Le “président des Frères” doit faire face au rejet croissant de sa politique par la population égyptienne. Depuis quelque temps, Mohamed Morsi est abonné aux critiques, quand ce n’est pas aux jets de pierres. Zoom sur un pays qui sombre dans une confusion meurtrière.
Depuis longtemps déjà, les pharaons ont abandonné la surface de la terre. Mais la malédiction semble poursuivre l’Égypte, en proie à des flambées de violence qui se succèdent sans répit. Au Caire, d’abord, où les abords du palais présidentiel sont régulièrement le théâtre de batailles rangées particulièrement dures entre des manifestants de tous bords et la police. À Port-Saïd et à Suez, ensuite, depuis la condamnation à la peine de mort, le 26 janvier, de 21 supporteurs du club local d’Al-Masry pour leur supposée participation à l’émeute qui avait coûté la vie à 74 personnes, le 1er février 2012, dans le stade de la ville. Encore soutenu par une partie de la population, le président égyptien n’en reste pas moins en grande difficulté. Son capital sympathie s’amenuise de jour en jour. Les forces politiques qui lui étaient avant favorables s’éloignent de son bilan et de son action, et la rue gronde de plus en plus fort. Décrété le 27 janvier en réponse aux violences, son couvre-feu a été allègrement bafoué par de nombreux habitants, avec la complicité de l’armée – la police s’est, depuis, retirée de son quartier général à Port-Saïd pour tenter d’apaiser les esprits.
Les raisons de la colère
À l’origine des violences des dernières semaines – une cinquantaine de morts fin janvier et au moins 8 décès depuis le début du mois de mars –, la sentence sans nuance prononcée contre les supporters du club de la ville pour l’attaque des tribunes du club cairote d’Al-Alhy. Ce dernier est connu pour avoir fourni de gros contingents aux révolutionnaires au moment de la chute de Hosni Moubarak, et les ultras du club avaient menacé de semer le désordre en cas de condamnation trop clémente. Impossible donc pour le gouvernement de ne pas donner l’illusion d’une reprise en main, d’autant que de nombreux Egyptiens accusent la police et des fidèles de l’ancien dictateur d’avoir organisé ces violences. Mais à trop vouloir bien faire, le risque est d’avoir la main lourde. Résultat, le président Morsi s’est aussi mis à dos les villes jouxtant le canal de Suez, indispensables poumons de l’économie du pays et qui sont elles aussi entrées dans la contestation.
La confirmation, samedi 9 mars, de la condamnation à la peine capitale des 21 supporteurs du club d’Al-Masry a de nouveau mis le feu aux poudres. Au Caire, des bâtiments de la police et le siège de la Fédération égyptienne de football ont été la proie des flammes. À Port-Saïd, des bateaux légers ont été détachés, des pontons incendiés et des départs de ferrys perturbés dans le but de gêner la sacro-sainte circulation navale du canal. Des grèves partielles ont éclaté dans certaines entreprises, de même qu’à Suez, et Le Monde rapporte que des habitants ont symboliquement rempli des formulaires de “délégation de pouvoir” en faveur des militaires.
Seul contre tous
Les forces armées continuent à être considérées par les opposants comme une entité neutre. Pourtant, les militaires ne portent pas le président dans leur cœur depuis le bras de fer qu’il a engagé pour reprendre le pouvoir de la main du Conseil suprême des forces armées (CSFA). Son incapacité à contrôler la police, qui s’est sentie humiliée par les révolutionnaires et poursuit en partie son propre désir de vengeance, est notoire. Mohamed Morsi apparaît donc de plus en plus comme le “président des Frères”, peu préoccupé par le sort des Égyptiens et incapable de contrôler l’appareil d’État. Beaucoup s’interrogent sur un programme politique absent des radars et dont les grandes lignes, hormis son libéralisme économique poussé, restent à définir.
Même au sein de la sphère religieuse, Mohamed Morsi ne fait pas l’unanimité. Au départ soutenu par les plus radicaux, le président est désormais critiqué par le parti salafiste Al-Nour, qui a signé, fin janvier, un accord en huit points avec le Front de salut national (la principale coalition d’opposition), demandant notamment la constitution d’un gouvernement d’unité nationale. Pour ne rien arranger, la justice administrative a décidé, mercredi 6 mars, de l’annulation des élections législatives prévues à partir du 22 avril et du renvoi devant la Cour constitutionnelle de la loi électorale afin de vérifier sa conformité avec la loi fondamentale. La saga du “tous contre Morsi” continue.
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