Législation. Hakkaoui fâche les féministes

Initié par le ministère de la Solidarité, le projet de loi sur la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas près d’être adopté… Le point sur un texte à double lecture.

Rien ne va dans ce projet de loi !”, fulmine, de but en blanc, Asma El Mehdi. La militante, coordinatrice du collectif Printemps de la dignité (composé de vingt-trois associations) est catégorique. Le projet de loi 103.13 contre les violences faites aux femmes, soumis par le ministère de Bassima Hakkaoui, ne trouve grâce à ses yeux ni dans la forme ni dans le fond. “Son seul point positif, c’est qu’il est désormais envisagé par le secrétariat général du gouvernement”, raille la féministe, qui va jusqu’à qualifier Hakkaoui d’“ennemie du droit des femmes”. Si elle n’est pas tendre avec la ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, c’est qu’elle se sent, au même titre que le mouvement qu’elle défend, flouée. A l’image de la majorité des associations et militantes féministes du pays, Asma El Mehdi se scandalise du mépris affiché envers la société civile, une fois de plus tenue à l’écart de l’élaboration d’un projet de loi au cœur de sa cause. Mais attention, il ne s’agit ni d’ego mal placé, ni de quête de reconnaissance. Pour la militante comme pour le collectif qu’elle coordonne, Bassima Hakkaoui passe plus de temps à ignorer l’expertise des associations sur le terrain, au lieu de s’en servir pour mieux faire son travail.

Une vision tronquée

A première vue, le projet de loi soumis par Bassima Hakkaoui (qui fait partie de son plan Ikram de parité, qui s’étend jusqu’en 2016) et appuyé par le ministère de Mustafa Ramid a de quoi enthousiasmer les néophytes : la législation rêvée par Hakkaoui condamne les violences physique, psychologique et économique, sanctionne le vol entre époux, le harcèlement sexuel, la discrimination et la diffamation, évoque l’institution d’instances de prise en charge et de cellules d’orientation et érige la lutte contre les violences faites aux femmes au statut de priorité gouvernementale. Pour Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique pour les droits de la femme (LDDF), ce document est une bonne base de travail, mais sûrement pas un projet de loi complet. “Abstraction faite de son arrivée tardive par rapport aux engagements des gouvernements précédents et actuel, ce texte comporte, malgré tout, quelques avantages : il ne se limite pas à la violence conjugale, comme l’avaient envisagé Nouzha Skalli et Yasmina Baddou, et s’ouvre à plusieurs problématiques qui touchent quotidiennement la femme”, explique-t-elle. Sauf que le texte, à la source, est truffé de contradictions. “Le préambule du projet, très encourageant, n’a rien à voir avec les mesures proposées”, déplore Fouzia Assouli. Même son de cloche du côté de Najat Razi, présidente de l’Association marocaine pour les droits de la femme (AMDF), qui estime que l’élaboration des articles est en totale contradiction avec la note introductive du projet de loi, présentée comme une lettre séparée. En somme, les féministes ont été emballées par la note introductive du document, en adéquation avec leur combat et leurs référentiels (droits humains, approche par genre, discriminations, etc.), puis sont tombées des nues en découvrant les dispositions présentées. Pour Najat Razi, le document de Hakkaoui ne souffre pas de manque partiel, il pèche par “son approche, sa vision et sa philosophie”.

Les femmes et les enfants

Outre la mise à l’écart du mouvement féministe et la discordance entre la note introductive et les dispositions présentées, le collectif Printemps de la dignité pointe du doigt plusieurs lacunes dans le projet de loi Hakkaoui. Il dénonce notamment l’absence de cohérence et la “formulation générique” du texte, “l’abandon des fondamentaux de l’approche genre dans les objectifs et la démarche”, mais aussi “la confusion engendrée par l’inclusion de l’enfant […] dans un texte qui traite des violences faites aux femmes”. En effet, le projet de loi met dans le même sac les violences perpétrées à l’égard des femmes et des enfants. “A qui s’adresse cette loi ? demande  Najat Razi. Parle-t-on d’enfants victimes de violences ou d’enfants de femmes violentées ?”. “L’approche doit être différente, commente Asma El Mehdi. Si cette loi finit par voir le jour, elle ne répondra ni aux besoins des femmes, ni à ceux des enfants”. Pour les féministes, cet amalgame est non seulement dangereux, mais est représentatif du manque de vision globale et claire du projet. “Au niveau même du texte, certaines définitions sont floues, alternant entre égalité et parité. Ce genre d’imprécisions fait peur, parce qu’il peut dévier le projet de ses objectifs”, s’alarme Fouzia Assouli.

Les modalités d’application de la future loi ne semblent guère plus convaincre les féministes. “La formation, la prévention, la sensibilisation et les mécanismes de prise en charge ne sont pas détaillés dans le texte”, poursuit Assouli. Plus encore, il n’est question, selon Asma El Mehdi, que de répression et de criminalisation. “L’unique solution présentée par Hakkaoui est le passage par la case prison. Pour nous, il ne suffit pas d’apporter des retouches à des articles du Code pénal. Il faut focaliser sur la sensibilisation et la prévention, mais aussi penser, dans certains cas, à des approches participatives et à des peines alternatives”, critique la militante.

Deux poids, deux mesures

“Nous avons appris l’existence de ce projet de loi dans les médias ! s’exclame Asma El Mehdi. Ce n’est pas seulement frustrant, c’est révoltant”. Tous les plaidoyers, mémorandums et études proposés par la société civile ont été boudés par Bassima Hakkaoui. “Si le projet tenait la route, notre colère aurait été moindre, renchérit Najat Razi. Malheureusement, ce document constitue un recul, un déni de toutes les avancées du Maroc. Il ne respecte ni la stratégie internationale du pays, ni les conventions qu’il a signées, et encore moins sa Constitution, qui stipule que la société civile doit être impliquée”.

Au moment où le collectif Printemps de la dignité demandait, via un communiqué, une révision du projet de loi et appelait à un dialogue structuré et ouvert, Abdelilah Benkirane formait une commission gouvernementale, présidée par lui-même, chargée d’examiner et d’amender le projet de loi. Alors que les plus optimistes y voient une petite victoire pour le mouvement féministe, il s’agirait, au contraire, de limer certaines dispositions du texte jugées… un peu trop progressistes. La principale concernée, Bassima Hakkaoui, garde le silence.

Réactions. Le harcèlement sexuel en débat

Lorsque le projet de loi émis par le ministère de Bassima Hakkaoui a été rendu public, médias et citoyens n’y ont vu que la criminalisation du harcèlement sexuel. Dans la presse et sur les réseaux sociaux, le débat, houleux, a déchaîné les passions, jetant les autres propositions de la ministre aux oubliettes. Si tout le monde s’est focalisé sur le harcèlement sexuel, c’est “le résultat du non-accès à l’information. Bassima Hakkaoui et son ministère n’ont pas commenté leur projet, se contentant de le diffuser et de disparaître, comme s’il s’agissait d’un secret d’Etat”, selon Najat Razi, présidente de l’Association marocaine pour les droits de la femme. Cette dernière admet néanmoins que le harcèlement est un “sujet qui mobilise et fait peur aux gens : à chaque fois que l’on parle d’une loi qui pourrait mettre fin à l’impunité, des voix s’élèvent pour refuser le changement”.

 

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