Quelques semaines après le brusque raidissement diplomatique entre le Maroc et la France, il est sans doute temps d’en tirer quelques leçons. Le moins qu’on puisse dire est que cette crise a surpris. Le ciel des relations maroco-françaises semblait sans nuages. Depuis les deux quinquennats de Jacques Chirac, les liens entre les deux pays n’avaient cessé de se renforcer. Le mandat de Sarkozy avait lui aussi été marqué par une apparente bonne entente, concrétisée par la signature de contrats colossaux, au premier rang desquels le futur TGV marocain. Certes, en 2012, l’arrivée de la gauche aux affaires pouvait augurer d’un tournant dans les relations maroco-françaises : Rabat avait encore en mémoire le règne en dents de scie de François Mitterrand qui, avec le Maroc, n’a eu de cesse de souffler le chaud et le froid, notamment sur la question des droits de l’homme.
Si on a pu croire un temps que la brouille serait passagère et anecdotique, force est de constater aujourd’hui que la diplomatie marocaine n’est pas pressée de refermer la parenthèse, semblant vouloir faire comprendre à la France que sa qualité d’alliée du Maroc l’oblige à un soutien plus marqué. Au moment même où Mohammed VI entamait une tournée africaine préparée de longue date et censée confirmer l’offensive économique du Maroc en Afrique, son ambassadeur en France recevait la visite de sept policiers venus remettre une convocation émanant d’un juge d’instruction français à l’intention du patron de la DST, accusé de torture par plusieurs anciens détenus français au Maroc. Deux jours plus tard, la publication par le journal Le Monde d’une interview de l’acteur espagnol Javier Bardem, connu pour son soutien aux thèses du Front Polisario, dans laquelle il rapportait une boutade prêtée à l’ambassadeur de France aux Nations Unies, n’a fait qu’attiser le feu déjà allumé. La désobligeance du propos, surtout émanant d’un diplomate de haut rang d’un pays allié, n’est plus à démontrer.
Une partie des médias français, en particulier l’AFP, a pourtant voulu voir dans la réaction du Maroc, une attitude irréfléchie, voire « hystérique ». Selon cette version, le Maroc, traditionnel adepte de la « diplomatie du boudin », aurait l’habitude de faire semblant de se fâcher à chaque fois que les grandes puissances occidentales menacent de se pencher sur les cas de torture qui leur parviennent des geôles marocaines. Il y a du vrai dans cette lecture. C’est en tout cas celle qu’ont faite certains observateurs au moment du boycott par les autorités marocaines de l’Américain Christopher Ross, représentant du SG des Nations Unies pour le Sahara Occidental, ou encore il y a bientôt un an, lorsqu’il s’agissait de renouveler le mandat de la Minurso et que Washington a failli proposer de l’élargir aux droits de l’homme.
Mais on se souvient aussi que Mohammed VI avait ensuite rencontré Barack Obama, signifiant que le Maroc voulait montrer de nouveau patte blanche. Aujourd’hui, c’est avec un autre allié d’envergure que le Maroc engage un bras de fer. Est-ce à dire que, comme avec les Etats-Unis, la crise sera vite oubliée ?
C’est l’idée que le Maroc ne veut surtout pas accréditer, du moins pas tant que la France n’aura pas joué de son influence sur la scène internationale pour que ne se reproduise pas, dans un mois et demi, l’affront de la proposition d’élargissement du mandat de la Minurso. Le Maroc attend également que la France clarifie ses intentions en Afrique et n’empiète pas sur la diplomatie proactive du royaume sur le continent, explique-t-on dans les salons rbatis. Pendant ce temps, silence, on torture !