Alors que le dialogue sur la réforme de la justice se poursuit, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) entre en scène et apporte son grain de sel au débat en publiant quatre rapports thématiques. Le point.
Driss El Yazami et Mohamed Sebbar, respectivement président et secrétaire général du CNDH, ne pouvaient rêver meilleur “cadeau” pour le deuxième anniversaire de leur installation à la tête de ce Conseil. Samedi 2 mars, deux ans jour pour jour après leur nomination par le roi, ils ont eu droit à un élogieux communiqué du cabinet royal. Un message inédit où Mohammed VI “s’est félicité de l’esprit de la démarche et de la teneur” et de “l’apport conséquent au débat démocratique” des quatre rapports que venait de lui soumettre le CNDH. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Les documents produits traitent tous de la réforme de la justice. Le premier porte sur le tribunal militaire, le deuxième sur le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire appelé à remplacer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Les deux derniers portent enfin sur la Cour constitutionnelle, sa refonte et la possibilité -grande nouveauté-pour n’importe quel citoyen de la saisir.
Les oublis de Ramid
La teneur du rapport traitant du tribunal militaire n’est pas passée inaperçue et a donné lieu à plusieurs interprétations. Le CNDH recommande que les civils ne soient plus jugés devant cette cour d’exception. Et le lien est vite trouvé avec le procès de Gdeim Izik, clos le 16 février, dans lequel étaient poursuivis 24 Sahraouis. “Nous avons déjà commencé à travailler sur le sujet depuis que nous avons été sollicités par le parlement pour un avis sur la loi accordant des garanties aux militaires”, rectifie Mohamed Sebbar. “Lors du démarrage du dialogue national sur la réforme de la justice, nous avons constaté que la question du tribunal militaire a été laissée de côté. Nous avons estimé qu’il était pertinent qu’on s’attaque à ce volet aussi. Nous n’avons pas de tabou”, poursuit le numéro 2 du CNDH. Mais la réforme préconisée par le CNDH ne se limite pas à épargner cette cour aux civils. Mêmes les militaires ne devraient plus y comparaître, sauf pour des questions liées à la discipline de l’armée, l’atteinte à la sûreté de l’Etat et les crimes de terrorisme. Le reste des affaires devrait être du ressort des juridictions “normales”. Le CNDH préconise aussi de prolonger le délai des recours devant la Cour de cassation de 2 jours (10 au lieu de 8). Tout aussi important, le Conseil recommande que les magistrats militaires soient désignés par le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire au début de chaque année. Il recommande enfin d’en finir avec une autre aberration du Code de procédure militaire : abroger la peine des travaux forcés qui ne figure plus dans aucun autre texte de loi au Maroc.
Le temps de l’indépendance
Le rapport relatif au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) rejoint de vieilles revendications des magistrats et des milieux des droits de l’homme. Plus d’indépendance en un mot, et surtout vis-à-vis du pouvoir exécutif, représenté par le ministère de la Justice. Concrètement, il s’agit d’abord d’une autonomie administrative et financière avec un budget inscrit au nom du CSPJ dans la Loi de Finances. La désignation de ses membres, outre ceux nommés par le roi, se fera par vote avec une représentativité féminine proportionnelle au contingent des magistrates en activité. Ces membres sont élus pour cinq ans non renouvelables. La principale mission de ce Conseil judiciaire, dont la loi organique est en cours d’étude par le gouvernement, sera de nommer les magistrats et gérer leur carrière. Ceci inclut les aspects disciplinaires à travers un organe d’audit, de contrôle et d’inspection. L’évaluation, elle, sera faite non plus uniquement sur la base de l’ancienneté, mais aussi au regard du rendement de chaque magistrat. Il faut noter enfin que le CSPJ aura aussi une mission consultative puisqu’il sera appelé à donner son avis et apporter sa contribution lors de la préparation des textes relatifs à la justice. Il participera de même aux efforts de formation des magistrats et des autres professions judiciaires (greffe, avocats…). Appelé à être remplacé par le CSPJ, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a été taxé de tous les maux. Pour les sanctions par exemple, c’est le ministre de la Justice qui saisit le CSM et peut suspendre des magistrats et geler leurs salaires par simple arrêté. Le ministre dispose aussi d’un autre outil qui fait grincer des dents les magistrats : le pouvoir de délégation (mutation), parfois synonyme de mesure disciplinaire. Dans la nouvelle configuration, les magistrats décideront pour eux-mêmes. Et auront leur sort, et celui de leurs collègues, entre leurs mains.
Droit au recours
L’autre grande nouveauté s’appelle l’exception d’inconstitutionnalité. Un terme rébarbatif qui veut tout simplement dire que, si vous n’êtes pas d’accord avec une loi ou une disposition de loi, vous pourrez en contester le caractère inconstitutionnel devant la Cour constitutionnelle. Mais attention, cette possibilité donnée à chaque citoyen doit obéir à des règles. Le recours déposé par un simple citoyen devant cette cour n’est possible que si ce dernier juge, lors d’un litige, qu’une loi qu’on risque de lui appliquer portera atteinte à ses libertés et droits individuels. Par le biais d’un écrit, et d’un avocat, il introduit son recours devant la Cour constitutionnelle qui dispose de 10 jours pour déclarer la requête recevable ou non. Et de deux mois pour trancher de manière définitive. Dans le cas où la loi ou la disposition de loi objet du recours est déclarée inconstitutionnelle, le gouvernement et le parlement se trouvent dans l’obligation de l’abroger. “C’est une procédure qui touche directement les droits individuels fondamentaux et il n’est pas interdit de placer la barre très haut”, commente Abderrazzak El Hannouchi, un cadre du CNDH. Et ce n’est pas tout. Le Conseil donne aussi son avis, et c’est l’objet du quatrième rapport, sur la future configuration de la Cour constitutionnelle (appelée à remplacer le Conseil constitutionnel). La principale recommandation porte sur le mode de désignation des parlementaires appelés à y siéger. Si on suit l’avis du CNDH, les présidents des deux chambres n’auront plus la main haute pour nommer amis et proches. Le tout passera par un processus électoral. Ainsi, la porte sera ouverte aux candidatures, s’ensuivra une présélection puis un vote pour choisir un nom parmi trois propositions. Et à la majorité des deux-tiers avec, à la clé, l’élection obligatoire d’une femme dans chaque chambre.
Réforme. ça traîne toujours ! Le gouvernement et plus particulièrement le ministère de la Justice prendront-ils en compte les quatre rapports du CNDH dans la réforme du système judiciaire ? “Le fait que le roi salue la qualité de ces rapports est un signal fort dans ce sens”, explique Mustapha Manouzi, président du FVJ (Forum vérité et justice) et membre de la direction du dialogue national sur la réforme de la justice. “C’est aussi un appel à accélérer le processus”, ajoute M. Manouzi. Sauf que, à l’en croire, ce n’est guère acquis. Prévue initialement fin mars courant, la présentation des conclusions de ce dialogue, démarré en juin 2012, prendra encore du temps. “Eventuellement en novembre, date de la tenue d’une grande conférence nationale”, ajoute Mustapha Manouzi. Le dialogue national sur la réforme de la justice a donné lieu à 10 colloques thématiques régionaux et s’est clôturé, le 23 février, par une conférence sur la justice et les médias. |
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