Depuis 2003, le maire d’Agadir se bat pour imposer sa vision de la ville. Le temps d’une balade dans les différents quartiers de la capitale du Souss, il nous explique son mode de gestion.
Avec sa carrure de rugbyman à la retraite et sa moustache bien garnie, Tariq Kabbage est l’un des derniers survivants d’une espèce en voie d’extinction. Son franc-parler et ses punchlines ont forgé sa réputation de trublion. Ses adversaires le décrivent comme un personnage provocateur, colérique et démago aux ambitions politiques insatiables. Ses admirateurs, eux, parlent d’un bagarreur infatigable au service de sa ville. En cette matinée ensoleillée, vêtu d’une chemise bleu ciel et veste demi-saison, il nous accueille devant l’Hôtel de ville avec son staff. Il nous conduit dans son vaste bureau, doté d’un vitrage anti-balle. Et pour cause, ce lieu servait de base de commandement à Hassan II au moment de la Marche verte en 1975. Autre témoignage de cette époque, le bureau qui trône au centre de la pièce est celui qu’occupait le roi défunt.
Opération ville propre
« Nous voulons que notre ville soit un lieu de vie où le citoyen est au cœur de la cité », assène Tariq Kabbage, avant de nous inviter à monter dans son 4×4 pour se rendre au meeting d’une association sur le thème de l’université. Ne disposant que de 30 minutes, le maire prononce une diatribe qui fait mouche. « Comment voulez-vous faire d’Agadir un pôle universitaire qui accueille 75 000 étudiants alors que les structures sont désuètes ? Il faut que les gens de Rabat reviennent un peu à la réalité », lance-t-il à l’assistance avec un accent soussi qui contraste avec ses origines fassies, avant de quitter la salle. Direction Anza, commune de la banlieue nord de la ville, située en pleine zone industrielle. Anza a toujours constitué l’un des points noirs de la ville : pollution, habitat insalubre, criminalité… mais depuis quelques années, elle fait l’objet d’un plan de désindustrialisation. Ce jour-là, les habitants s’activent dans le cadre d’une opération de nettoyage qui a lieu chaque week-end. Tout le monde est mis à contribution pour ramasser les ordures. Pour l’occasion, la mairie d’Agadir a dépêché du matériel et des agents. « Je suis content de voir que les gens se prennent en charge pour s’occuper de leur lieu de vie », commente Tariq Kabbage. Après une demi-heure d’échanges avec la population, il doit filer. Il est attendu au quartier Dchira.
Un ami nommé Jean-Marc Ayrault
Premier constat, la circulation est très fluide et aucun nid-de-poule ne déforme la chaussée. Un vaste programme pour équiper la ville de carrefours giratoires a été lancé il y a quelques années. Ce modèle de circulation inspiré de la ville de Nantes, jumelée avec Agadir, doit être étendu à toute la capitale du Souss. Pour cela, Tariq Kabbage peut compter sur le soutien de l’ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, qu’il qualifie « d’ami personnel qui apporte une aide précieuse à Agadir ». En effet, la ville bénéficie des conseils techniques d’anciens cadres de la mairie de Nantes. « Une ville touristique, ce n’est pas seulement quelques hôtels et de l’animation. Toute la ville doit bénéficier du même niveau d’équipement », martèle Tariq Kabbage, avant de se diriger vers un collège du quartier Dchira pour assister à la remise des prix décernés aux meilleurs élèves. La majorité des lauréats étant des filles, il en profite pour lancer quelques vannes aux garçons : « Si ça continue comme ça, c’est vous qui allez demander la parité dans quelques années ! ». Alors qu’il discute avec le personnel administratif à la sortie du collège, Tariq Kabbage attire notre attention sur un lotissement situé à proximité. « Ce sont des logements économiques prévus pour reloger les habitants des anciens bidonvilles. Comme ils ne disposent pas de caution bancaire pour pouvoir acheter un de ces appartements, presque tout le lotissement est vide », déplore le maire.
La bataille du foncier
Depuis l’explosion de l’immobilier dans la ville, Tariq Kabbage livre une guerre sans merci contre le « mauvais béton ». Il n’est pas tendre avec les projets de logement économique. « Au final, les quartiers à vocation économique sont déserts parce qu’ils ne sont pas habités par les véritables destinataires ». Pour prouver ses dires, il nous conduit dans des quartiers comme Bensargaou et nous fait traverser des lotissements inhabités. « Comment voulez-vous que les gens viennent vivre ici alors qu’il n’y a ni école ni dispensaire ? Même les mosquées ne fonctionnent pas », s’insurge-t-il. Pour mettre son grain de sel dans ces constructions à tout-va, il a lancé un vaste programme pour équiper tous les quartiers de terrains de football, de basket, des pistes pour roller et skateboard, sans oublier un espace de jeux pour les tout-petits. Mieux, chaque quartier ou presque dispose d’un centre culturel avec salles de lecture, de théâtre, et d’un patio central pouvant faire office de salle des fêtes. Quand on ose lui demander si ces infrastructures sont payantes, il lance sur un ton provocateur : « Si vous voulez faire payer les gens, descendez de ma voiture ! ». Pour financer ses projets, le conseil de la ville taxe les terrains non bâtis ou demande aux promoteurs immobiliers de construire des centres culturels ou des infrastructures sportives en échange de facilités fiscales.
Au nom de la rose
Il est 13 h, le maire et toute son équipe se réunissent dans un restaurant populaire du quartier Tikiouine. Entre une salade à l’huile d’argan et un poulet beldi, l’ambiance est détendue. Comment Tariq Kabbage fait-il pour gérer la pression d’un agenda surbooké ? « Est-ce que j’ai l’air stressé ? Pour me changer les idées, je pratique la marche. Je ne suis pas un sportif, je préfère les joutes verbales », affirme-t-il. Quand on évoque avec lui l’USFP et la guerre des clans qui fait les choux gras de la presse, il évite de se prononcer. « Driss Lachgar est le premier secrétaire du parti, c’est un fait. Il nous a rendu visite il y a un mois et nous lui avons montré ce que nous faisons ici. Je pense qu’il était ravi ». On n’en saura pas plus. Il est de notoriété publique que les deux hommes ne s’apprécient guère, mais l’intérêt du parti prend le dessus. Driss Lachgar sait bien qu’Agadir reste le dernier bastion de l’USFP. De son côté, Tariq Kabbage profite de sa position pour mener sa politique sans interférence du parti. Il a réussi à constituer une majorité confortable au sein du conseil de la ville avec 27 élus USFP et le soutien de 6 élus PJD, sur un total de 52. Côté financier, la ville tourne avec un budget de 550 millions de dirhams et vient de réaliser le plus grand excédent enregistré au royaume : près de 200 millions de dirhams.
La balade des gens heureux
Avant de regagner le centre-ville, Tariq Kabbage nous invite à faire un crochet par le quartier Dakhla. Sur un vaste terrain nu, un des plus grands projets structurants de la ville doit sortir de terre. « Il s’agit de construire un CHU et la faculté de médecine d’Agadir, qui pourront générer plus de 2000 emplois et faire d’Agadir un solide pôle médical et universitaire », explique le maire. Sur la route du retour, on est frappé par la propreté de la ville qui a fait le choix de ne pas déléguer ce service à une société privée. « A l’exception du transport urbain, tous les autres services sont gérés directement par la ville. Les sociétés délégataires veulent de l’argent et ne veulent pas qu’on intervienne dans leur travail, chose que je refuse », martèle Kabbage. Quand on arrive sur la corniche, il jubile presque. En effet, depuis son arrivée à l’Hôtel de ville d’Agadir, cette promenade s’est radicalement transformée. Exit la kitchissime qasria du plus grand couscous du monde et les plages occupées par les hôtels. « A l’époque, la population ne disposait que des quelques centaines de mètres de plage. Nous avons bataillé ferme contre l’anarchie qui régnait ici. Aujourd’hui, les citoyens disposent de 5 kilomètres de promenade », rapelle-t-il fièrement. Il est 18 h, la journée n’est pas encore finie pour le maire, qui doit assister à la rencontre entre le Wydad de Casablanca et le Hassania d’Agadir, qui va disputer son premier match dans le stade flambant neuf de la ville. « Je ne suis pas spécialement adepte de football, la seule équipe que je supporte est le Hassania, qui doit absolument gagner ce soir », lance-t-il comme pour narguer les Casablancais, avant de remonter dans sa voiture. Il sera entendu. De quoi réjouir le dernier maire socialiste du Maroc.
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