Financement. La débâcle des sociétés de crédit

Véritables stars de la dernière décennie, les sociétés de crédit à la consommation vivent l’une des crises les plus violentes de leur histoire. Les raisons d’une débandade.

Les sociétés de crédit à la consommation se demandent d’où viendra le prochain coup. Enchaînant les déconvenues, elles ont vu leur activité décliner sensiblement au cours des dernières années. La série noire a démarré en 2009, quand les opérateurs du secteur ont vu leur production reculer de 4%. L’année suivante, la situation s’est aggravée avec une dégringolade de 10%. Des baisses de 1% et 2,5% ont suivi en 2011 et 2012. Et les sociétés ne sont toujours pas parvenues à sortir la tête de l’eau puisqu’elles n’ont accordé, sur les neuf premiers mois de 2013 (derniers chiffres disponibles auprès de l’Association professionnelle des sociétés de financement), que 10,3 milliards de dirhams de crédits conso. En ayant autant régressé d’année en année, le secteur a fait un saut en arrière de cinq ans et il tourne aujourd’hui à son rythme de 2007. Cette année-là, les sociétés de crédit conso avaient crevé le plafond avec une hausse de 25% des crédits. Et en 2008, on en était encore à des records de croissance avec 13% de progression de l’activité sur la période. Qu’a-t-il bien pu se passer depuis ?

Banquiers cannibales

Les opérateurs ont joué de malchance sur plusieurs tableaux. D’abord, sur le segment stratégique du crédit personnel (prêt non affecté), plus grand contributeur historique aux revenus du secteur. Les sociétés spécialisées ont subi le contrecoup d’une concurrence acharnée de la part des banques. « Ces derniers établissements ont regagné d’appétit depuis quatre ans sur le financement de la consommation pour compenser la méforme d’autres segments de crédit », justifie un analyste financier spécialiste du secteur. On notera qu’en agissant de la sorte, les banques se font de l’ombre à elles-mêmes puisque les plus grandes sociétés de crédit conso sont des filiales de banque (Wafasalaf et Attijariwafa bank, Salafin et BMCE Bank, Vivalis et Banque Populaire…). Une cannibalisation que l’on du mal à comprendre même auprès des filiales spécialisées. « C’est à se demander si l’objectif n’est pas simplement de nous couler », peste un directeur financier d’une grande société de la place, excédé de voir sa maison mère rafler la mise. Car, dans la bataille qui les oppose aux banques, les sociétés de crédit conso sont perdantes. « Les banques ont des avantages naturels qui les habilitent à gagner rapidement des parts de marché sur le crédit conso », souligne un spécialiste. Leur première force réside dans leur réseau commercial. « Les trois premières banques de la place détiennent plus de 3000 agences alors que les trois premières sociétés de financement n’affichent qu’un total de 100 points de vente », relève notre spécialiste. Le deuxième atout des banques touche au refinancement. « Ces établissements accèdent nécessairement à des capitaux meilleur marché du fait qu’ils se servent directement sur le marché primaire. A l’inverse, les filiales spécialisées n’ont d’autre choix que de se refinancer auprès de leur maison mère qui leur applique un taux supérieur », éclaire un professionnel. Tout cela fait que les sociétés de financement n’ont cessé de perdre du terrain sur le prêt personnel ces dernières années. Ainsi, leur production augmente légèrement de 1% à fin septembre 2013, à 5,8 milliards de dirhams, après avoir reculé de 5% et 16% en 2011 et 2012 respectivement. Quant aux banques, elles ont à ce point accéléré sur le segment qu’elles détiennent aujourd’hui plus de la moitié du marché en termes d’encours, alors qu’elles n’en étaient encore qu’à 34% en 2005.

Le frein auto

Mises à mal sur leur marché fétiche du prêt personnel, les sociétés de crédit conso ont naturellement cherché à se refaire sur leur autre grand segment d’activité : le financement auto. De fait, la production sur ce créneau a augmenté de 8% en 2011 et de 26% en 2012. Ce faisant, les crédits auto qui constituaient historiquement le tiers des encours du secteur sont montés à près de la moitié. Mais les choses se sont gâtées dernièrement. La production du segment a baissé de 1,3% sur les 9 premiers mois de 2013, affichant 4,1 milliards de DH. En cause bien sûr, l’atterrissage des ventes de voitures, le marché ayant baissé de 7,3% en 2013 après une croissance record en 2012. Mais il y a aussi la débandade LOA. La location avec option d’achat a dégringolé de 39%, représentant 1,4 milliard de dirhams sur les trois premiers trimestres de 2013. Ce financement star des trois dernières années est tombé de haut en quelques mois, sa quote-part dans les crédits auto octroyés passant de 21% en  juin 2012 à 13% en septembre 2013. « La raison en est la mesure fiscale introduite par la Loi de Finances 2013 prévoyant la taxation des valeurs résiduelles des véhicules financés en LOA. Ce surcoût fiscal a systématiquement rebuté les emprunteurs », s’irrite le directeur financier d’une société de la place. Et on n’en serait encore qu’au début de la déperdition de clientèle, puisque les professionnels s’attendent à une baisse encore plus accentuée de la LOA sur les prochains mois. Les plus pessimistes prédisent même pour bientôt la mort de ce produit qui a été introduit au Maroc tout juste en 2000 et qui a fait les frais, depuis 2007, d’un yoyo réglementaire pour ce qui est du prélèvement de la TVA.

Le halal, ce mort-né.

Reste le crédit halal, ou alternatif, sur lequel beaucoup d’espoirs ont été fondés. Si les financements classiques battent de l’aile actuellement, pour les solutions islamiques, c’est carrément la débâcle. Ainsi, le financement auto halal, Mourabaha, ne cumule que 17,8 millions de dirhams de nouveaux crédits sur les neuf premiers mois de 2013, en baisse de plus de 50% par rapport à la même période en 2012. Déjà que ce volume est insignifiant comparé aux 2,7 milliards de dirhams drainés sous forme de crédits classiques sur les trois premiers trimestres de 2013. Et encore, Mourabaha est bien mieux lotie que Ijara, la version halal de la location avec option d’achat. Ce dernier produit est aujourd’hui purement et simplement enterré. Il ne figure même plus au niveau des statistiques dressées trimestriellement par l’Association professionnelle des sociétés de financement. Selon les spécialistes, la LOA halal n’a jamais pu trouver sa place sur le marché du fait que la TVA appliquée à la marge sur ce produit reste supérieur à ce qui est en vigueur pour les autres solutions de financement (10%).

Les sociétés de financement perdent donc sur tous les fronts. Mais il leur reste tout de même une dernière carte à jouer : les prêts domestiques, qui pèsent encore moins de 1% de l’encours des crédits à la consommation. « Les sociétés peuvent en effet faire jouer des avantages concurrentiels en la matière, dont principalement une expertise et une présence au niveau des enseignes de distribution », précise un spécialiste. Pour sûr, avec au bas mot 3500 points de vente structurés recensés au niveau national, le terrain de chasse est conséquent.

Restructuration. Reconfiguration tous azimuts

Les turbulences qu’a traversées le secteur du crédit à la consommation ces dernières années n’ont pas été sans initier des restructurations d’ampleur au niveau des principales sociétés de la place. Pour ne retenir que les plus importantes opérations, à la mi-2012, Acred change de nom pour arborer celui de sa maison mère Axa. Derrière ce banal changement de dénomination, le groupe cherche à garder pied sur le marché du crédit conso dans un contexte fortement concurrentiel. L’idée est de faire profiter les solutions de crédit conso de la notoriété d’Axa, mais également de faire jouer plusieurs effets de synergie. Quelques mois auparavant, c’est la BMCI qui regroupait l’ensemble de ses activités sur le crédit conso à travers la fusion-absorption de Cetelem et BMCI Crédit Conso et la reprise d’une participation de sa maison mère, BNP Paribas. La logique là aussi est d’optimiser les process de travail et d’engendrer une plus grande efficacité commerciale, et ce afin de parvenir à une part de marché de 10%. Rapprocher l’activité de banque de détail et le crédit conso était enfin l’objectif
du CIH en rachetant Sofac auprès de la CDG, fin 2010. Un mouvement de regroupement qui ne vient en fait que de démarrer, prédisent les spécialistes.

Après des croissances à deux chiffres entre 2005 et 2008, l’encours des sociétés de financement se stabilise autour de 10 milliards de dirhams en 2013.

Véritable moteur du secteur, le crédit à la consommation ne représente désormais que 50% de la production des sociétés de financement.

Sur le crédit auto, la production a baissé de 1,3% en 2013, tandis que la LOA a chuté de 39%.

Le salut n’est pas venu des crédits halal, qui comptent un encours insignifiant d’à peine 20 millions de dirhams.

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