Suspense. Selon Pierre Lemaitre, prix Goncourt pour ce thriller palpitant, l’après 14-18 a été plus cruel que la grande guerre elle-même.
Vous tombez dans ce roman comme Albert dans son trou d’obus et en dévorez les 600 pages avec l’avidité du même Albert, enterré sous la boue, aspirant ce qu’il lui reste d’oxygène. Et vous faire suffoquer en attendant la suite, Pierre Lemaitre sait faire. Maître du suspense à la Hitchkock, il a indéniablement le sens de l’intrigue. Le roman prend donc source dans les tranchées, à quelques jours de l’armistice de 1918. Albert Maillard, comptable, Edouard Péricourt, fils d’une famille bourgeoise et artiste, et Henri d’Aulnay-Pradelle, aristocrate désargenté, montent à l’assaut de la côte 113 pour glaner quelques médailles avant la fin des hostilités. C’est surtout l’occasion de ramasser les coups qui les avaient épargnés pendant quatre ans. Et les éclats d’obus du camp adverse ne sont pas les pires…
Le récit des tranchées dans les premières pages est terrible, mais apparemment moins que la lutte pour la survie dans la société profondément transformée de l’après-guerre. Le vieux Marcel Péricourt, père d’Edouard, craint pour sa fortune et ses relations haut placées, regarde d’un œil peu indulgent ce temps cynique, qu’incarne son gendre Pradelle. Lequel se vautre au club, sûr qu’il est de remporter les marchés des cimetières militaires et des marges exorbitantes qu’il va s’adjuger. Car l’époque est à la commémoration. La société ne veut pas voir les survivants – il est vrai que certains sont « irregardables » – dont elle juge suspecte la survie. Il n’y en a que pour les morts, les seuls vrais héros. La France se couvre de monuments aux morts. Une aubaine pour les escrocs, pour peu qu’ils sachent dessiner… Pierre Lemaitre vous fait traverser tout cela avec virtuosité.
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