a changé : il faut monter en gamme et miser sur des métiers à forte valeur ajoutée qui nécessitent une expertise, comme le support technique ». Sur le site de Casanearshore, Intelcia recourt d’ailleurs à de jeunes commerciaux B2B pour aider les clients Google Adwords à créer leurs campagnes publicitaires en ligne. Youssef Chraïbi, le patron d’Outsourcia, abonde dans le même sens : « Il est urgent de définir une stratégie nationale visant à préparer le vivier de ressources permettant d’assumer ce positionnement de destination nearshore haut de gamme ». Mais si, pour le président de l’AMRC, une réorientation stratégique du secteur vers des métiers à plus forte valeur ajoutée est indispensable, il est également nécessaire que l’Etat mette en place des mesures d’urgence en vue de maintenir la compétitivité du secteur.
Les patrons des grands call centers, sous l’égide de l’AMRC, travaillent donc sur une feuille de route qu’ils devraient présenter au ministère de l’Industrie. Et ça tombe bien, Moulay Hafid Elalamy, le nouveau locataire de ce département, est un des leurs. Il est propriétaire de Phone Group, un des plus grands centres d’appel du Maroc. C’est sur ses épaules que repose aujourd’hui l’élaboration d’un nouveau plan stratégique pour actualiser le Plan Emergence, qui accuse déjà du retard par rapport à ses objectifs initiaux : un chiffre d’affaires de 20 milliards de dirhams et 100 000 emplois à l’horizon 2015. Le chrono est lancé.
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