Marchés publics. La vraie fausse incitation aux PME

Le quota de 20% réservé aux PME dans le 
nouveau décret sur la commande publique n’est finalement 
que de la poudre aux yeux. Explications.

Censé faciliter l’accès des PME à la commande publique, le très attendu décret sur les marchés publics déçoit les milieux d’affaires. Entré en vigueur ce 1er janvier, le texte conçu et porté par les services du Trésorier général du royaume, Noureddine Bensouda, impose à l’Etat, aux établissements publics et aux collectivités locales de réserver 20% de leurs commandes aux petites et moyennes entreprises qui emploient moins de 200 salariés. La nouvelle paraît à première vue salutaire, mais il suffit de rentrer dans le détail pour s’apercevoir qu’elle est tout sauf révolutionnaire.

Un quota pour rien

D’abord, le quota des 20% n’est pas vraiment une nouveauté. « La participation des PME aux marchés publics dépasse aujourd’hui cette part. Pourquoi fixer un seuil alors qu’on le dépasse aujourd’hui largement ? », réagit Bachir Rachdi, un des rédacteurs du rapport sur la commande publique réalisé en 2012 par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Un constat confirmé par le Conseil de la concurrence, dans une récente étude sur la concurrentialité des marchés publics. « Le capital et le nombre d’effectifs d’une entreprise n’ont jamais été un facteur discriminant », signale le rapport. Preuve par les chiffres : dans un département budgétivore comme celui de l’agriculture et la pêche, 64% des entreprises qui accèdent aux commandes du ministère ont un effectif inférieur à 50 personnes. Idem pour le département de l’energie, où 62% des adjudicataires ont moins de 50 employés. Conclusion : le quota des 20% exigé dans le nouveau décret ne changera rien à la situation actuelle. « Ce n’est pas tant le nombre de PME qui participent aux marchés de l’Etat qui compte, mais ce que ces entreprises ciblées peuvent créer comme valeur ajoutée. C’est toujours bien de fixer un seuil pour les PME, encore faut-il s’assurer que l’impact de ces commandes soit réel sur l’investissement privé, la croissance, l’innovation… », estime Bachir Rachdi. 

Autre raté, et pas des moindres : pour donner forme à ce dispositif des 20%, le ministre des Finances, Mohamed Boussaïd, a dû signer en décembre 2013 un texte d’application qui liste les établissements et administrations publics auxquels s’applique cette obligation.

La liste Boussaïd

Grande surprise, seules 92 entités sont concernées. Pire, ces entités ne sont pas connues pour être de grands donneurs d’ordre. Il s’agit par exemple de l’Anapec, de la Caisse de compensation, des Archives du Maroc, des chambres de commerce, de l’industrie et de l’agriculture, en plus d’une kyrielle d’académies régionales de l’éducation. Les grosses structures comme l’OCP, Autoroutes du Maroc, ONCF, ONEE ou encore l’ONDA sont exclues du champ d’application du décret. Dans son étude, le CESE affirmait pourtant que la commande publique est extrêmement concentrée au niveau de ces établissements. Ce sont donc toujours les mêmes qui continueront de bénéficier des gros marchés de l’Etat. « On ne peut pas obliger tous les établissements publics à respecter cette obligation. La conception du texte devait répondre aussi au souci de l’efficacité de la commande publique. Il y a des marchés stratégiques où seuls de gros opérateurs peuvent se positionner », se défend une source au ministère des Finances, ajoutant que le décret a ouvert la possibilité aux donneurs d’ordre de saucissonner leurs commandes pour faciliter l’accès aux PME à cette manne. Un argument qui ne convainc pas grand monde. « J’imagine mal l’ONCF ou l’ONDA se casser la tête à répartir des marchés, avec tout ce que cela demande en travail administratif et en effort de gestion et de suivi pour les confier à de petites entreprises, alors que le décret ne les oblige pas à le faire », signale un membre de la fédération du BTP.

Le veto du SGG

Autre point qui soulève l’ire des entrepreneurs : la préférence nationale, pourtant défendue par plusieurs ministres du gouvernement, mais qui a été bloquée au niveau du Secrétariat général du gouvernement. La première mouture du projet de décret, en préparation depuis plus de deux ans, prévoyait de majorer systématiquement de 15% les offres déposées par des entreprises étrangères. Une mesure largement saluée dans le temps, mais qui a tout simplement sauté quand le décret est passé par le département de Driss Dahak. « Le Secrétariat général du gouvernement a jugé que le fait de rendre obligatoire l’application de cette disposition risquait de compromettre les engagements du Maroc vis-à-vis de ses partenaires étrangers, confie une source au ministère des Finances. Mais si l’obligation a été levée, le texte laisse toutefois ce choix à la discrétion des donneurs d’ordre. Chacun peut choisir d’appliquer ou non cette majoration ». Un argument qui ne convainc pas grand-monde. « Le Maroc confirme encore une fois son statut d’idiot du village mondial. La France, les Etats-Unis, la Turquie ou nos voisins maghrébins, pour ne citer que ceux-là, appliquent tous des mesures de préférence nationale. Cela ne fait pas d’eux des pays hors la loi », signale un membre de la CGEM. Les entreprises étrangères qui continuent de rafler les gros marchés étatiques ont encore de beaux jours devant elles. Sauf que le nouveau texte les oblige à favoriser le tissu de PME nationales dans le choix de leurs sous-traitants. Une manière timide de récupérer d’une main ce que l’on donne de l’autre.   

Procédure. La fin d’un calvaire

Si le nouveau décret sur les marchés publics n’apporte rien de nouveau quant à l’accès de la PME à la commande publique, il comprend néanmoins plusieurs nouveautés. A commencer par la simplification de la procédure de soumission. Exit les mille et une attestations, les prétendants à un marché étatique ne sont plus obligés de fournir, lors du dépôt de leurs offres, l’attestation fiscale, l’attestation de la sécurité sociale et l’inscription au registre du commerce. Ces pièces, dont l’obtention relevait du parcours du combattant, ne sont désormais exigées que pour le soumissionnaire auquel le maître d’ouvrage envisage d’attribuer le marché. Autre nouveauté salutaire, l’unification de la réglementation des marchés, qui s’applique désormais aussi bien aux administrations et établissements publics qu’aux collectivités locales. « Avant l’entrée en vigueur de ce texte, on se perdait dans les lois et les textes, en fonction de l’entité à laquelle on avait affaire. Cela change aujourd’hui avec ce nouveau décret», signale un membre 
de la CGEM.

 

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