Depuis quatre ans, la compagnie fait du théâtre de rue son credo, en mêlant classiques du genre et bribes de vies quotidiennes. Son objectif : rendre la culture accessible.
Ce soir-là, le B-Rock, célèbre bar de la corniche casablancaise, a remisé l’ambiance « night-club » pour laisser place à une atmosphère plus intimiste. La compagnie Terminus des Arts vient jouer son tout dernier spectacle, What a wonderful world, une adaptation en darija et en français d’un des plus grands classiques du théâtre : L’Ours, d’Anton Tchekhov. Une comédie qui raconte la rencontre d’une jeune veuve propriétaire terrienne ravagée par le chagrin et d’un paysan criblé de dettes venu réclamer l’argent que lui devait son défunt mari. Si la troupe est restée fidèle à l’intrigue de base, le reste a été entièrement revu « à la sauce marocaine », selon Imad Fijjaj, metteur en scène et comédien. Ainsi, la veuve éplorée Elena Ivanovna Popova est devenue Deborah Oshra Hayoune (Line Guellati), une juive marocaine francophone. Grigori Stepanovitch Smirnov, quant à lui, est désormais Al Mokhtar (Mouhcine Malzi), un paysan arabophone rustre, violent et qui boit de l’huile d’olive comme du petit lait. Tandis que le vieux valet de Madame Hayoune, Louka, s’appelle maintenant Mouka (Yassine Sekkal) et fait office de traducteur entre les deux autres protagonistes.
Aux frontières du réel
Pour la compagnie Terminus des Arts, spécialisée dans le théâtre de rue, What a wonderful world est une exception. « C’est notre première pièce à huis clos, précise Leïla Zizi, responsable de la communication de la compagnie, mais nous avons laissé une place à l’improvisation. Il n’y a pas d’espace délimité et les spectateurs peuvent interagir avec les comédiens ». Excepté quelques timides, le public se prête volontiers au jeu, certains allant même jusqu’à lancer un « toutes mes condoléances à Madame Hayoune ! ». Habituellement, la troupe joue dans l’espace public et sillonne « tous les coins paumés du Maroc », selon les mots de Leïla Zizi. « L’année dernière, dans un petit patelin, nous avons joué notre spectacle Fadma day of glory. Il s’agit du monologue d’une femme de ménage qui a dû élever seule ses frères. Un monsieur l’a prise au sérieux et s’est approché d’elle pour la consoler », raconte Imad Fijjaj, qui poursuit : « Parfois il y a aussi des policiers qui ne comprennent pas que c’est du théâtre. Je me suis déjà fait embarquer par un agent parce que j’ai continué de jouer au lieu de lui montrer notre autorisation, mais ça s’est rapidement arrangé ».
Le quotidien pour muse
A la fin du spectacle, le public est conquis par cette pièce courte mais rythmée, et surtout très bien interprétée. Tous sont des comédiens professionnels et confirmés. La plupart sortent d’ailleurs de l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC), à Rabat. Il n’est pas rare de les voir aussi sur grand écran. C’est le cas de Mouhcine Malzi, excellant dans le rôle du « aroubi », qui a joué en 2011 dans Mort à vendre, de Faouzi Bensaïdi, ou de Imad Fijjaj, qui apparaît dans C’est eux les chiens de Hicham Lasri et Zéro de Nour-Eddine Lakhmari. Pourtant, selon les membres de la troupe, « Terminus des Arts passe avant tout ! ».
Créée en 2010, la compagnie a déjà produit et réalisé cinq pièces dont Les victimes de l’équipe nationale, l’histoire d’un asile qui accueille les Marocains devenus fous après les échecs successifs des Lions de l’Atlas. Une pièce achetée par le ministère de la Culture et encore jouée actuellement. Et la compagnie ne compte pas s’arrêter là, « on réfléchit déjà à notre prochaine pièce, elle portera sur un mec qui est fonctionnaire le jour et militant la nuit », confie Imad Fijjaj. Leur inspiration, ils la puisent dans les scènes de la vie quotidienne et l’actualité, qu’ils suivent assidûment. A partir d’un fait, d’un personnage, les comédiens commencent à improviser, avant de passer à l’écriture collective. Parallèlement, ils œuvrent à la valorisation de leur discipline auprès du ministère de la Culture. Mission accomplie puisque le ministère prévoit de reconnaître officiellement le théâtre de rue en 2015. En attendant, « on part bientôt pour une tournée en France et en Espagne », annonce Leïla Zizi. Bon vent !
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