Sortie. Au vu de son démarrage en salles, le dernier film de Saïd C. Naciri est parti pour cartonner auprès du public marocain. Essayons, ensemble, de comprendre pourquoi.
Un braqueur de banque lâche ses complices et se réfugie dans un village dirigé par un chef sanguinaire. Quelques explosions plus tard, on découvre que le village a un trésor caché, que celui qui en a les clés croupit en prison, que sa fille est une bombe, et que d’autres personnages bizarres sont à la recherche du même trésor. Voilà, le plus dur est fait : « raconter » un film si peu racontable.
Un déluge de feu et de sang
Kanyamakan est un film où l’intrigue, comme la psychologie des personnages, est totalement secondaire. C’est un genre et il faut le prendre comme tel. Après, dans le déroulé, le film ne ressemble à rien mais il « rassemble » des éléments que vous avez forcément croisés ailleurs, dans d’autres films, d’autres cinémas. Pour situer un peu les choses, le film emprunte autant au western-spaghetti façon Le bon, la brute et le truand (une nuée de désaxés lancés à la poursuite d’un mystérieux butin), qu’au mélange hémoglobine-humour si cher à un Robert Rodriguez, période Machete. En d’autres termes, cela commence comme un film de gangsters, se poursuit comme un western, et se conclut sur une romance sur fond d’explosions en veux-tu en voilà.
En multipliant les références et les emprunts aux films de genre, Kanyamakan devient un genre à lui seul. Il fonctionne sur le rythme binaire action- humour, avec une profusion d’effets spéciaux supérieure à la moyenne. Il n’invente rien mais recycle, en les marocanisant, certains de ses modèles. Le village-ksar du film, qui ressemble étrangement au village touareg du Boulet, reprend le schéma des villages mexicains auxquels le genre western nous a habitués. Le héros est un croisement aux dents blanches comme neige, entre Antonio Banderas et Clint Eastwood, le charisme en moins. L’héroïne est une copie conforme de Selma Hayek. Même les gags semblent tout droit sortis des modèles cités plus haut. Sans parler du découpage ultra-rapide de l’ensemble : c’est sans doute le film marocain avec le plus grand nombre de plans à la minute.
Entre nanar et film culte
L’histoire du cinéma mondial foisonne d’exemples de films qui se sont nourris de leurs modèles, au point de les parodier. Récemment, on a vu cela avec Le bon, la brute et le cinglé, un improbable western… sud-coréen. Malgré leur côté farfelu, ces films peuvent fonctionner quand ils ne se prennent pas au sérieux. Car rien n’est plus ennuyeux qu’une parodie qui ne rit pas d’elle-même. L’humour et le second degré permettent, au passage, d’évacuer la violence contenue dans ces films et de combler les vides qui jalonnent les scénarios comme des trous dans un parcours de golf. Par moments, et au milieu du déluge de feu et de sang, Kanyamakan semble se souvenir de cette règle fondamentale. Comme à la fin, quand un conteur de la place Jamaâ El Fna dit à son public, et c’est un peu comme si le réalisateur dialoguait avec le spectateur : « Pour raconter la suite, il faut de l’argent, mettez des sous et je vous en dirai plus ».
Dans le contexte particulier du cinéma marocain, Kanyamakan rejoint la nouvelle tradition des films conçus pour un très large public et faits « à la façon de ». Dans le panier, on peut trouver des bizarreries très prisées par le public comme Abdou chez les Almohades ou Road to Kaboul, des comédies dans lesquelles le spectateur est invité à voyager dans l’espace ou dans le temps. Kanayamakan rejoint une autre école, celle des jeunes cinéastes qui font feu de tout bois avec leur caméra, rivalisant de technicité dans des styles très différents : cas des frères Noury, de Hicham Lasry, de Talal Selhami ou de Mohamed Mouftakir.
Mes amis, nous avons fait le tour de la question et vous l’avez sans doute compris : Kanyamakan a des allures de nanar (parce que le scénario est bidon, le casting inégal, etc.), ou de film culte (parce que délirant… et marocain). Mais c’est avant tout un divertissement sans prétention, avec une bande originale endiablée, des personnages secondaires amusants. C’est tout, donc ce n’est pas rien.
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