Ils en ont rêvé, ils l’ont fait : Guerrilla Cinema, un collectif de cinéastes engagés, arrive à réaliser et produire ses propres films. Zoom sur une organisation “artiviste”, qui a fait de l’autonomie son credo.
“Une résistance artistique pour la liberté d’expression au Maroc”, un slogan qui peut paraître galvaudé ou naïf, mais auquel Guerrilla Cinema croit dur comme fer. Ils sont jeunes, à peine diplômés, parfois chômeurs, mais ont préféré l’acte à la parole. Très peu de bla-bla, même pour parler d’eux-mêmes : ce collectif de cinéastes, créé il y a à peine un an, a décidé de tout mettre en œuvre pour aller au bout de leur idéal : la liberté. La majorité de ses membres arborent la dégaine parfaite du militant roots des années 1970. Comprenez par là, cheveux longs, barbe mal ou pas rasée du tout et bonnets en laine. Les gaillards ont l’air cool, un peu à côté de la plaque mais il ne faut pas se fier à l’apparence. En réalité, ils savent très bien mener leur barque. La preuve : en l’espace de quelques mois, ils ont produit et réalisé trois projets. Et tout ça, sans utiliser le système officiel (Centre cinématographique marocain), mais plutôt le système D, celui de la débrouille.
Cinéma alternatif
Au commencement était la révolte, les manifestations et le Mouvement du 20 février. La fraîche histoire de Guerrilla Cinema prend donc, elle aussi, ses racines en 2011, année de la contestation populaire au Maroc et partout ailleurs dans le monde arabe. A Rabat, au sein du mouvement, plusieurs militants se découvrent, en plus des revendications, un point commun : l’art. “Il y avait beaucoup de gens qui s’intéressaient à la culture sous toutes ses formes, on a donc commencé par former un groupe d’artivistes”, explique Hamza, membre du collectif. “On a d’abord réalisé les campagnes vidéo du M20. Puis, ceux qui étaient vraiment branchés cinéma se sont rassemblés, en avril 2012, dans un collectif qu’on a décidé de nommer Guerrilla Cinema”, poursuit-il, attablé à la terrasse d’un café. Agés entre 18 et 23 ans, souvent issus des quartiers populaires et pour la plupart étudiants en cinéma devenus free-lances ou sans emploi, ces jeunes peinent à trouver leur place dans le paysage cinématographique actuel : “Le CCM n’offre pas de financement ni d’aide aux amateurs, il faut se constituer en société de production mais nous n’en avons pas les moyens, ni l’envie”. Membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), qui soutient Guerrilla Cinema, Hamza avoue également ne pas être sur la même longueur d’ondes que le CCM : “Cette institution n’est pas assez pluraliste, elle ne donne pas de possibilité d’action au cinéma alternatif qui sort parfois des sentiers battus”. Il n’en a pas fallu plus pour que le collectif mette en place une organisation structurée et indépendante, qui compte actuellement une quarantaine de membres, dont chacun est rattaché à un département en rapport avec ses propres compétences. Sur le fond, Guerrilla Cinema est apolitique : “Chaque personne a ses opinions, on se dispute souvent, mais personne n’est affilié à un parti politique. On se rejoint sur une chose : nous sommes pour la liberté”.
Pour quelques poignées de dollars
Guerrilla Cinema finance ses films grâce au crowdfunding. Cela signifie, littéralement, financement par la foule. Concrètement, ce sont des plateformes de financement collaboratif via Internet. Un concept qui rencontre un franc succès sur la Toile : Kickstarter, Wiseed ou encore FriendsClear, pour ne citer qu’eux, permettent à toute personne ayant un projet de le concrétiser en recevant des dons de la part d’internautes. Une alternative économique intéressante quand les banques refusent d’octroyer des prêts. “Nous avons présenté notre projet sur le site Kickstarter et, quelques mois plus tard, nous avons atteint plus de 7000 dollars”, explique Hamza. Une somme qui leur a permis de produire d’autres films dont Basta, un docu sur le collectif disponible en ligne et L’Mask, un court-métrage sur la détention politique. Le collectif a par ailleurs réalisé 475 : quand le mariage devient châtiment avec ses propres économies, puisque ce n’est qu’après avoir tourné les images qu’ils ont fait appel au crowdfunding : “Comme nous n’avions pas d’autorisation de filmer délivrée par le CCM, le tournage a dû se faire dans la plus grande discrétion. Il n’était pas question de dévoiler notre projet sur le Net avant d’avoir les rushs”. Du côté de la distribution, les projections de 475 étaient gratuites pour le public et il est maintenant disponible sur Internet. “Les dons récoltés par le biais de Kickstarter sont entièrement redistribués pour faire des films. Nous envisageons de vendre des DVD de nos productions afin de disposer d’une autre source de financement”.
Guerrilla Cinema mise sur le long terme et aspire à devenir une organisation capable d’aider tous ceux qui souhaitent se lancer dans l’audiovisuel, à condition, bien sûr, d’avoir un projet viable. “Notre objectif, c’est de pouvoir accueillir et accompagner dans son travail celui ou celle qui a un scénario et qui souhaite le réaliser, mais aussi de donner l’opportunité à des étudiants ou aux amateurs intéressés par les métiers du cinéma de passer de la théorie à la pratique.”
Susciter le débat
Sorti mi-févier, le documentaire 475 : quand le mariage devient châtiment a été réalisé, entre autres, par Nadir Bouhmouch (réalisateur de My Makhzen and me), ainsi que par Hamza et Younès Belghazi. Projeté le 21 février au siège de l’AMDH, puis le 22 février au théâtre de l’Aquarium à Rabat, le long-métrage a su attirer le public et susciter le débat. Malgré quelques faiblesses techniques, qui s’expliquent par le manque de matériel professionnel, mais aussi par la difficulté de tourner sans autorisation, le documentaire tient la route. L’équipe de tournage donne la parole à la famille d’Amina Filali (la jeune fille qui s’est donné la mort en mars 2012 après avoir été contrainte d’épouser son violeur), à ses voisins, mais aussi à des membres de la société civile : l’avocat Omar Bendjelloun et la présidente de l’AMDH, Khadija Riyadi. Les entretiens sont entremêlés d’extraits d’interviews de Bassima Hakkaoui (ministre de la Solidarité et de la Femme), de Mustafa Ramid (ministre de la Justice) lors d’émissions télévisées mais aussi de manifestations féministes et d’images d’archives. Un montage dynamique type zapping, qui rappelle ceux du journaliste Pierre Carles, célèbre réalisateur de documentaires d’investigation au ton incisif et sans concession. Sans jamais tomber dans le pathos ou l’émotion surfaite, le film entre dans l’intimité d’Amina pour tenter de comprendre les faits. Des faits extrêmement complexes, qui ne permettent pas de rejeter toute la faute sur les parents de la victime. En effet, le documentaire démontre que ce drame n’est qu’une facette d’un problème beaucoup plus profond : la condition sociale de la femme. 475 dénonce certes, mais il analyse surtout, avec pudeur, humanité et subtilité.
Crowdfunding. Des dons et des hommes Le financement collaboratif a un brillant avenir devant lui. A l’origine, le crowdfunding était utilisé pour des actions de charité (Téléthon, Sidaction). Depuis l’arrivée d’Internet dans les années 1990, ce système a connu un développement sans précédent. Films, musiques, arts, invention d’objet ou expérience scientifique, aujourd’hui toutes sortes de projets peuvent être financés par le biais des internautes. De 2010 à 2011, le marché du financement participatif est passé de 530 millions à 1,5 milliard de dollars. En 2012, il a atteint 3 milliards de dollars. Depuis son lancement en avril 2009, la plateforme américaine Kickstarter (utilisée par Guerrilla Cinema), leader mondial du secteur, a porté plus de 35 000 projets avec 450 millions de dollars récoltés auprès de 3 millions d’internautes. Lors des Oscars de cette année, le prix du meilleur court-métrage documentaire a été remporté par Innocence d’Andrea et Sean Fine, une œuvre financée via Kickstarter par 300 donateurs. Pourquoi ça marche ? Tout simplement parce que ce genre d’alternatives donne enfin la possibilité aux gens de réaliser leurs rêves ou de concrétiser leurs projets sans avoir besoin de passer par un prêt bancaire. |
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