La présidente de L'Organisation PanAfricaine de Lutte contre le Sida tire la sonnette d’alarme. Le Royaume accuserait de lourds retards, selon elle. Explications.
TelQuel : Quel bilan faites-vous de la lutte contre le sida depuis 1986, date à laquelle le premier cas a été enregistré au Maroc ?
Nadia Bezad : Il y a une stratégie nationale, beaucoup de choses ont été faites, d’autres pas et d’autres pas bien. Mais chaque année il y a de nouvelles infections, et la courbe est ascendante. D’autres pays subsahariens ont pu inverser la tendance de la courbe. Ils ont moins de ressources que nous et ils y sont arrivés, grâce à une bonne coordination, et ils se sont occupés de l’éducation sexuelle des jeunes. Au Maroc, on enregistre 10 cas de contaminations chaque jour, 4 décès par jour à cause du sida, et 100 à 150 bébés naissent sidéens chaque année. On ne peut pas dire que le Maroc a une faiblesse prévalence. Le discours sur la faible prévalence du sida est faux et dangereux. Il faut faire plus d’études et de campagnes de sensibilisation.
Considérez-vous que l’Etat joue son rôle ?
Pas suffisamment. Le ministère de la Santé fait ce qu’il peut mais le ministère des affaires sociales ne joue pas son rôle. Bassima Hakkaoui (ndlr : Ministre des Affaires sociales) brille par son absence. Elle ne s’occupe pas de cette problématique, nous l’avons convié à plusieurs réunions, elle n’est jamais venue, et n’a envoyé personne pour la représenter. La trithérapie existe au Maroc, le dépistage aussi. Mais le sida n’est pas une question médicale c’est une épidémie sociale. Derrière cette maladie il y a beaucoup de facteurs sociaux : la pauvreté, l’inégalité des sexes, la discrimination des personnes séropositives, etc.Tous ces facteurs sont laissés à l’abandon. Nous ne sommes qu’au début du sida, or cette maladie n’est pas une priorité au Maroc. Nous n’atteindrons jamais les objectifs fixés à l’horizon 2015 de zéro contamination.
Aujourd’hui, le dispositif légal permet-il de protéger les personnes séropositives ?
La loi ne spécifie pas le sida, mais parle de toutes les maladies chroniques. Il est donc interdit de discriminer une personne qui en est atteinte , mais la loi n’est pas appliquée. Même dans les hopitaux, certains médecins ne veulent pas toucher aux personnes atteintes du sida. Pire, au sein d’un couple, souvent lorsque les deux partenaires sont séropositifs, l’homme répudie sa femme et en prend une autre. Il arrive que certains se défendent et obtiennent gain de cause, mais c’est très rare, car ils ont peur de témoigner, ils vivent dans une souffrance extrême.
Pourquoi les associations qui s’occupent du sida ne donnent pas une impression d’unité ?
Lorsqu’il était question de lancer un Sidaction au Maroc, nous pensions que nous allions suivre la même procédure qu’en France : appel à témoignages et à dons puis réunion d’un comité national qui déciderait des projets à mener. L’ALCS (Association de Lutte contre le Sida) a souhaité garder tous les fonds, nous ne voulions donc pas y participer. Il y a eu une accaparation de l’événement. C’est un éclaircissement que je veux faire : nous ne bénéficions pas du Sidaction, et donc des aides du citoyen. Au Maroc, il manque une coordination nationale entre les entités qui s’occupent du sida. Nous n’avons pas besoin de milliards nous avons besoin d’une vraie prévention.
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