Qatar. La face cachée de l’émirat

En décrochant l’organisation du Mondial 2022, le Qatar souhaitait se donner une image prestigieuse. Mais c’est aujourd’hui sa face sombre que la presse mondiale et les ONG dévoilent au grand jour.

Les défenseurs des droits de l’homme en parlaient depuis longtemps, mais c’est par un scoop du Guardian que le scandale a éclaté : au Qatar, les travailleurs étrangers, qui représentent plus de 90 % de la main d’œuvre, sont tellement maltraités que leur exploitation s’assimile à de “l’esclavage moderne” parfois meurtrier. Dans une enquête publiée fin septembre, le quotidien britannique révèle qu’entre le 4 juin et le 8 août, 44 travailleurs népalais sont morts au Qatar. Ces ouvriers, dont beaucoup étaient jeunes, ont succombé à des insuffisances et des attaques cardiaques, ou à des accidents survenus sur leur lieu de travail.

Ils auraient surtout été victimes des déplorables conditions de travail qui règnent sur les chantiers qataris, notamment ceux des infrastructures construites en prévision de la Coupe du Monde (stades, routes, etc.). Si les décès se poursuivent au rythme actuel, les travaux causeront “la mort d’au moins 4000 travailleurs migrants” d’ici le match d’ouverture du Mondial, s’alarme la Confédération internationale des syndicats.

Travail sans salaire

Au cours de son investigation, le Guardian publie le témoignage de travailleurs migrants qui racontent avoir été forcés à travailler de longues heures à des températures de plus de 50°C sans avoir accès à de l’eau potable. Le quotidien assure également avoir rencontré des travailleurs hébergés à “douze par chambre” dans des “hôtels très sales” où “ils tombent malades”. Certains ouvriers affirment par ailleurs avoir été forcés à travailler sans être payés, ni nourris. “On travaillait avec l’estomac vide pendant 24 heures ; 12 heures de travail et ensuite pas de nourriture pendant toute la nuit”, a expliqué Ram Kumar Mahara, un ouvrier âgé de 27 ans. “Quand je me suis plaint, mon manager m’a sauté dessus, m’a mis à la porte du camp de travailleurs où je vivais et a refusé de me payer quoi que ce soit. J’ai dû mendier de la nourriture auprès des autres travailleurs”.

Le journal donne aussi la parole à des ouvriers népalais “qui n’ont pas été payés pendant des mois et dont le salaire a été retenu pour les empêcher de s’enfuir”. Le quotidien évoque également le cas d’employeurs qui “confisquent systématiquement” les passeports de leurs employés tout en refusant de leur fournir un autre titre de séjour, “ce qui les réduit au statut d’étrangers illégaux”. Une situation qui vous fait vivre “sans aucune protection légale”, dans la peur constante d’être arrêté dès que vous quittez votre lieu de travail…

Prisonniers du Qatar

Pour s’assurer l’obéissance d’une main d’œuvre étrangère corvéable à merci, les entreprises qataries peuvent s’appuyer sur un dispositif tout à fait légal : la kafala. Pour travailler au Qatar, tout travailleur étranger doit être parrainé par une entité qatarie (une entreprise, un simple particulier, etc.). Pour changer d’employeur, et même pour quitter le pays, il faut obtenir l’autorisation de son parrain (kafil), qui dispose là d’un moyen de pression extraordinaire.

Ancien international marocain, le footballeur Abdeslam Ouaddou en a fait les frais, quand son club qatari a soudainement arrêté de lui verser son salaire. “Pendant six mois, je n’ai pas été payé”, a confié le défenseur au quotidien français Libération. Pour obtenir son dû, Abdeslam Ouaddou décide alors d’engager une procédure auprès de la FIFA (Fédération internationale de football). “Les Qataris m’ont demandé de retirer ma plainte en échange de ma liberté. C’était du chantage ! J’ai commencé à faire un scandale en les menaçant de saisir la Ligue des droits de l’homme. [Les Qataris] sont des gens qui pensent avant tout à leur image, et ils se sont dit que mon cas pourrait faire du bruit. Finalement, ils se sont résolus à me laisser sortir”.

Sorti d’affaire mais toujours indigné, Abdeslam Ouaddou s’est lancé dans une véritable croisade médiatique contre le Qatar. Il demande à ce que l’organisation de la Coupe du Monde 2022 soit confiée à un pays plus respectueux des droits de l’homme.

Question de priorité

Mais il y a bien peu de chances que cela arrive, car après la publication de l’enquête du Guardian, le président de la FIFA, Sepp Blatter, a refusé de menacer le Qatar de lui retirer l’organisation de la Coupe du Monde. “La FIFA ne peut pas s’ingérer dans le droit du travail d’un pays mais elle ne peut l’ignorer”, a-t-il écrit sur Twitter. “Je ferai une visite de courtoisie pour confirmer [à l’émir] que la Coupe du Monde se jouera bien au Qatar, a-t-il ajouté. J’en profiterai pour toucher deux mots sur les conditions de travail dans ce pays”.

Concernant le Mondial qatari, Sepp Blatter a de toute façon un tout autre problème à résoudre : celui de l’éventuel décalage de l’organisation du Mondial, qui pourrait se tenir en hiver plutôt qu’en été, pour permettre aux joueurs de courir sous des températures clémentes. Problème : un tel planning chamboulerait le calendrier des autres grandes compétitions footballistiques, ce qui pourrait avoir des conséquences économiques importantes, notamment en termes de droits de diffusion TV. Un sujet qui fait couler beaucoup d’encre, au grand dam des défenseurs des travailleurs migrants…

“Tout le monde parle de l’effet de la chaleur extrême du Qatar sur quelques centaines de footballeurs, déplore dans le Guardian le syndicaliste népalais Umesh Upardhyaya. Mais ils ignorent les épreuves, le sang et la sueur de milliers de travailleurs migrants, qui vont construire les stades de la Coupe du Monde, avec des journées de travail qui peuvent durer huit fois la durée d’un match de foot”.

Répression. Un poète à l’ombre

Déjà sur le banc des accusés du fait des éventuels pots de vin qu’il aurait versés pour obtenir l’organisation du Mondial et du sort qu’il réserve aux travailleurs migrants, le Qatar n’arrange pas son image en matière de liberté d’expression. Fin octobre, la Cour de cassation de Doha a confirmé en appel la peine de 15 ans de prison prononcée contre le poète Mohamed Al Ajami. Son crime ? Avoir écrit un “Poème du jasmin”, saluant le Printemps arabe et exprimant l’espoir qu’il s’étende aux monarchies du Golfe, notamment via cette phrase : “Nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive”. Mohamed Al Ajami a été condamné pour “incitation au renversement du régime et outrage à l’émir du Qatar”, indique Amnesty International, qui remarque qu’“il est particulièrement inquiétant de voir un tel jugement prononcé au Qatar, pays qui se targue de promouvoir les arts et prétend respecter les normes internationales relatives aux droits humains”.

 

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