Ce village du Haut Atlas oriental est devenu synonyme de tragédie suite à la trentaine d’enfants morts à cause du froid en 2007. Sept ans plus tard, ?la localité souffre toujours de son isolement.
A première vue, Anfgou est un joli village des plus paisibles, à proximité du Cirque de Jaffar et des Gorges d’Aouli. Nous sommes entre Khénifra et Midelt, à plus de 2700 mètres d’altitude. De petites maisons, édifiées en ligne à partir de matériaux nobles – pierre et terre –, comme il y en a des milliers sur les hauteurs de l’Atlas. Difficile d’imaginer que c’est ici, au début de l’hiver 2007, que 33 enfants sont morts suite à une épidémie, faute de secours à proximité. L’espace était alors totalement enclavé. Avant les travaux, lancés fin 2008, le seul moyen de rejoindre le premier point médicalisé, situé à plus de 70 km de là, était d’emprunter à dos d’âne la piste rocailleuse qui longe l’oued souvent en crue. Le Maroc, alors sous le choc, découvre subitement ce petit hameau où il n’y a ni eau, ni électricité, ni réseau téléphonique. Pas de route non plus. Le dénuement absolu.
Village symbole
Depuis, Anfgou est connu de tous les Marocains et les choses ont changé ces six dernières années. A la suite du drame, l’opinion publique s’était saisie du sujet et nombreux sont ceux qui se sont mobilisés. Résultat, ce village de quelque 1700 habitants est resté sous les feux de l’actualité. Les initiatives se sont multipliées. Le roi s’y est rendu deux fois, en 2008 et 2009, les ministres s’y sont succédé et un programme de désenclavement des zones montagneuses a même été lancé dans la foulée. Aujourd’hui, on le voit, le village a bénéficié d’infrastructures qui facilitent le quotidien des habitants.
Au Maroc comme à l’étranger, la télévision en a souvent parlé et nombreuses sont les associations qui ont réuni des moyens pour lancer des initiatives. Objectif affiché, mais pas encore atteint : sortir ces populations, extrêmement démunies, de leur grande misère.
« On peut dire que la situation s’est améliorée depuis 2008. Anfgou est maintenant connecté au reste du pays », estime un habitant, dont l’avis est largement partagé. La route est là, le réseau aussi. L’eau est gratuite et l’électricité installée. Mieux, on y trouve une école primaire, un dispensaire – qui reste mal équipé en médicaments – et on croise même des bulldozers. La route est régulièrement déblayée par deux chasse- neige qui sillonnent la localité et on se sert des GSM pour communiquer.
Mais, désenclavé ou pas, Anfgou reste un tout petit village, sans moyens : toujours pas d’épicerie, ni de café. Toujours pas de cyber. Pas un seul commerce ne pointe à l’horizon si ce n’est cette maisonnette de quelques pièces où il est écrit « Hôtel » à la chaux. En fait, il n’y a ni réception ni douche. L’établissement n’a pas eu de clients cet hiver. S’il est vrai que les randonneurs traversent la région riche en sites d’exception, il serait faux de dire que Anfgou est devenu un passage obligé de leur périple.
« Il y a bien plus de monde qui vient aujourd’hui. Des gens de la ville qui débarquent avec des vivres et du matériel pour nous aider. Nous en avons besoin. On dit ici que notre terre ne suffira pas à nourrir toute notre montagne », explique Mohamed, la vingtaine et un immense sourire aux lèvres. Il a vécu quelques mois à Casablanca, où il atravaillé comme maçon, mais il préfère sa situation actuelle d’agent de sécurité à l’école primaire d’Anfgou : « Nous voulions aussi un collège pour éviter l’internat aux plus jeunes qui vont jusqu’à Tounfite, à deux heures de route. Aujourd’hui les filles ne terminent pas leur scolarité et restent pour se marier au village ». Beaucoup d’entre elles sont femmes à 14 ans. Le mariage précoce reste une réalité dans cette région au fort taux de natalité et où l’on ne meurt pas vieux.
C’est mieux, mais…
Pour Mohamed et ses amis, côté loisirs, il n’y a pas grand-chose à faire. Les plus jeunes jouent au football en journée et le soir, on regarde la télé en famille, dans des maisons bien isolées, chauffées au feu de bois. La parabole est là, on se branche sur le canal 8, la chaîne amazighe, la plus appréciée ici. La nuit venue, on éteint le poêle avant de se blottir dans d’épaisses couvertures.
En matière d’économie, pas grand-chose n’a bougé depuis 2008. S’il est vrai que tout le monde continue de s’activer pour résister à l’hiver, la précarité est la seule véritable réalité. Comme ailleurs dans cette partie du Haut Atlas oriental, certains font de l’abattage clandestin dans la cédraie, pourtant classée patrimoine universel de l’Unesco. Mais l’immense majorité vit de l’agriculture, souvent vivrière, selon des modèles ancestraux. On a quelques vaches, on cultive la patate, on ramasse le bois de chauffe avant l’hiver au pied du Jbel Layachi – la nuit les températures sont négatives – et on se rend au marché en fin de semaine pour faire quelques menus achats.
Au marché, on y va dans le taxi de Chrif, l’un des rares « entrepreneurs » de la localité. La trentaine dynamique, il pilote, musique à fond, une estafette d’un autre âge qui transporte 20 à 25 personnes. Tous les jours, il fait fièrement ses deux allers-retours sur l’asphalte flambant neuf qui relie Anfgou à Tounfite. Les jours de marché, Chrif empoche un peu moins de 100 dirhams. « A la télé, je vois bien qu’on parle souvent de nous. C’est vrai, on a eu plein de choses depuis 2008. Mais on entend aussi n’importe quoi. Comme cette association de Rabat qui a dit avoir distribué pour 60 millions de matériel… mais nous on n’a rien vu de tout ça », témoigne-t-il.
Ce cas reste une exception. Selon plusieurs sources, les dons récoltés arrivent bien à destination. Mais si les habitants d’Anfgou se disent redevables et heureux de voir une telle mobilisation, il reste que nombre d’acteurs associatifs de la région souhaitent voir appliquée une autre approche, plus participative.
Pour Saïd Akouhou, de l’association Timicha du village voisin d’Anemzi, « les associations locales sont mises à l’index. Nous n’avons pas de moyens. On ne se sert pas de notre connaissance du terrain. Il faut changer la donne et nous permettre d’agir avec des subventions pour améliorer le quotidien des gens ». Cette méconnaissance du terrain, on la reproche aussi aux élus. Taxés d’incompétents et de corrompus, ils sont jugés beaucoup trop affairistes et accusés de ne pas répondre aux doléances les plus ordinaires des habitants de la circonscription. Ici, d’une manière générale, tous les politiques, gouvernement compris, en prennent pour leur grade.
El Ouardi a menti
C’est le cas du ministre de la Santé, El Hossein El Ouardi, accusé d’avoir fait une fausse déclaration à la télévision. Retour sur les faits. La scène se déroule il y a un peu plus d’un an, en janvier 2013. Le ministre se rend à Anfgou et passe devant le village de Tamalout, à 20 km de là, sans arrêter le convoi. Au même moment, un bébé de 40 jours meurt dans les bras de sa mère, Touda. Celle-ci nous a déclaré : « Le ministre a dit qu’il avait visité le village et qu’il m’avait présenté ses condoléances. C’est faux. Ce monsieur n’est pas venu à Tamalout ». Une histoire qui avait fait du bruit suite au reportage diffusé sur 2M, et qui fait réagir aujourd’hui Mounir Kejji, jeune chercheur et militant amazigh : « C’est du marketing politique de mauvais goût et le ministre s’est fait rattraper par les médias. Surfer ainsi sur le malheur des gens, c’est véritablement scandaleux ».
Toujours selon Mounir Kejji, à propos des associations : « Il faut revoir la donne. La société civile ne peut pas compenser les défaillances de l’Etat. Les villages environnants sont très mal desservis et sous-équipés. La situation reste très difficile dans cette zone et la relative amélioration à Anfgou ne doit pas servir de vitrine à ceux qui disent avoir réglé les problèmes ».
Il est vrai que beaucoup de choses restent à faire et que ce qui a été fait n’est pas toujours parfait. Illustration à Tamalout, où un dispensaire a été inauguré sans jamais avoir fonctionné. Autre cas, cette fois-ci à Aghetou, à 8 km au nord d’Anfgou. Dans ce douar, l’enclavement total est toujours une réalité pour une centaine de maisons. Elles sont alimentées aujourd’hui en eau et en électricité, mais sont toujours au milieu de nulle part, sans route ni réseau. Une situation très préoccupante, que l’on retrouve dans de trop nombreux douars de la région, toujours coupés du monde à ce jour.
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