Sahara. Le Maroc dos au mur

Le récent rapport du Conseil économique, social et environnemental intervient dans un contexte d’urgence pour le Maroc, sommé par les Etat-Unis de hâter le pas dans la démocratisation et le développement humain du Sahara.

Nous y avons droit tous les ans. Chaque avril, le Conseil de sécurité de l’ONU se penche sur le morceau de continent qui nous sert de cause nationale. La dernière fois, le pire a été évité de justesse : les Etats-Unis ont annoncé qu’ils comptaient demander l’extension du mandat de la Minurso aux droits de l’homme… avant de se raviser quelques jours plus tard. Pour le royaume chérifien, une telle mesure, si elle était entrée en vigueur, aurait été un cuisant revers : en rognant encore plus la souveraineté déjà précaire du Maroc sur le Sahara, elle aurait envoyé un signal négatif à l’ensemble des régions du pays et, crainte ultime, mis à mal la légitimité de la monarchie dans sa gestion du dossier saharien.

La cause nationale, une affaire royale

Car, faut-il le rappeler, c’est bien la monarchie qui, depuis toujours, est aux commandes dans le conflit qui nous oppose au Polisario. Toutes les grandes inflexions ont été pensées et pilotées directement par le Palais : Marche verte (1975), adoption du principe d’autodétermination (1981), plan d’autonomie et reprise du dialogue avec le Polisario (2007). Et à chaque fois que des voix se sont élevées pour contester ces

décisions hautement stratégiques, elles ont été systématiquement ostracisées : l’épopée de la Marche verte a coïncidé avec les pires heures de la répression des années de plomb ; en 1981, Abderrahim Bouabid a été emprisonné pour avoir critiqué la décision de Hassan II d’accepter le principe d’un référendum d’autodétermination ; le même dénigrement des brebis égarées du consensus national perdure sous le règne de Mohammed VI puisque, après avoir nié l’existence même du Polisario et qualifié de traîtres tous ceux qui évoquaient la possibilité d’établir un dialogue, la monarchie a fait une volte-face stupéfiante en 2007 en proposant un plan d’autonomie et en s’engageant dans un processus de pourparlers avec les séparatistes sahraouis.

Nous en sommes restés là. Depuis 2007, c’est le Plan d’autonomie des provinces du sud, ou plutôt, de son vrai nom, l’Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie de la région du Sahara, qui est au centre des discussions. Court mais dense, le texte concède de nombreux attributs de souveraineté à la région autonome du Sahara, qui devrait être dotée de ses propres gouvernement et parlement, l’Etat central marocain gardant la main sur les principaux domaines régaliens (symboles nationaux, commanderie des croyants, politique étrangère, défense, etc.) Depuis bientôt 8 ans, c’est donc ce document de 5 pages qui constitue la pierre angulaire de la diplomatie marocaine. Pleine de bonnes intentions et de belles promesses, l’initiative marocaine a séduit au-delà de ses frontières. Mais après avoir conté fleurette, vient le temps de tenir ses engagements. Et c’est justement là où le bât blesse : le Plan d’autonomie est resté lettre morte. Sur le terrain, la situation s’est même détériorée. En novembre 2009, la médiatisation des déboires de la militante séparatiste Aminatou Haïdar a porté préjudice à l’image du royaume, tout comme le démantèlement brutal, un an plus tard, d’un campement de militants indépendantistes à Gdim Izik. A ce stade, un constat s’impose : si le régime marocain avait réussi à créer la prospérité au Sahara, jamais les thèses indépendantistes n’auraient autant eu le vent en poupe. C’est la gestion de ce dossier par la monarchie, en dehors de toute reddition des comptes, qui est aujourd’hui en question.

Un rapport pour changer la donne ?

Pour autant, la partie n’est pas perdue, ni même encore jouée. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient en effet de rendre public un rapport commandé par le souverain et rédigé sous la houlette de son ex-président, Chakib Benmoussa (aujourd’hui ambassadeur à Paris), sobrement intitulé “Modèle de développement pour les provinces du sud”. En mars dernier, un rapport intermédiaire du CESE, consacré à la situation des droits de l’homme au Sahara, avait notamment épinglé la “prégnance de la logique sécuritaire sur les comportements de l’administration” et le “système de rente”, mais il n’avait apparemment pas suffi à empêcher les Etats-Unis de brandir la menace d’une extension du mandat de la Minurso. Qu’à cela ne tienne, le présent rapport est encore plus complet que le précédent et il a le mérite de proposer une perspective ambitieuse (voir encadré). Tout en préconisant le démantèlement du système des rentes, le CESE lance des pistes de réflexion pour la création d’une économie régionale intégrée, optimisée par un nouveau modèle de gouvernance.

Autant le dire clairement, les membres de la commission ad hoc du CESE ont délivré un travail de qualité, qui sera sans doute un atout pour Mohammed VI lorsqu’il évoquera la question du Sahara avec Barack Obama. Mais sera-t-il autre chose qu’un énième rapport non appliqué ? Parmi ses auteurs, les avis semblent en tout cas converger. “La grande difficulté, c’est l’application. Le gouvernement et le parlement doivent maintenant s’approprier notre travail”, affirme un membre du CESE. “Nous avons besoin d’une mise en œuvre progressive et volontariste, abonde un de ses collègues. Il faut mener des actions à court terme”.

L’urgence est en tout cas bien palpable. Après s’être trop longtemps reposé sur les lauriers de son Plan d’autonomie, le Maroc a découvert avec stupeur une jeunesse sahraouie militante, lassée d’attendre la réalisation de vagues promesses, si ce n’est radicalisée par l’approche sécuritaire qui prévaut encore dans les provinces du sud. Le Maroc doit encore gagner les cœurs. Contrairement aux Marocains du nord, qui n’ont guère le choix à chaque fois que le Makhzen revient sur ses promesses de réformes profondes, les Sahraouis ont une alternative, celle de l’indépendance. La question qui reste posée est la suivante : le Makhzen peut-il se réformer ? La recette proposée par le CESE ne contient-elle pas implicitement une remise en cause de l’ADN même du régime ? La promesse de régionalisation avancée que la monarchie a elle-même formulée n’implique-t-elle pas des ruptures radicales au Sahara, mais aussi dans tout le royaume ? A l’unanimité des observateurs, le Makhzen et la monarchie sont en tout cas au pied du mur… et la démocratie se trouve derrière.

En bref. Le rapport du CESE

Objectifs à 10 ans :

– Doubler le PIB des provinces du sud

– Créer 120 000 emplois

– Réduire le chômage de moitié

– Faire des provinces du sud un hub africain

Pour cela, il faut :

– 140 milliards de dirhams de surplus d’investissement sur 10 ans

– Rationaliser et élargir le système d’aides étatiques

– Instaurer une gouvernance responsable

– Créer des pôles de compétitivité

S’il fallait retenir 1 recommandation :

– Instituer une haute autorité en charge de mettre en œuvre le rapport du CESE ; elle serait responsable devant le parlement.

 

Chiffres. Le Sahara, c’est…

 1 million d’habitants et 59% du territoire national

15 % de chômeurs contre 9% à l’échelle nationale

3 régions et 10 provinces

4,3% du PIB national, soit 33 milliards de dirhams (2010)

4,6 milliards de dirhams d’aides étatiques annuelles

 

 

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