Afrique du Sud. Mandela laisse la lutte en héritage

Nelson Mandela, symbole du combat contre l’apartheid, est décédé jeudi 5 décembre à l’âge de 95 ans. S’il a toujours refusé d’incarner la figure du héros irréprochable, il n’en fut pas moins un homme exceptionnel, dont l'engagement a inspiré l’antiracisme dans le monde entier.

 

Mvezo, petit village d’Afrique du Sud, le 18 juillet 1918. Nelson Mandela, futur porte-drapeau de la lutte contre l’apartheid – la ségrégation raciale systématique –, futur président d’une république devenue arc-en-ciel, vient de naître. L’apartheid, installé en 1948 avec l’arrivée au pouvoir du Parti national (NP), afrikaner, n’existe pas encore. Les Noirs n’en sont pas moins exclus de la vie politique de leur pays, devenu un dominion britannique en 1910. Après le décès de son père, en 1927, dont l’appartenance à la famille royale vaut à Nelson Mandela d’être recueilli par le régent des Thembus, une population appartenant au peuple Xhosa, il reçoit une formation destinée à le préparer à devenir chef. Déjà entraîné par la cristallisation des contradictions de son pays, il rompt cependant avec sa tutelle et part en 1941 pour Johannesbourg.

La ville minière, « ville de l'or », fait alors briller les yeux des jeunes de tout le pays. L’immense métropole le voit épouser la cause nationaliste, et il intègre le Congrès national africain (ANC). Arrêté en 1956 pour avoir participé à la rédaction de la Charte de la liberté, qui prône l’établissement d’une Afrique du Sud démocratique et plus égalitaire, il est jugé une première fois pour haute trahison en compagnie de nombreux autres militants. Cette fois-ci, tous sont acquittés. Les manifestants du township de Sharpeville, près de Johannesbourg, n’auront pas cette chance. Le 21 mars 1960, la répression fauche soixante-neuf d’entre eux, venus à l’appel du Congrès panafricain (PAC), une scission de l'ANC. Suite au massacre, les deux partis sont interdits, plongeant leurs membres dans la clandestinité.

Un terroriste pour Thatcher

Face au déchaînement de la violence raciste, l’ANC constate l’échec des moyens de protestation pacifiques qu’il prônait jusque-là. En 1961 est fondée la branche armée du mouvement. À sa tête, Nelson Mandela. De ce virage, pleinement assumé, il tirera une formule devenue célèbre à l’heure d’écrire ses mémoires : « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’a pas d’autre choix que de répondre par la violence. » Les dirigeants de l’ANC s’appuyèrent notamment sur l’aide de l’URSS et du Vietnam, et Mandela gardera une solide reconnaissance pour Fidel Castro – invité d’honneur lors de son intronisation comme président, en 1994 – suite à l’intervention des Cubains en Angola. À l’inverse, l’actuelle amnésie collective d’un certain nombre de dirigeants occidentaux de l’époque – qui oublient aujourd’hui bien souvent cet épisode de leur vie politique – n’a d’égal que la virulence de leurs condamnations de l’ANC et de Mandela, pour certains jusqu’à la veille de la chute du régime d'apartheid. Margaret Thatcher, la dirigeante britannique, qualifie ainsi l'ANC d'« organisation terroriste ordinaire ». Pendant ce temps, l’administration Reagan soutient plus ou moins ouvertement les Afrikaners au pouvoir. Les Israéliens fournissent le régime en armes et la France signe la construction de deux centrales nucléaires en Afrique du Sud.

Travail forcé

Dans l’année précédant son arrestation, Mandela parvient à sortir du pays, et il entreprend une spectaculaire tournée africaine. Son extraordinaire pied de nez aux autorités du pays, qui ne parviennent pas à l’arrêter, le transforme en héros pour beaucoup, et en homme à abattre pour le pouvoir. Finalement arrêté en août 1962, sans doute en partie grâce à l’aide de la CIA, selon un rapport cité par le New York Times, il est condamné l’année suivante à la prison à vie, en compagnie d’autres cadres du mouvement.

Commencent alors vingt-sept longues années de prison, à la tristement célèbre Robben Island d’abord, puis à Pollsmoor (au Cap) en 1982, et à Victor Verster (à Paarl) en 1988. Cette période laissera des traces sur le prisonnier nº 46664 et sur ses camarades. Il est régulièrement hospitalisé, à partir de 1988, pour des affection respiratoires dues à l’humidité de sa cellule et à la poussière des carrières dans lesquelles il est forcé de travailler. Hors des murs, le combat continue. « Il n’y a qu’un seul être dans ce pays qui soit opprimé. C’est le Noir. Nous n’allons pas cesser de harceler le pays tout entier à coup de grèves », lançait Winnie Mandela, sa seconde épouse, dans les colonnes du Monde diplomatique en 1986. Un concert à Wembley, au Royaume-Uni, donné pour ses soixante-dix ans, en juin 1988, réunit 72 000 personnes. Le prisonnier Mandela devient alors de plus en plus gênant. En 1985, il lui est proposé de le libérer en échange de son renoncement à la violence. Il refuse. La ligne sans concession de Mandela et des siens mettent le régime d’apartheid dans une impasse.

Premières élections libres

Après l’arrivée de Frederik De Klerk à la tête de l'État, en 1989, Mandela est libéré, le 11 février 1990, devant les caméras du monde entier. À partir de là, l’histoire se précipite. En 1991, il prend la tête de l'ANC et l’apartheid est aboli. Les mois de négociation qui suivent sa libération permettent d’aboutir aux premières élections libres du pays, le 27 avril 1994, qui portent Mandela à la tête de la république. Sa présidence est marquée par la reprise du pouvoir politique par les Noirs, mais le renoncement par l’ANC à son programme de transformation sociale laisse l’essentiel de l’économie dans les mains de la minorité blanche.

Pour autant, le prestige de Mandela, qui quitte le pouvoir en 1999, est demeuré intact. Les scandales de corruption qui touchent par la suite l’ANC ont aussi contribué à renforcer l’admiration pour l’homme, à défaut de l’organisation qui a porté son combat. Les dernières années de sa vie sont consacrées aux victimes du Sida et aux enfants, et il intervient également comme médiateur dans le conflit burundais, en 2000. Remarié une troisième fois, en 1998, avec Graça Machel, veuve de l’ancien président du Mozambique, les ennuis de santé de Mandela s’étaient multipliés au cours de la dernière décennie. En 2011 et 2012, il était hospitalisé pour des infections respiratoires aiguës. Le 28 mars 2013, il était de nouveau admis à l’hôpital pour une pneumonie, avant d’y revenir le 8 juin. Considéré comme étant critique, son état a ensuite été jugé stable avant de s’améliorer. La mort de Nelson Mandela, le 5 décembre, à l’âge de 95 ans, tire le rideau sur une vie hors du commun, malgré les vingt-sept années de vide carcéral imposées par le régime des Afrikaners. Mandela n’est plus, mais sa figure restera le symbole vivant d’une Afrique et d’une humanité en lutte contre le racisme et le colonialisme.

 

 

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