Tendance. Jamais sans mon impresario

Depuis quelques années, de plus en plus d’artistes confient la gestion de leur carrière à des agents spécialisés. Zoom sur un métier en passe de devenir un des maillons incontournables du star system marocain.

 

Inutile d’essayer d’entrer en contact avec certaines chanteuses, groupes ou rappeurs sans passer par leur manager. Loin de la caricature du personnage à l’affût de la moindre opportunité pour placer son protégé, l’agent est devenu, pour beaucoup de musiciens et de chanteurs, un collaborateur artistique et un intermédiaire incontournable. Et pour cause, les mutations qu’a connues la scène musicale marocaine depuis quelques années y sont pour beaucoup : foisonnement de festivals, émissions de téléréalité, licences de radios privées, multiplication des titres de presse et des sponsors qui manifestent leur volonté d’associer leur image à telle ou telle star ou telle tendance musicale… Tous ces éléments ont imposé aux artistes le recours aux services d’une nouvelle génération de managers pour donner de l’élan à leurs carrières. Sans oublier le nombre de plus en plus croissant de chanteurs qui évoluent dans le star system du Moyen-Orient, comme Abdelfettah Grini ou Asmaa Lamnaouar. “Entre les radios, les plateaux télé, les concerts publics et privés, le Moyen-Orient est devenu une véritable machine de divertissement où l’artiste est occupé 200 jours par an. Au Maroc, on en est encore loin, mais on ne va pas y échapper”, analyse Nabil Jebbari, agent de plusieurs artistes tels que Asmaa Lamnaouar et Mohamed Reda.

 

“Je suis overbooké”

Au-delà du strass et des paillettes, la vie d’un chanteur ou d’un groupe ressemble à une véritable entreprise : trouver des dates et des festivals pour se produire, s’occuper de paperasse, de visas pour les concerts à l’étranger, réserver des billets d’avion, des chambres d’hôtel et des bus lors des tournées, gérer les relations avec la presse, assurer la promotion, suivre l’impression et la sortie des DVD dans les bacs, défendre ses droits d’auteur… En somme, tout ce que l’artiste doit savoir déléguer au risque de se perdre en cours de route. “Quand Abdelfettah Grini a été nominé aux MTV Awards de 2011 en Irlande du Nord, il a fallu faire appel au ministère des Affaires étrangères pour obtenir un visa à la dernière minute. Nous avons eu un énorme coup de stress”, se souvient Noufissa Bennani, un agent qui compte dans son écurie de grosses pointures comme Najat Aatabou, Dounia Batma ou Abdelfettah Grini. “Dans un monde idéal, le manager du groupe serait celui qui réfléchit à ta carrière et t’oriente vers ce qu’il y a de mieux. Il reste maintenant à trouver la bonne personne”, explique Réda Allali du groupe Hoba Hoba Spirit. Ainsi, une nouvelle génération de managers commence à se frayer un chemin dans un milieu condamné à se professionnaliser ou mourir.

 

Une affaire de carnet d’adresses

Pour être bien entouré, il revient à l’artiste de dénicher l’oiseau rare. En effet, on ne devient pas agent artistique, c’est carrément une seconde nature chez certains. “Il ne s’agit pas de formation ou de diplômes spécifiques. Il s’agit plus d’aptitudes personnelles, de caractère, d’organisation, de bonne gestion des réseaux que doit se constituer le manager”, souligne Amel Abou El Aazm, ancien manager du groupe Darga, qui a aussi derrière elle une longue collaboration avec Mayara Band et Wachmanhit. Par ailleurs, le manager doit avoir des connaissances techniques concernant le son, la scène et maîtriser les outils de marketing de l’image. Si l’usage au Maroc fait souvent que les artistes ont recours à un membre de leur famille pour veiller sur leurs intérêts, la tendance est désormais de s’appuyer sur les services de professionnels qui maîtrisent plusieurs métiers à la fois. “Il s’agit d’une question de confiance puisque l’agent se trouve au cœur des affaires et de l’intimité de l’artiste”, souligne Nabil Jebbari. Certaines célébrités ont eu aussi recours à leurs services pour les accompagner depuis leurs débuts jusqu’à ce qu’ils deviennent des stars. Contrairement à d’autres pays où il existe un véritable star system et des agences dénicheuses de talents ayant pignon sur rue, au Maroc la pratique est aux recommandations entre amis. Ceci permet d’éviter que les artistes soient à la merci d’escroqueries plus que courantes, comme les cachets sous-évalués, voire carrément non payés, ou l’utilisation abusive de l’image de l’artiste.

 

Dans l’intimité d’une star

Suivre le rythme de vie d’un artiste, ce n’est pas toujours une partie de plaisir et les mots d’ordre sont la disponibilité et la souplesse. Parfois, il faut faire plusieurs capitales en une semaine, gérer les sollicitations de l’artiste à n’importe quelle heure et prendre les bonnes décisions rapidement. Cette cadence installe un climat de stress et plusieurs agents se séparent de leurs protégés à cause de “divergences de points de vue artistiques”. “Si l’artiste reçoit une invitation pour participer à une émission qui ne colle pas à son image, ou opte pour un style vestimentaire inapproprié, je me dois de lui dire de décliner l’offre. Il en va aussi pour les sorties médiatiques où il doit donner son avis sur tel ou tel sujet, car les dégâts peuvent être irréparables”, analyse Nabil Jebbari. L’autre volet qui donne du fil à retordre aux managers d’artistes, c’est la vie privée de leurs poulains. Sur ce registre, l’agent joue le rôle de confident au point de devenir un véritable coach. Ainsi, dans ce milieu, la rumeur et les potins constituent la matrice qui fait tourner la machine médiatique. Mariages, divorces, grossesses, rivalités, jalousies sont autant d’événements qui font le bonheur de la presse people. “Il faut avoir de bonnes relations avec la presse et savoir doser les sorties médiatiques pour protéger un artiste”, souligne Noufissa Bennani. Au final, il s’agit de gérer les ego parfois surdimensionnés de certains artistes et de groupes de musique où les rivalités autour du leadership sont monnaie courante. “On ne peut pas être bon sur scène et dans les coulisses, à moins de s’appeler Madonna ou David Bowie”, conclut Nabil Jebbari.

 

Rémunération. Get rich or die trying…

En l’abscence d’un cadre juridique du métier, l’usage fait que l’agent est payé au pourcentage : entre 10 et 15 % sur les cachets des concerts qu’il réussit à décrocher. Mais ce n’est que la partie concrète, puisque les artistes travaillent également pour des œuvres caritatives et des évènements orgagnisés par des sociétés ou de grandes entreprises. “Certains artistes peuvent toucher jusqu’à 200 000 DH lors de ces évènements. Desquels il faut soustraire les frais d’habillement qui peuvent aller jusqu’à 60 000 DH, ou encore les frais de coiffure qui frôlent les 10 000 DH dans certains cas”, explique l’agent artistique Nabil Jebbari. Les cachets peuvent atteindre des records lors de demandes émanant de notables ou de personnalités publiques, qui préfèrent des prestations dans un cadre privé. C’est le cas de Najat Aatabou, qui a animé une partie du mariage du prince Moulay Ismaïl en 2010. Le jackpot pour l’agent !

 

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