Depuis une dizaine d’années, des groupes pétroliers internationaux explorent le sol marocain. Si la ruée vers l’or noir devenait fructueuse, le pétrole pourrait être un levier de croissance pour le royaume, mais il risque également de faire des envieux autour du pays…
Il y a presque quatorze ans, le 20 août 2000, alors tout jeune roi, Mohammed VI annonçait dans un discours « la découverte de pétrole et de gaz en quantités abondantes dans la région de Talsint ». Réactions euphoriques du peuple marocain devant sa télévision. Adieu la dépendance énergétique, vive le décollage économique ! Il n’en fut rien et il n’en est toujours rien, bien qu’aujourd’hui les puits de forage commencent à emplir le paysage marocain.
La malédiction du pétrole ?
Foum Draa, à 120 kilomètres au sud-ouest d’Agadir, 1 500 kilomètres de profondeur. C’est un des tous derniers terrains de chasse choisi par Cairn Energy pour lancer son programme d’exploration. Selon la compagnie pétrolière écossaise, 142 millions de barils pourraient y être récupérés, soit des millions de dirhams. Des estimations qui sont encore loin d’être réelles mais qui sont bien trop alléchantes pour ne pas susciter l’intérêt. Pour le moment, rappelons-le, une seule découverte de pétrole a été faite au Maroc, à Tarfaya.
Mais la rareté des découvertes n’empêche pas pour autant les grandes sociétés pétrolières de venir tenter l’aventure au Maroc. Depuis quelques années, plusieurs géants quittent les pays voisins pour venir prospecter au Maroc. Syrie, Egypte ou Tunisie sont peu à peu délaissés par les leaders du secteur. L’instabilité et la crainte des risques politiques sont les raisons invoquées par la plupart des compagnies. Ainsi, la société britannique Gulfsands Petroleum a préféré partir de Syrie, malgré les 10 000 barils qu’elle tirait par jour. Chevron ou Genel Energy lui ont emboîté le pas, signant elles aussi des contrats avec l’ONHYM, l’Office National des Hydrocarbures et des Mines. Les autorités marocaines ont semble-il su les charmer…L’Etat promet, par exemple, des abattements de 25% sur les sommes à verser par les compagnies en cas de découverte. La loi sur la recherche et l’exploitation des gisements d’hydrocarbures prévoit également une exonération totale de l’impôt sur les sociétés pendant dix ans et bien d’autres exonérations fiscales. « Les conditions offertes par le Maroc sont très bonnes. Ce sont là des intérêts, pas du sentimentalisme. Ils font bien leur travail. Le danger, s’ils (ndlr : les Marocains) trouvent du pétrole, serait qu’ils baissent les bras dans d’autres domaines. C’est ce qu’on appelle la malédiction du pétrole. » analyse Francis Ghilès, expert des questions énergétiques au Maghreb.
Vingt-huit sociétés pétrolières pour 900 000 km²
Ces conditions fiscales séduisantes en ont déjà charmé plus d’un. A l’heure actuelle, vingt-huit sociétés pétrolières s’activent sur tout le royaume pour tenter de trouver du pétrole. Parmi elles, aucune n’est marocaine. Pourquoi ? Abdelkader Amara, ministre de l’énergie, des mines, de l’eau et de l’environnement s’en explique : « les moyens de l’Etat ne sont pas en mesure de supporter de telles charges inhérentes à l’exploration, opération hautement capitalistique et risquée mais aussi de très long terme. Notre objectif est de parvenir à intéresser des compagnies internationales à même de mener sérieusement les travaux d’exploration. Je tiens à préciser que le code des hydrocarbures ne fait aucune discrimination entre nationaux et étrangers ». Objectif atteint ! S’il y a tant de concurrence, c’est aussi parce que les experts internationaux sont formels : le pays est potentiellement favorable à l’accumulation d’hydrocarbures. C’est ce que révèle une étude menée par l’Oxford Business Group. Le cabinet d’intelligence économique, basé à Londres, affirme que les investisseurs manifestent un intérêt croissant pour les réserves d’hydrocarbures du Maroc et ce, en raison de plusieurs facteurs : « les résultats des études sismiques sont encourageants et les conditions d’investissement attractives. Grâce au forage de dix nouveaux puits, prévu en 2013-2014, le Maroc pourrait enregistrer une hausse significative de sa production de pétrole à moyen terme », précise le rapport. Un bon début mais qui ne satisfait pas tout à fait Amina Benkhadra, directrice générale de l’ONHYM. « On estime à près de 900 000 km² la surface totale des bassins à explorer. Si l’on sait qu’on compte au total seulement un peu plus de 300 puits d’exploration, on arrive à une densité de forage d’à peine 0,04 puits par 100 km². Comparée à une densité mondiale moyenne de 8 à 10 puits par 100 km2, on voit que notre pays reste sous exploré». Et de finir par une note positive: « L’ONYHM continue à déployer tous ses efforts pour intensifier l’exploration pétrolière des bassins sédimentaires marocains, par ses propres moyens ou en partenariat. »
Le Polisario monte au front
Pour d’autres, s’en est bien assez…Dans les provinces du sud, certains militants pro*polisario ne veulent tout simplement pas de ces forages alors que plusieurs grands groupes ont d’ores et déjà annoncé des projets d’exploitation dans la région. Dès cette année, Cairn Energy et Kosmos Energy devraient forer dans la zone offshore centrale de la côte sahraouie connue sous le nom du « Bloc Boujdour ». Des intentions qui ne plaisent guère au gouvernement de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Il a récemment averti les deux groupes pétroliers par courrier privé que « leurs activités constituaient une violation du droit international ». Eric Hagen, président de l’observatoire Western Sahara Ressource Watch (WSRW) dénonce un manque de transparence. « Il est évident que le Maroc ne lèvera pas le petit doigt pour évaluer les souhaits de la population de réfugiés, ce qui signifie que les seules personnes qui ont été théoriquement consultées aujourd’hui sont déjà favorables à la présence marocaine au Sahara occidental. Ces opérations commerciales sont contraires à l’éthique ». Des accusations qui ne sont pour l’instant que des procès d’intention.
Le Maroc a envoyé des déclarations de principes à l’ONU en vue d’exploiter les ressources pétrolières dans le Sahara. Ces déclarations de principes ont été signées avec les représentants de Total Maroc et ceux de l’entreprise américaine Kosmos Energy. Les deux communiqués indiquent que l’exploitation des ressources naturelles d’hydrocarbures dans la région du Sahara « se fera conformément aux principes énoncés dans la Constitution marocaine et aux normes internationales » et que la population locale sera consultée dans ses projets, dont elle « bénéficiera effectivement et équitablement ».
La chasse au pétrole n’a donc pas fini de faire parler d’elle. En cas de découverte importante de pétrole, il faudra encore 8 à 12 ans avant de pouvoir réellement en produire. Une chasse longue, coûteuse et à haut risque mais qui pourrait peut-être un jour permettre au Maroc de réduire ses importations de pétrole, qui s’élèvent à plusieurs milliards de dirhams par an.
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