Rencontre. Depuis près de 20 ans, la compagnie fondée par la metteure en scène Naïma Zitane défend le féminisme sur les planches. Un théâtre militant qui s’inspire des maux de la société et mise sur la proximité.
Akkari, quartier populaire de Rabat, l’ancien siège de l’Istiqlal a été transformé en théâtre de proximité. Derrière le tohu-bohu du marché, une impasse donne sur cette petite maison de plain-pied, louée par la compagnie Aquarium depuis 2008. Le lieu abrite une scène de théâtre, quelques rangées de fauteuils pouvant accueillir une soixantaine de spectateurs et trois pièces, l’une transformée en coulisses, l’autre en bureau et la dernière en dépôt, pour les décors et autres matériaux. La fondatrice de la compagnie, Naïma Zitane, se souvient de l’époque où sa troupe n’avait pas encore d’espace à elle. « Lorsque j’ai créé Aquarium, en 1994, on se réunissait chez moi. A l’époque, je travaillais au ministère de la Culture et j’en profitais pour y imprimer nos dossiers », raconte, attendrie, la metteure en scène de 46 ans.
Opération sensibilisation
Au début des années 1990, lorsqu’elle quitte l’ISADAC, diplôme d’animatrice culturelle en poche, Naïma Zitane n’a qu’une seule idée en tête : se consacrer à la cause féminine. « Depuis toujours, ce sont les femmes qui m’inspirent. Au début, je me contentais de mettre en scène des textes universels contemporains. Aujourd’hui, c’est la réalité de mon pays et ce que vivent ses femmes qui sont au cœur de mon travail », explique-t-elle. Corruption, Code de la famille, scolarisation des jeunes filles en milieu rural ou encore femme et politique sont autant de thèmes qui ont donné lieu à des pièces créées par Aquarium. « Pour élaborer nos pièces, nous nous plongeons dans une masse critique de documents, faite d’études et de recherches », décrit Naïma Zitane. Dans des bourgades éloignées, sur des terrains de foot ou dans des souks populaires, la compagnie se déplace vers le public qui a inspiré les spectacles ou qui souffre des problèmes mis en scène, toujours vus à travers un prisme féminin. Du théâtre de sensibilisation et des pièces aux allures de campagnes de communication, en somme.
Faire parler le sexe
C’est en 2012, avec Dialy (Le mien), qu’Aquarium se fait connaître du grand public et des médias. Comparée aux Monologues du vagin d’Eve Ensler, cette pièce en darija, mise en scène par Naïma Zitane, est le fruit de sept mois de résidence et d’ateliers d’écoute qui ont réuni les témoignages de 150 femmes sur leurs expériences et leurs rapports à l’intime, à ce vagin qui cristallise le tabou ultime de notre société. Ayant pour but de dénoncer une « excision culturelle des mots et des expressions liées à la sexualité féminine » et de sillonner « les mémoires de femmes dans un voyage au cœur de leur intimité, comme une touriste dans son propre pays », la pièce a surtout déchaîné les passions : appels au meurtre contre les comédiennes, insultes et menaces, lynchage en règle et boycott. « On est allés jusqu’à nous accuser de vouloir déstabiliser le pays, de massacrer le peu de liberté que le Maroc avait obtenu », s’indigne Naïma Zitane.
Le public s’en mêle
Après vingt ans d’existence et quinze pièces créées, Aquarium a consacré l’année 2013 à la mise en place, en partenariat avec l’ONG Oxfam, d’un théâtre forum, l’une des formes du théâtre de l’opprimé, inventé par le Brésilien Augusto Boal. Le principe est simple : un ou plusieurs comédiens improvisent une situation d’oppression et font réagir des membres du public, qui montent sur scène pour faire infléchir le cours des événements. Aquarium s’est inspiré de la polémique sur l’art propre, de l’article 475 du Code pénal ou encore de la présence d’une seule femme dans le gouvernement Benkirane I pour animer son théâtre forum, en présence de plusieurs jeunes et moins jeunes du quartier, venus participer à l’unique rendez-vous artistique d’Akkari. Son théâtre, Naïma Zitane le conçoit comme un moyen d’éveiller les consciences, de conquérir de nouveaux espaces d’expression : « Au Maroc, nous n’avons pas encore le luxe de faire de l’art pour l’art », conclut-elle.
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