Deux chercheurs ont récemment étudié les retombées sociétales de l’Initiative nationale pour le développement humain. Conclusion de leurs travaux : l’INDH serait en fait un outil de contrôle de l’Etat visant à dépolitiser la société civile.
L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) vient de prendre un sacré coup. Deux chercheurs ont livré leurs conclusions sur les retombées de ce chantier national lancé en 2005 par le roi, et elles sont plutôt inquiétantes. “Les dispositifs mis en place dans le cadre de l’INDH peuvent être expliqués comme un instrument de cooptation et de dépolitisation de la société civile”, écrit Mustapha El Mnasfi, doctorant au Centre Jacques Berque, dans une étude consacrée aux effets de la participation citoyenne aux projets de l’INDH en milieu urbain. Après avoir mené une enquête de terrain pour observer le tissu associatif né dans le cadre de l’INDH, le chercheur estime que “ce type de mobilisation associative s’inscrit dans un vaste projet d’étatisation de la société”.
Assos domestiquées ?
Mustapha El Mnasfi a pu constater que les associations nées ou transformées sous l’impulsion de l’INDH n’exercent “plus de pression ni de contrôle sur l’Etat”. Il en arrive donc à la conclusion que le rôle de l’INDH en zone urbaine est bien de garantir la paix sociale. Et ce dans des quartiers populaires “ayant vécu auparavant sous la tension entre leurs habitants et le Makhzen”, là où des associations animent désormais une multitude de projets pensés par l’Etat. Une forme de domestication d’autant plus inquiétante quand on sait que l’INDH représente à elle seule 40% du tissu associatif marocain, selon le Haut commissariat au plan.
El Mnasfi admet que l’INDH a “réussi à intégrer les jeunes et les femmes”, mais il remarque que cela a aussi pour conséquence de les écarter encore plus des partis et de l’action politique.
L’impact des programmes de l’INDH avait déjà fait l’objet d’une étude, publiée par l’Observatoire national
du développement humain (ONDH). Le propos, plus mesuré, consistait à dire qu’il était encore difficile de juger les changements induits par l’INDH dans les “quartiers insalubres”. L’étude assurait que la “profusion d’associations” avait créé un “espace de débat”, intégrant ça et là un nouvel acteur dans les décisions locales. Mais elle faisait aussi remarquer que l’INDH ne semblait pas avoir pour but “l’accompagnent du potentiel organisationnel local pour prendre en charge le développement”. A croire que les associations de l’INDH oscillent entre relais pour le développement et relais du pouvoir.
Un rôle de pompier
L’INDH serait-elle un pompier sur le front du conflit social ? C’est en tout cas ce que semble penser Ibtissam El Rhali, doctorante à l’université Mohammed V de Rabat, qui a publié le mois dernier une étude sur la lutte contre la pauvreté au Maroc sur le site Farzyat, dédié aux questions de société. La chercheuse a décidé de s’intéresser aux AGR (activités génératrices de revenus), qui occupent une place toujours plus accrue dans les dispositifs de l’INDH et qui sont plutôt destinées au monde rural. Entre 2011 et 2012, plus de 2200 projets de ce type ont vu le jour, profitant à environ 34 000 bénéficiaires et mobilisant quelque 762 millions de dirhams. 53% des projets menés sur cette même période ont concerné l’agriculture. Pourtant, les AGR “ne constituent pas la panacée universelle du développement”, soutient Ibtissam El Rhali. Elle rappelle que de telles activités ont tendance à ne pas résorber des problèmes tels que “l’analphabétisme, les conflits entre groupes”. Ses conclusions sont relativement proches de celles de Mustapha El Mnasfi. Si son confrère parlait de “dépolitisation” et de “cooptation”, la chercheuse affirme qu’un “arrière-plan sécuritaire […] préside en grande partie à la mise en place de ces AGR”. A l’en croire, la mise en place de ces activités est le fruit d’une “obsession”, celle “de la naissance d’éventuels mouvements sociaux, mêmes locaux”. Et tout comme Mustapha El Mnasfi, Ibtissam El Rhali constate que les AGR ne développent pas l’esprit d’initiative des acteurs et des bénéficiaires. Elle précise même que leur gestion est le plus souvent monopolisée par “quelques micro-notables”. De là à conclure que l’INDH est en réalité un outil de contrôle, il n’y a qu’un pas pour les deux chercheurs.
Objectif participatif raté
Pourtant, dans le discours, l’approche participative est une composante majeure de l’INDH, qui vante ce principe tant aux citoyens qu’aux institutions étrangères qui l’accompagnent. Cette idée était au cœur de la philosophie de l’INDH au moment de son lancement. Un rapport du très officiel Conseil économique, social et environnemental (CESE), rendu public en 2013, rappelait que l’INDH est censée être “la première expérience d’approche ascendante, participative et inclusive”. Ce même rapport remarquait que les comités locaux de l’INDH, au sein desquels œuvrent militants associatifs et élus locaux, entre autres, n’ont “aucun pouvoir décisionnel”. Le propos est dur, mais ne fait que recouper ceux précédemment émis par l’ONDH, qui relevait déjà les “insuffisances en matière d’implication des différents acteurs”. L’ONG décrivait des comités locaux aux prérogatives “très modestes”, dominés par un “sentiment de marginalisation” en milieu urbain et “quasi absents” en milieu rural.
Dans son travail de recherche, au ton neutre et scientifique, El Mnasfi remarque lui aussi qu’au sein de l’INDH, les “pouvoirs locaux veillent à la mise en œuvre des orientations établies par le pouvoir central”, représenté par les walis et préfets de région. Nous sommes loin d’une généralisation des outils participatifs qui, mis à la portée des citoyens, permettent un contrôle sur les pouvoirs publics ou une autonomie dans la conduite des projets.
Bilan. Pas de retour sur investissement Il est difficile aujourd’hui de comprendre pourquoi et comment l’INDH, censée être un outil de lutte contre la pauvreté, a parallèlement pu devenir un relais du pouvoir dans les campagnes pauvres et les quartiers populaires. Et pour cause, aucune étude d’impact officielle n’a jamais été rendue publique, ainsi que le déplorent de nombreux chercheurs, militants associatifs ou institutions comme le CESE. Certes, des bilans ont été établis. En mai dernier, Mohand Laenser, alors ministre de l’Intérieur, présentait des chiffres à en donner le tournis. Depuis 2005, 11 milliards de dirhams ont été investis par l’INDH elle-même (sans compter, donc, les investissements extérieurs) pour mener 29 000 projets et 5000 AGR, dont ont profité 7 millions de bénéficiaires. Mais s’il est possible de juger des retombées au niveau quantitatif, on ne peut pas en dire autant en termes qualitatifs. Le CESE s’en est plaint et a plaidé pour que des objectifs qualitatifs soient dorénavant adoptés en amont des projets, ce qui n’est encore que rarement le cas. |
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