Depuis les années 1970, le Maroc mise sur la désalinisation de l’eau de mer pour compléter ses besoins en eau potable. Malgré une facture énergétique élevée, le recours à cette technique est devenu incontournable. Explications.
Stress hydrique, assèchement des nappes phréatiques, rareté de l’eau potable… Depuis quelques années, les experts rivalisent de projections et de scénarios catastrophes. A l’heure où l’eau est devenue une source d’anxiété au point de menacer les équilibres géostratégiques, plusieurs régions dans le monde misent sur le dessalement de l’eau de mer. Une solution devenue incontournable pour faire face au manque en eau douce, particulièrement dans les zones arides comme les pays du Golfe. Encouragés par le prix bas de l’énergie fossile (gaz ou fuel), ces pays se sont dotés de centrales gigantesques qui peuvent produire jusqu’à 1 million de m3 d’eau potable par jour, soit l’équivalent de la consommation journalière de Casablanca et Rabat réunies. Au Maroc, le déclic s’est produit dans les années 1970 dans les provinces du sud fraîchement récupérées, où les besoins grandissants de la population locale conduisent à la construction de la première station de dessalement du royaume. “La rareté de la ressource au Sahara ainsi que l’éloignement des points d’eau et des barrages ont imposé ce choix même s’il était coûteux et inconnu à l’époque au Maroc”, nous confie Khalid Tahri, de la direction technique et ingénierie de l’ONEE (Office national d’eau et d’électricité).
L’or bleu
C’est en 1975 que la première station de dessalement est installée à Tarfaya pour produire à peine 75 m3 par jour. Une autre station voit le jour, quelques années plus tard, à Boujdour pour une capacité de 250 m3/j. A l’époque, plusieurs techniques existent sur le marché, comme la distillation et les techniques membranaires, telle que l’osmose inverse. Utilisée depuis la nuit des temps, la distillation consiste simplement à évaporer l’eau de mer en chauffant l’eau dans une chaudière, permettant la récupération des molécules d’eau. “Cette technique, utilisée largement dans les pays du Golfe qui disposent de stations de grande capacité, présente l’avantage de produire également de l’électricité grâce à la poussée de l’évaporation de l’eau qui fait tourner des turbines”, explique Khalid Tahri. Quant au procédé d’osmose inverse, il consiste en une poussée de l’eau de mer sous très haute pression dans un filtre aux pores infiniment petits. Tandis que le sel est retenu, les molécules d’eau qui traversent les membranes sont récupérées, dotées dorénavant de toutes les qualités d’une eau potable. Après avoir expérimenté ces techniques sur les premiers sites, c’est l’osmose inverse qui est retenue, même si elle consomme beaucoup d’énergie, spécialement le fuel, pour garantir une poussée suffisante. Grâce à une capitalisation sur l’expérience de dessalement, l’ONEE affiche une bonne maîtrise de cette technologie et lance, en 1995, deux autres stations à Laâyoune (7000 m3/j) et Boujdour (800 m3/j).
Goutte à goutte
“L’osmose inverse est compétitive parce que le Maroc ne dispose que de stations de petite et moyenne capacité. Sans oublier que l’éloignement des sources d’eau exige d’énormes investissements en infrastructures”, analyse El Habib Chabadi, de la direction technique et ingénierie de l’ONEE. D’autres facteurs viennent appuyer ce choix à partir des années 2000. Ainsi, au niveau mondial, le coût des composantes de cette technologie, comme les réactifs ajoutés à l’eau pour l’apurer ainsi que le prix des filtres et des membranes, chutent de façon significative. Par ailleurs, les techniques de récupération d’énergie se développent, permettant de faire des économies sur les coûts de production. “Désormais, 35% de la pression utilisée pour pousser l’eau dans les membranes est récupérée pour être réinjectée dans le circuit”, analyse Khalid Tahri. Depuis, une nouvelle génération de stations a vu le jour et d’autres ont été agrandies pour suivre l’évolution démographique, surtout dans les provinces du sud. Ainsi, la ville de Laâyoune dispose d’une station, mise en service en 2011, dont la capacité est de 26 000 m3 par jour, ce qui en fait la plus grande du royaume. En plus du traitement de l’eau de mer, le dessalement concerne également l’eau saumâtre. Il s’agit d’une source d’eau douce, mais présentant un taux de salinité de plus de 2 grammes par litre. C’est le cas de la ville de Khénifra, où une bonne partie de l’eau douce est traitée et réinjectée dans le réseau de distribution de la ville. “L’objectif affiché pour 2016 est d’atteindre une capacité de 200 000 m3 par jour. Ce qui représente 2% sur les 900 millions de m3 produits chaque jour au Maroc”, soutient El Habib Chabadi.
Facture salée
Si le dessalement s’est imposé comme une alternative sérieuse, le coût énergétique constitue son talon d’Achille. Ainsi, sur chaque m3 d’eau produit, il représente 30 à 40% de la facture totale. Mais d’autres facteurs entrent dans le calcul de la facture énergétique, comme le taux de salinité qui fait que la production est plus onéreuse en Méditerranée (38 g/l) qu’en Atlantique (30 g/l). “Malgré le coût élevé de la production de cette eau, le prix de sa distribution aux usagers est relativement égal à celui d’une source hydraulique ou de forage classique”, tempère Khalid Tahri. Pour l’heure, toutes les stations sont reliées au réseau d’électricité, qui lui-même est alimenté par des centrales thermiques qui consomment du fuel. Mais avec le lancement des grands projets de production des énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, la donne risque de changer. Le défi technique réside dans le couplage entre la station de dessalement et le réseau de production de ces énergies renouvelables, qui souffre souvent d’instabilité. “Pour l’instant, la seule solution viable réside dans l’injection de la production de ces énergies au réseau et dans l’alimentation des stations de dessalement. L’autre solution, utilisée dans les Iles Canaries, consiste à alimenter la station avec le réseau éolien, et, en cas de baisse de régime, ce sont les groupes électrogènes qui prennent le relais”, explique Khalid Tahri. La communauté des scientifiques aura tout le loisir d’étudier et de confronter ses avis. Le dessalement est l’un des thèmes qui seront traités au Forum de la mer d’El Jadida en mai prochain.
Ressources hydriques. Bientôt la pénurie ? A l’instar du sud de l’Espagne, dont les ressources en eau ont été dévastées par l’agriculture intensive et l’explosion du tourisme, la région d’Agadir connaît une problématique similaire. Pour palier aux besoins en eau de plus en plus importants dans cette région, l’ONEE a lancé un projet de construction d’une grande station, qui devrait voir le jour d’ici 2016. D’autres villes comme Al Hoceïma, Sidi Ifni ainsi que la région de Khouribga suivront. Mais est-ce une source d’eau non nocive pour l’environnement ? Pour les écologistes, le dessalement ne présenterait aucun danger puisque le seul rejet en mer consiste en un concentré de sel. Cependant, cet avis ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique, certains voyant dans ces rejets un déséquilibrage de la teneur chimique des océans à long terme. Mais aucune étude d’impact sur l’environnement ne semble confirmer l’une ou l’autre de ces thèses. Enfin, qu’en est-il de la qualité de cette eau ? Conformément aux normes de l’OMS, elle présente toutes les qualités nécessaires pour être une eau potable à 100%. |
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