Samedi 9 novembre, Agadir a accueilli la neuvième édition du Concert de la Tolérance. Retour sur les coulisses d’un évènement où le Maroc n’est qu’un décor, et les Marocains des figurants.
“Oh, mais c’est magnifique, ça sent la fleur d’oranger ! Et toute cette agitation, on dirait un souk !”, s’exclame avec enthousiasme Sanda, l’épouse de Michel Fugain, lors de son entrée dans le hall du Sofitel d’Agadir. Ce samedi matin, le grand hôtel accueille une conférence sur le dialogue des cultures, organisée en marge du Concert de la Tolérance. Tous les intervenants sont là, ainsi que les artistes, qui sont interviewés par les médias. Mais c’est l’anarchie totale. Dans le patio de l’hôtel, on peut croiser Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et président de l’Association pour la tolérance, le politologue Mohamed Tozy, la chanteuse anglaise BB Brown, le peintre Mehdi Qotbi ou encore le chanteur Brice Conrad. Les attachées de presse n’ont d’yeux que pour les médias de l’Hexagone, qui ont droit à de longues minutes d’interviews avec les artistes de leur choix. Quant aux journalistes marocains, ils sont presque invisibles dans cette cohue, qui ressemble vraiment à la place Jamaâ El Fna. “Tu voulais un entretien avec Sofia Essaïdi, c’est ça ? Tu dois la rejoindre tout de suite, elle ne donne que dix minutes à toute la presse marocaine”, nous lance l’une des attachées de presse. Etant donné qu’une dizaine de journalistes sont présents, cela veut dire une minute pour chaque “entretien”. “Tu sais, il faut t’estimer heureuse, lors des éditions précédentes les médias marocains ne pouvaient interviewer quasiment personne”, nous explique une journaliste.
A la recherche de Vigon
Les artistes marocains n’ont pas l’air de figurer parmi les priorités des organisateurs non plus. Fnaïre et Ribab Fusion ou Van ne sont pas là ce matin. Et lorsqu’on essaie de savoir si notre interview avec Vigon – demandée plusieurs jours à l’avance – a été calée, l’attachée de presse nous regarde avec un air étonné : “Je ne sais pas, mais il était là dans le patio de l’hôtel tout à l’heure, tu ne l’as pas vu ? Tu ne veux pas parler à Collectif Métissé à la place ?”. Cette question, incongrue, est posée à plusieurs journalistes, dont la majorité ignore qui est ce groupe. Heureusement, Chico, le fondateur des Gypsy Kings, est là et il se montre très enthousiaste pour notre interview. L’occasion de discuter avec un artiste posé et sympathique, rencontré la veille, lors de la soirée habituelle donnée en l’honneur des artistes et des VIP du concert. Vers les coups de 14h, branle-bas de combat. Les chargées de communication nous expliquent qu’une rencontre est prévue avec Dany Brillant, qu’il ne faut absolument pas être en retard, parce que “sinon, vous ne pourrez pas rentrer sur le site du concert”. “Oui, mais où est Vigon ?”, répondons-nous. “Euh, aucune idée, il a disparu, personne n’arrive à le joindre”. Sur la route qui mène à la scène, le dispositif de sécurité est impressionnant. Plusieurs rues sont bloquées, et la Marina d’Agadir est carrément transformée en base militaire, avec des estafettes à chaque mètre. Du jamais vu, même lors du Festival Mawazine de la capitale. “A ce qu’il paraît, c’est parce que les artistes français sont un peu inquiets après ce qui est arrivé aux reporters de RFI au Mali la semaine dernière”, explique un journaliste étranger habitué du festival. Mais bien sûr. Comme si les kidnappings, les exécutions et les bombes étaient monnaie courante au Maroc. A 17h, nous sommes dans les back-stages. Un décor sorti d’une carte postale de Dakhla, le tout ayant été aménagé sous forme de bivouacs. Des serveurs en tenue traditionnelle circulent, un plateau de thé à la main. On se croirait à Disneyland, dans la partie réservée à Aladin. Dany Brillant est assis sous une tente, lunettes de soleil sur le nez et sourire impeccable sur le visage. A 47 ans, l’artiste n’a pas une seule ride. Lui non plus n’accorde pas d’interview individuelle, et donne finalement une sorte de conférence de presse express dans ce cadre étrange, digne d’un mauvais tableau orientaliste. Trente minutes plus tard, les organisateurs nous expliquent qu’il faut absolument sortir des back-stages, “parce qu’en fait vous n’avez pas le droit d’être là”. Plutôt surprenant, quand des journalistes français se baladent tranquillement à nos côtés, leur verre de thé à la main…
Une soirée intolérable
Il est 21h et le concert est sur le point de commencer. La plage et la Marina sont archibondées. Au niveau de l’entrée des artistes, des happy few rentrent en back-stages. Parmi eux, Aziz et Salwa Akhannouch of course, Salim Cheikh, le big boss de 2M, ou encore l’islamologue algérien Malek Chebel. Mais également des dizaines d’adolescentes qui ont réussi à se dégoter des badges “guest” pour voir de près Brice Conrad, Vincent Niclo ou encore Mickael Miro, les nouveaux beaux gosses de la scène pop française. Autour des back-stages, un énorme grillage, donne des allures de prison dorée à ces bivouacs de luxe. Mais une fois devant la scène, c’est la déception. La zone VIP est gigantesque, et il est impossible de voir les artistes. La scène, aménagée comme un plateau télévisé, est très basse et blindée de caméras. “Tu vois quelque chose ? Moi je ne vois que des pylônes et le sommet du crâne de Momo de Hit Radio”, nous lance une consœur. Plusieurs mètres derrière, des barrières nous séparent du public gadiri, qui “aperçoit” les artistes sur deux écrans géants. Et le sable et le vent froid ne sont pas les meilleurs alliés pour profiter du spectacle. Bref, survivre à un Concert de la Tolérance est un véritable exploit. Mais le pire reste sans aucun doute la programmation. Des momies de la chanson française, et des petits nouveaux insipides, qui se ressemblent presque tous. La majorité opte pour le play-back, ce qui n’empêche pas la production de refaire plusieurs prises. En effet, le public est parfois obligé d’écouter deux ou trois fois la même chanson. Le calvaire absolu, surtout lors du featuring entre Sofia Essaïdi et Julie Zenatti. Sans parler des blancs entre les changements de plateaux, qui obligent les présentateurs à combler le vide en disant des niaiseries. Après presque cinq heures de torture visuelle et auditive, le show se termine sur une reprise collective abominable de Heal the world de Michael Jackson. En fin de compte, le public n’a dansé et applaudi de bon cœur que lors des prestations de quelques artistes. A savoir Vigon, Fnaïre, Ribab Fusion et DJ Van. Et comme chaque année, ce sont les images du public en liesse lors du passage de ces artistes locaux qui seront utilisées comme produit d’appel. Au montage, elles seront placées pendant ou après les shows des “french catastrophes”, pour faire croire que le public marocain est fan de variété made in France. Après le concert, un after est organisé au So, la boîte la plus huppée d’Agadir. Là encore, les médias marocains ne sont pas concernés. Chico vient à la rescousse et invite quelques journalistes à venir avec lui. A l’intérieur, nous recroisons Brice Conrad, toujours tiré à quatre épingles, ou encore les “fameux” Collectif Métissé. Mais les véritables stars de la soirée sont là également, à savoir les groupes de la nouvelle scène marocaine. Et Vigon aussi, alléluia ! Après l’avoir salué, nous lui demandons où est-ce qu’il a disparu pendant la journée. “Comment ça disparu ? J’étais seulement dans ma chambre en train de me reposer, personne ne m’a dit que j’avais des interviews !”, nous répond le chanteur. A force d’être obnubilés par Bernard Lavilliers, Michel Fugain ou encore Dany Brillant, les organisateurs ont oublié le plus important : les artistes marocains, pour lesquels viennent chaque année les 150 000 personnes qui donnent au Concert de la Tolérance son aspect télévisuel grandiose. Désolant.
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