JLEC. La petite histoire d’un géant de l’électricité

JLEC. Le premier producteur privé d’électricité du pays entre en Bourse le 24 décembre. Retour sur l’histoire d’un colosse qui vaut 9 milliards de dirhams.

Gestionnaire de la centrale thermique de Jorf Lasfar, la compagnie a un seul client : l’ONEE.  Elle gère pour son compte les unités de production d’électricité installées sur place. Et l’office est obligé, en contrepartie, d’acheter toute sa production, même s’il n’en a pas besoin. Une relation particulière qui dure depuis 16 ans déjà… Nous sommes en 1996. Libéralisation, privatisation et gestion déléguée sont alors des concepts en vogue. Dans la foulée des cessions opérées par l’Etat, l’ONE, dirigé alors par l’actuel patron de la RAM, Driss Benhima, décide de déléguer une partie de la production d’électricité à des opérateurs privés. La solution idéale à l’époque pour renforcer les capacités énergétiques du royaume et alléger sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. L’appel d’offres lancé est remporté par le groupement composé par le Suédois ABB Energy Ventures et l’Américain CMS Generation. Deux géants du secteur énergétique qui s’allient en joint-venture pour créer en 1997 une société de droit marocain. Son nom : Jlec.

Dans la cour des grands

La société a pour mission de gérer, sur une durée de 30 ans, les deux unités électriques de Jorf Lasfar, mais aussi la construction de deux nouvelles unités thermiques. La machine américano-suédoise se met vite en branle. Pour respecter son engagement avec l’Etat marocain, Jlec est créée avec un capital de départ de 100 000 dirhams, et a besoin de 1,6 milliard de dollars américains. Cet investissement, le plus gros jamais réalisé au Maroc, mobilise à l’époque pas moins de six banques internationales. Construites par le Français Alstom, les deux unités entrent en activité dès 2001, faisant de Jlec le premier fournisseur d’électricité du royaume. Et pendant que le business de Jlec prospère, une transaction entre big players conclue en 2007 va changer une donne importante : ABB et CMS, les deux co-actionnaires de Jlec, qui possèdent également d’autres intérêts en Afrique et en Asie, sont rachetées par le groupe Taqa. Dans la foulée des actifs récupérés au Ghana, en Inde et en Arabie Saoudite, le géant émirati se retrouve actionnaire exclusif de la compagnie marocaine. Un bien heureux hasard.

Houna Abu Dhabi

Créée en 2005 par le gouvernement d’Abu Dhabi, le groupe Taqa compte parmi les 25 leaders mondiaux des secteurs de l’énergie et de l’eau. Pétrole, gaz, électricité, énergies renouvelables… son expertise est large. Présent un peu partout dans le monde (Etats-Unis, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Inde, Moyen-Orient…), le groupe a un total bilan de plus de 30 milliards de dollars et gère une capacité installée deux fois supérieure à celle du Maroc. « Le rachat de Jlec par Taqa nous a rassurés. L’électricité est un domaine très stratégique et les Emiratis sont des partenaires crédibles. On savait qu’on pouvait compter sur eux », se rappelle un ancien haut cadre de l’ONE. Taqa ne pouvait mieux tomber qu’en cette période. La demande en électricité croît tous les ans de 7%, et la production nationale n’arrive pas à suivre. Les délestages qui ont poussé les autorités à libéraliser le secteur dans les années 1990 refont surface. Et l’option d’une extension de la centrale de Jorf Lasfar est mise à l’ordre du jour. Jlec saisit l’opportunité et s’engage à lancer la construction des unités 5 et 6. Un contrat signé au palais royal de Fès, devant le roi Mohammed VI et le prince héritier de l’émirat d’Abu Dhabi, Mohamed Bin Zayed Al Nahyan. Ses termes ne sont pas très différents du contrat de concession initial signé en 1997. D’une durée de 30 ans, la concession des unités 5 et 6 devrait courir de 2014 à 2044, tandis que le premier contrat arrivera à terme en 2027. Logé dans une filiale nouvelle, baptisée Jlec 5 et 6, le projet est lancé en 2010 pour un investissement de 1,6 milliard de dollars. Taqa, qui s’assure d’une nouvelle concession de 30 ans sur un secteur en plein boom, allonge une partie en fonds propres et met tout son poids pour arracher un méga-emprunt bancaire de 1,3 milliard. Une dette en multidevises qui a mobilisé un pool de sept banques internationales, dont une coréenne et deux japonaises. Une première dans l’histoire de la project finance au Maroc, qui a valu au groupe le prix de « l’African Power Deal Of The Year », décerné par la prestigieuse publication britannique Project Finance Magazine. Près de quatre ans plus tard, les deux unités sont quasi prêtes et devront entrer en service dès le premier semestre 2014. Quatre années où Jlec a aussi privé ses actionnaires de dividendes. « On ne peut pas distribuer de dividendes quand on est engagé dans ce type de projet. Même si le financement était bouclé, il fallait se prémunir contre n’importe quel risque », explique le président du directoire de Jlec, Majid Iraqui Houssaïni. Mais ce n’est apparemment que partie remise.

Un Noël à la Bourse

L’entrée en activité des deux nouvelles unités permettra à Jlec de fournir la moitié des besoins en électricité du royaume contre 38% aujourd’hui. Résultat : son chiffre d’affaires, mais surtout ses bénéfices, vont doubler sur les quatre prochaines années. Un pactole qu’elle compte désormais distribuer totalement à ses actionnaires, « tout en respectant les engagements financiers conclus avec ses banquiers », signale le management de Jlec. Et comme pour se donner bonne conscience, la société décide d’abord d’ouvrir son capital à un actionnariat marocain, histoire de partager les fruits de cette belle concession publique. Premier coup : l’augmentation de capital de 500 millions de dirhams souscrite par trois investisseurs institutionnels de la place : la compagnie RMA Watanya de Othman Benjelloun, le groupe mutualiste Mamda-Mcma et la filiale réassurance de la CDG, la SCR. Un placement privé bouclé la semaine dernière, et qui ouvre la voie à l’étape suivante et la plus décisive : l’introduction en Bourse, par voie d’augmentation de capital d’un milliard de dirhams. Un argent qui servira à rétribuer les actionnaires de l’entreprise, les anciens comme les nouveaux. « Les actions émises auront pour date de jouissance l’année 2013, même si l’action ne sera cotée que le 24 décembre. Tout porteur du titre pourra profiter des dividendes à distribuer », précise le directeur financier du groupe, Omar Alaoui Mhamdi.  Un joli cadeau de Noël.   

Valorisation. Chère ou pas chère ?

Le prix de la valeur Jlec  divise les analystes. Valorisée à 25 fois ses bénéfices nets, l’action est l’une des plus chères de la place casablancaise, où la moyenne du multiple de résultats ne dépasse pas 19. « Le ratio 2013 n’est pas à prendre en considération, car il ne tient pas encore compte des revenus de notre filiale Jlec 5 et 6. Dès 2015, cet indicateur descendra à 12 fois la valeur de nos résultats prévisionnels, en ligne avec la valorisation de notre maison mère Taqa sur le marché d’Abu Dhabi », explique le directeur financier de Jlec, Omar Alaoui Mhamdi. Autre ligne de défense du management de Jlec : le rendement sur dividende, qui devrait rester stable autour de 8% sur toute la durée de projection du business plan de la société.  Une générosité qui se manifestera dès 2014 : « L’action achetée à ce prix offrira dès l’année prochaine un bon rendement sur le dividende, puisque le produit de l’émission et le report à nouveau seront distribués à tous les porteurs du titre. Ce sont pas moins de 2 milliards de dirhams qui seront servis aux actionnaires », précise le financier du groupe. Mieux encore, les prévisions du business plan de l’introduction en Bourse ne prennent pas en compte les futures affaires que compte développer la société. «  La consommation d’électricité au Maroc double tous les 10 ans. Et nous sommes disposés à investir dans d’autres projets énergétiques pour répondre à cette demande, que ce soit dans le charbon, l’éolien, le solaire ou dans les autres énergies renouvelables. Notre business plan n’intègre pas encore ces possibilités de développement », confie Majid Iraqui Houssaïni, le patron du groupe.

 

 

 

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