La liste des 17 nouveaux ambassadeurs fraîchement nommés réserve peu de surprises. Qui sont les heureux élus ? Et quels dossiers attendent leurs excellences ?
France. Un ingénieur à Paris
C’est l’une des ambassades les plus stratégiques pour la diplomatie marocaine. Le poste est paradoxalement resté vacant depuis octobre 2011 ! Chakib Benmoussa, ancien ministre de l’Intérieur, quitte donc le fauteuil assez douillet de président du Conseil économique et social pour présider aux destinées de cette représentation diplomatique. Chakib Benmoussa, qui dispose de solides relais dans l’Hexagone, doit d’abord rassurer le gouvernement socialiste, moins sensible aux intérêts marocains que les politiques français de droite. Parmi ses priorités : gérer le dossier des délocalisations et des investissements français au Maroc dans un contexte de crise économique. TGV, armement, sous-traitance industrielle… l’ingénieur marocain a du pain sur la planche. A l’heure où la France s’engage sur le front de la lutte antiterroriste au Sahel, Benmoussa doit également rester vigilant concernant la question du Sahara, régulièrement évoquée au parlement français, où le Polisario dispose désormais de relais assez sérieux. Enfin, les affaires consulaires ne sont pas à oublier. La communauté marocaine installée en France est en effet l’une des plus nombreuses dans le monde, puisqu’on dénombre plus de 1 million de Marocains vivant dans l’Hexagone. Mais avant tout cela, il faut parer au plus urgent et préparer la visite du président François Hollande au Maroc, prévue dans les semaines à venir. Chakib Benmoussa ne pouvait pas espérer meilleure entrée en matière.
Libye. Le marché de la reconstruction
Tout ou presque sera à faire en Libye pour Mohamed Belaïch. Dès les premières semaines du soulèvement populaire contre le régime de Mouammar Kadhafi, le Maroc s’est discrètement rangé du côté des révolutionnaires. Ces derniers ont même été reçus à Rabat, quelques jours seulement après leur arrivée au pouvoir. Depuis, l’influence du royaume en Libye a sensiblement diminué au profit des grandes puissances mondiales comme la France et les Etats-Unis. Pour le nouvel ambassadeur, il s’agit de tourner définitivement la page Kadhafi et de préserver les bonnes relations qu’entretiennent désormais Rabat et Tripoli. Il devra surtout défendre les chances des entreprises marocaines dans les marchés de reconstruction lancés par les nouveaux maîtres de la Libye. “Les missions économiques dans ce pays se sont raréfiées et c’est dommage. Les sociétés marocaines ont toutes leur chance sur ce marché”, confirme cet homme d’affaires casablancais. Problème : la diplomatie économique n’est pas le fort de Mohamed Belaïch, qu’on décrit plutôt comme “diplomate old school”. Troisième chantier et pas des moindres : préserver les intérêts de la communauté marocaine sur place, dont plusieurs membres sont rentrés au Maroc, fuyant les combats et laissant tout derrière eux. Pour cela le nouvel ambassadeur dispose d’une expérience assez longue, principalement dans les consulats marocains en Europe et au sein de l’administration centrale.
Egypte. L’appel du Caire
Dans la capitale égyptienne, Mohamed Saâd El Alami se sentira comme un poisson dans l’eau. L’ancien ministre des Relations avec le parlement puis de la Modernisation des secteurs publics a fait une bonne partie de ses études en Egypte, en plus d’avoir été un proche collaborateur de Allal El Fassi, connu pour son engagement au sein du mouvement panarabe. Mais Mohamed Saâd El Alami, qui fait ses premiers pas dans la diplomatie, arrive au Caire dans des conditions peu banales. Il succède d’abord à un ambassadeur (Mohamed Frej Doukkali) resté neuf ans sur place, et qui a fini par se fondre dans le décor local. Il atterrit ensuite dans un pays en proie à de vives tensions politiques. Traditionnellement proche du Maroc sous le règne de Hosni Moubarak, l’Egypte redessine aujourd’hui la carte de ses alliances diplomatiques et économiques. Quel avenir pour ses relations avec le Maroc ? Mystère. Mais il convient de noter que, contrairement à son prédécesseur, Mohamed Saâd El Alami ne sera pas représentant du Maroc auprès de la Ligue Arabe, dont le siège se trouve au Caire. Le nouvel ambassadeur se trouve ainsi privé d’un sérieux relais au sein d’un organe décisionnel important. Il pourra toujours se consoler en faisant un saut en Erythrée et en Somalie, qui se trouvent également sous sa responsabilité en tant qu’ambassadeur.
Tunisie. L’ambassadeur des révolutions
Mohamed Frej Doukkali a fait l’essentiel de sa carrière diplomatique dans des pays arabes comme le sultanat d’Oman, le Liban, la Syrie et l’Egypte. Il ne sera donc pas dépaysé dans son nouveau poste en Tunisie. Frej Doukkali remplace Najib Zerouali Ouariti, rappelé au Maroc pour des raisons encore inconnues. Après avoir assisté à la naissance de la révolution égyptienne, Frej Doukkali retrouve une Tunisie en crise avec des gouvernements et des majorités précaires. Il sera donc amené à jouer aux équilibristes entre les différentes forces politiques locales pour préserver les intérêts du royaume au pays du jasmin. Le nouvel ambassadeur devra également travailler sur l’image du Maroc sur place. “Les deux pays ont toujours été en concurrence. Mais aujourd’hui, de plus en plus de Tunisiens croient fermement que le Maroc a été le premier pays à profiter de la crise en Tunisie en matière de tourisme ou d’attrait des investissements. Cela a créé de la frustration chez plusieurs franges de la population”, analyse ce journaliste à Tunis. Rien à signaler du côté de la communauté marocaine installée sur place. Ses membres ne dépassent pas les 30 000 personnes.
Arabie saoudite. Les milliards du Golfe
L’ambassade du Maroc à Ryad fait partie de ces postes restés vacants pendant de longs mois sans explication particulière. “Sa Majesté a besoin d’y nommer une personnalité à la hauteur de ce poste”, répondaient en chœur les cadres des Affaires étrangères lorsqu’on leur posait la question. Le monarque semble donc avoir enfin trouvé l’heureux élu en la personne de Abdeslam Baraka. Pourtant, l’homme est pour ainsi dire un revenant. Cet avocat tétouanais de 58 ans a été ministre dans les années 1990 sous les gouvernement Lamrani, Laraki et Filali. Au début des années 2000, ce cadre dirigeant de l’Union Constitutionnelle (UC) démarre sa carrière diplomatique en Espagne, avant de la poursuivre en Argentine et en Uruguay. Aujourd’hui, il change totalement de cap avec cette nomination à la tête de l’ambassade marocaine à Ryad, à l’heure où le royaume se tourne de plus en plus vers cette région du monde. En plus d’être un grand appui du Maroc dans la région, l’Arabie Saoudite reste en effet la plaque tournante, et l’une des principales puissances, du Conseil de coopération du Golfe qui vient d’accorder au Maroc un don de 5 milliards étalé sur cinq ans.
Autres. Ukraine, Brésil, Thaïlande, etc.
Les douze autres capitales concernées par le dernier mouvement d’ambassadeurs couvrent quatre continents sur cinq. Et c’est en Europe que le nombre de nouveaux ambassadeurs est le plus important, avec une ouverture assez remarquée sur les pays d’Europe de l’Est, comme l’Ukraine et la Bulgarie dont hérite Latifa Akharbach, ancienne secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, qui a grandement participé à renforcer les liens du royaume avec cette partie du monde durant son mandat. L’Asie accueille trois nouveaux ambassadeurs en Thaïlande, en Malaisie et au Pakistan, devenu depuis quelques années La Mecque du renseignement mondial et de la traque antiterroriste. En Afrique subsaharienne, deux nouveaux ambassadeurs ont été nommés dans les deux puissances régionales que sont la Côte d’Ivoire et le Ghana. Last but not least, le Maroc dispose désormais de deux nouveaux ambassadeurs, l’un au Brésil et l’autre en République dominicaine et à Trinidad & Tobago. Pour la diplomatie marocaine, ces Etats ne sont pas de simples destinations exotiques mais de solides appuis dans l’affaire du Sahara. Leur vote a par exemple été important pour l’élection du Maroc au Conseil de sécurité des Nations Unies.
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