Maroc-Israël. Le divorce impossible

Les propositions de loi criminalisant la normalisation avec l’Etat hébreu déchaînent toujours autant les passions. Pourtant, elles se trompent de cible et ne semblent pas près d’être adoptées.

La polémique n’en finit pas d’enfler concernant les propositions de loi n° 92 et 94 qui visent à « criminaliser la normalisation avec l’entité israélienne ». La première est soutenue par quatre partis : le PPS et le PJD, formation de la majorité, ainsi que l’USFP et l’Istiqlal, dans l’opposition. La seconde émane du PAM, lui aussi dans l’opposition. A la lecture, on découvre que ces deux propositions de loi sont quasiment similaires. Et pour cause, les groupes parlementaires ont simplement proposé un texte pensé et transmis par une association : l’Observatoire marocain contre la normalisation.

Cette unité pourrait paraître surprenante de prime abord, mais elle est somme toute logique. Le soutien au peuple palestinien fait quasiment le consensus au sein de l’opinion publique. C’est la noble cause par excellence qui permet de se montrer sous un jour engagé et combatif, d’autant plus facilement qu’elle prend sa source à des milliers de kilomètres de nous. « Il ne s’agit que d’emphase démagogique », tonne Fahd Yata, le directeur de La Nouvelle Tribune, l’un des premiers à avoir consacré un édito à ces propositions de loi. « La cause palestinienne, c’est une posture facile et obligatoire », ajoute-t-il. De là à dire que ce sujet polémique est un moyen de faire oublier que l’encéphalogramme du parlement est tristement plat, il n’y a qu’un pas.

Sévère mais flou

Sur les réseaux sociaux et dans la presse nationale et internationale, les deux propositions de loi ont déchaîné les passions, en plus de susciter les rumeurs les plus folles (nombreux sont ceux qui assurent que la loi est déjà en vigueur). Rien de plus normal, tant le flou qui caractérise ces textes les rend potentiellement liberticides. Des peines de deux à cinq ans de prison et des amendes s’élevant jusqu’à un million de dirhams sont prévues pour punir un ensemble d’activités, plutôt mal définies. Le « tourisme » entre Israël et le Maroc est par exemple cité comme un acte délictueux, sans plus de précisions. Quant à l’éventail des personnes qui pourraient subir les foudres de la loi, il est vaste. Les Israéliens d’origine marocaine (entre 600 et 900 000 selon les sources) ou les bi-nationaux pourraient ainsi être victimes de ces textes. Mais aussi les Palestiniens dits « Arabes israéliens », étant donné que ces propositions de loi visent apparemment toutes les personnes résidant sur le sol israélien ou disposant de l’identité israélienne… « Criminaliser Israël ne devrait pas amener à criminaliser des personnes qui entretiennent des liens privés », nous affirme en off un représentant de la communauté juive marocaine, qui s’avoue « embêté par cette polémique ».

Pourtant, la loi « a zéro chance de passer » déclarait à un média américain Jacky Kadoch, figure de la communauté juive marocaine. Pour paraphraser Mao, nos élus ne seraient-ils en fait que des « tigres en papier » ? Ce qui est certain, c’est que « la loi a encore un très long chemin devant elle », comme le concède Rachid Roubkane, député PPS, lui-même en faveur de la loi. L’élu avoue ne pas savoir pourquoi il y a deux propositions au lieu d’une et estime qu’il faudra bien « joindre les deux textes à un moment ou un autre ». Quant à la mise en œuvre de la loi, si elle était votée, elle pourrait s’avérer des plus compliquées, puisqu’elle supposerait un nombre important de décrets applicatifs. « Cette loi n’a aucune chance, elle est à contre-courant de la position que travaille le Maroc depuis des années », assure de son côté un observateur de la vie politique qui poursuit : « Elle froisserait les lobbys américains proches d’Israël, qui sont également favorables au Maroc sur la question du Sahara, notre cause nationale. D’autre part, elle empêcherait le royaume de jouer son rôle de médiateur sur la question, un rôle important et prestigieux ». A tel point que le groupe PAM s’apprêterait discrètement à retirer sa proposition…

Solidarité possible

Reste la question de la solidarité avec le peuple palestinien. Et sur ce point, les lois proposées ne sont pas les seuls moyens de l’exprimer, loin s’en faut. Le groupe marocain de la campagne internationale BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) a récemment mis en ligne un modèle de loi, initialement publié sur le blog d’un juriste. Un texte plus long et plus détaillé que celui soutenu par les partis. Pensé initialement pour l’Etat hébreu, ce modèle de loi ne le concerne pas exclusivement et permettrait au Maroc d’affirmer son désaveu de tout pays « commettant des violations graves du droit international ». Ce texte précise qu’il ne s’agit pas de faire obstacle « aux relations familiales ou religieuses » que des Marocains pourraient entretenir, se montrant ainsi moins restrictif concernant la circulation des individus. Enfin, concernant les peines encourues, ce modèle de loi est bien plus souple. BDS Maroc propose aussi plusieurs pistes pour qui voudrait prendre ses distances avec Israël et l’isoler symboliquement et financièrement. Notamment en s’en prenant à des entreprises actives en Israël. A ce titre, des pays ont déjà donné l’exemple. En 2009, l’implication de Veolia dans la construction du tramway de Jérusalem, projet très critiqué, lui a coûté cher. La capitale de la Suède, Stockholm, lui a retiré la gestion de son métro, un très juteux contrat. D’autres villes européennes ont adopté une démarche identique. Au Maroc, qui dirige le comité Al Qods, Veolia signe des contrats et Alstom, autre société française engagée dans le projet de tramway à Jérusalem, travaille sur
le projet du TGV… Ce que condamne fermement le mouvement BDS. « Je préfère que la société civile mène son combat en faveur de la solidarité et convainque le citoyen de s’engager, plutôt que de m’en référer à une loi répressive que les plus habiles s’appliqueront à contourner au plus vite », lance Bichr Bennani, soutien indéfectible de la cause palestinienne et directeur de Tarik Editions, qui a publié au Maroc le livre Boycott, Désinvestissement, Sanctions, du militant palestinien Omar Barghouti. 

Rencontres Invite-moi si tu peux

Les visites de dignitaires israéliens suscitent toujours la polémique, mais jamais de mesures réelles.

2009. L’ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, est invitée à Tanger par l’institut Amadeus. Les rumeurs les plus folles circulent sur son séjour et les manifestations s’enchaînent. Aucune mesure concrète n’est prise quant à sa visite, alors qu’au même moment, un tribunal britannique l’empêche de se rendre à Londres en émettant un mandat d’arrêt contre sa personne.

2012. Le PJD, habitué à crier au loup – et à la normalisation –, convie Ofer Bronstein, ancien conseiller du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, à son congrès. Le parti islamiste se retrouve à son tour sous le feu des critiques. L’arroseur arrosé. Et pourtant, on pourrait considérer cette visite comme un succès : à cette occasion, Bronstein a salué le dirigeant du Hamas, Khaled Mechaal.

2013. Mohammed VI décore Malcom Hoenlein du Wissam alaouite de l’Ordre du grand officier. L’homme est un cadre de la Conférence des présidents des organisations juives américaines. Tous les membres de la Conférence siègent de facto à l’AIPAC, Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes, organisation qui soutient l’Etat israélien. Cet évènement est forcément peu critiqué au Maroc. La presse algérienne, elle, en a fait ses choux gras.

 

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