A trois ans du démarrage de sa première tranche, Casablanca Finance City reste un mystère. A quoi servira-t-elle au juste ? Eléments de réponse.
De tout ce qu’on sait aujourd’hui sur Casablanca Finance City (CFC), l’élément le plus facile à appréhender reste sans nul doute sa composante immobilière. Au premier coup d’œil sur les tours de bureaux qui prennent forme à l’emplacement de l’ex-aéroport d’Anfa, on prend rapidement la mesure de la future place financière marocaine. Il est encore possible d’imaginer la vie qui animera ces bâtiments en s’inspirant de la très célèbre City de Londres ou de la place de Singapour avec lesquelles CFC a justement signé des partenariats. Mais avant de rêver de finance de haute voltige, de traders grassement payés et de montages financiers offshore, il faudrait peut-être répondre à une question qui reste étonnamment peu évoquée : que sera au juste CFC et à quoi pourra-t-elle bien servir ?
Un pont de capitaux
Pour faire simple, il faut voir la future City casablancaise comme un intermédiaire entre, d’une part, des entreprises africaines en quête de financement et, d’autre part, des détenteurs de capitaux étrangers. « L’offre CFC s’adresse essentiellement à des entreprises opérant au Maghreb, en Afrique de l’ouest ou en Afrique centrale », confie ce cadre du Moroccan Financial Board (MFB, appelé à être rebaptisé Casablanca Finance City Authority), organe en charge de la promotion de CFC et dirigé par Saïd Ibrahimi. Ces demandeurs de capitaux devraient lever des fonds à Casablanca en se décidant parmi une panoplie de montages : introduction en Bourse, émission d’obligations conventionnelles ou halal (sukuks), capital risque, private equity…
De leur côté, les détenteurs de capitaux ciblés par CFC sont autant les investisseurs américains qu’asiatiques ou encore européens, voire du Golfe, énumère-t-on auprès de MFB, pourvu qu’ils aient dans leurs plans de miser sur l’Afrique. Et tout porte à croire qu’ils sont nombreux à en avoir l’intention. A partir de 2014, le continent devrait en effet carburer à 100 milliards de dollars (821 milliards de DH) d’investissements injectés par an dans les seules infrastructures, selon les prévisions d’institutions internationales comme le FMI ou la Banque Mondiale. « En passant par CFC, les investisseurs pourront amener leurs fonds de l’étranger, faire remonter leurs dividendes et leurs plus-values et gérer ces devises en toute liberté. Il faudra juste aménager une réglementation des changes spécifique. Ce qui est en train d’être fait », schématise un spécialiste des marchés financiers.
On déroule le tapis rouge
Avant cela, la place casablancaise devra d’abord abriter des banques d’affaires en charge de concevoir et ficeler des montages financiers. Doivent ensuite s’y installer les représentations d’investisseurs institutionnels (compagnies d’assurances, fonds de pensions…) ou de sociétés qui interviennent comme intermédiaires pour leur compte (fonds d’investissement, sociétés de gestion, sociétés d’intermédiation boursière…). CFC a aussi tout intérêt à ouvrir ses portes à des fournisseurs de services support, éventuellement non financiers. Il s’agit d’abord des spécialistes des prestations informatiques qui fourniront l’infrastructure technique nécessaire pour mener à bien les opérations financières (systèmes de paiement, centrales dépositaires…). Viennent ensuite les cabinets de conseil fiscal et juridique. « Le type de levées de fonds qui s’opéreront via CFC nécessiteront que des montages sur mesure soient réalisés, avec pour priorité la garantie d’une sécurité juridique et une optimisation fiscale très pointue », commente un professionnel. S’ajoutent à l’ensemble les agences de notation et d’information financière dont on ne peut plus se passer quand il s’agit d’opérations financières internationales. Et pour favoriser la mise en place de tout cet écosystème, les initiateurs de CFC ont concocté un statut incitatif : exonération de l’Impôt sur les sociétés (IS) durant les 5 premiers exercices, puis imposation par la suite à un taux réduit de 8,75%. Cet avantage fiscal, couplé à la commodité et au courant d’affaires qu’offre en général un hub financier, a déjà poussé certains acteurs à réserver leur place au sein de la City casablancaise.
Les premiers venus
Le holding Finance.com est parti en éclaireur. Le groupe de Othman Benjelloun devrait s’installer dès 2016 dans une tour de 33 étages. Plus que le siège du vaisseau amiral, y seront logés les quartiers généraux de BMCE Bank, BMCE Capital, l’assureur RMA Watanya, RMA Capital et Méditelecom. Le groupe Banque Populaire a lui aussi finalisé l’acquisition de terrains ces dernières semaines. CFG Group a fait de même en achetant un terrain in situ où il compte installer une tour high-tech de 15 étages. Reste Attijariwafa bank qui, aux dernières nouvelles, s’est contentée de prendre des options sur deux emplacements au niveau du futur hub. Et tout porte à croire que le groupe ne devrait pas maintenir le suspense bien longtemps. « Les grandes banques marocaines souhaitent toutes se ménager des relais de croissance, en dehors de la banque de détail, en développant d’autres types d’activités destinées aux grands comptes et aux entreprises, notamment à l’étranger. Mais en courtisant ces clientèles, elles se frottent à des concurrents internationaux de haut niveau. D’où l’intérêt pour elles de s’installer au niveau de CFC qui les fait accéder à un environnement réservé à la finance africaine, avec en prime l’avantage de la flexibilité et des incitations fiscales », explique un analyste.
S’agissant des groupes étrangers, ils englobent surtout des sociétés de gestion (Ad Capital par exemple) et de private equity (Brookstone Partners et autres), sans compter les cabinets de conseil juridique et d’audit, comme le célèbre Baker& McKenzie. En tout, un peu plus d’une trentaine d’acteurs ont pu décrocher le statut CFC jusqu’à présent. Cet effectif englobe aussi des sièges régionaux ou internationaux d’entreprises de services, comme Essilor, leader mondial des verres de correction, ou encore le groupe français Wendel. Et pour ces activités aussi, on déroule le tapis rouge : un taux réduit de l’impôt sur les sociétés (IS) à 10% sur une base imposable dont le montant ne peut être inférieur à 5% des charges de fonctionnement. Le paradis quoi.
Risque. Ce qui pourrait enrayer la machine Si sur le papier Casablanca Finance City a tout pour réussir, plusieurs grains de sable pourraient enrayer la mécanique. La principale ombre qui pèse sur le futur hub marocain est sans doute la qualité des infrastructures et des services de Casablanca, loin de répondre aux normes mondiales, « alors qu’il s’agit du minimum syndical exigé de tout hub financier », martèle un spécialiste. L’autre limite réside dans le manque de profondeur du marché des capitaux marocains, en attente depuis des années de se renforcer de nouveaux instruments (marché à terme, ventes à découvert, finance islamique…). « Avec sa faible taille, son manque de diversification, de liquidité et d’ouverture sur l’international, on est très loin de s‘accorder avec les ambitions de CFC », tranche un professionnel. En plus de muscler l’offre du marché, il faut aussi dénicher les compétences pointues pour mener les montages sophistiqués qui doivent être élaborés au sein de la City casablancaise. Un élément que le management de MFB semble déjà prévoir, ouvrant la possibilité aux entreprises de la City de s’offrir les services de compétences étrangères, avec en prime des incitations fiscales sur l’IR. « Les personnes non résidentes ou employées bénéficieront d’un taux libératoire de 20% sur l’IR. Ils pourront aussi déduire de leur base imposable leurs frais de transport et de voyage, ainsi que ceux de leur conjoint », signale-t-on à MFB. |
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