Pays foncièrement importateur, le Maroc a besoin d’euros et de dollars pour tourner. Et cette 3oumla sa3ba se fait justement de plus en plus rare, couvrant à peine quatre mois d’importations. Bientôt la panne sèche ?
Vendredi 8 février. Le ministre des Finances, Nizar Baraka, et son binôme au département du Budget, Driss Azami Al Idrissi, annoncent les résultats de l’exercice budgétaire 2012, première année pleine du gouvernement Benkirane. Le tableau est sombre : le déficit des comptes publics atteint un record de 7,1%, la dette consolidée de l’Etat flirte désormais avec les 60% du PIB, et la croissance ralentit à moins de 3%… Bref, le Maroc va mal. Encore plus mal quand on sait que le matelas de devises qui nous sert de réserve en cas de “mauvais temps” est à sec. Couvrant plus de onze mois d’importations il y a tout juste cinq ans, le stock de devises du pays couvre aujourd’hui moins de quatre mois d’achats à l’international. Une hémorragie déclenchée au lendemain de la crise internationale et qui risque de mettre à terre un royaume, hier encore réputé pour être l’un des meilleurs élèves de sa catégorie.
3oumla très sa3ba
Inutile de le rappeler : le Maroc est un pays foncièrement consommateur. On importe tout ou presque, et les rares produits exportés ne rapportent pas tant que cela. En 2012 par exemple, les achats internationaux du Maroc ont atteint les 381 milliards de dirhams, soit deux fois nos exportations, qui flirtent à peine avec les 183 milliards. Résultat, le solde commercial du pays se chiffre à quelque 200 milliards de dirhams. Un énorme trou que les recettes de voyage, les transferts des MRE ou encore les IDE et autres prêts étrangers n’arrivent plus à combler. Pire encore, ces trois postes, souvent considérés comme une manne de 3oumla, se tarissent d’année en année. En 2012, par exemple, les dix millions de touristes qui ont foulé le sol du plus beau pays du monde n’ont dépensé que 58 milliards de dirhams, soit un milliard de moins qu’en 2011. Même tendance pour les transferts de nos compatriotes à l’étranger, qui se sont élevés à 56 milliards, contre plus de 58 milliards un an auparavant. Et si les investissements et prêts étrangers ont augmenté d’un petit milliard entre 2011 et 2012, ce gain passe vite à la trappe quand on compte les flux des investissements qui partent du Maroc ou encore les remboursements des dettes du pays, qui se sont chiffrés sur la même année à plus de neuf milliards de dirhams, selon les statistiques de l’Office des changes.
Banquiers frileux
Ces données macroéconomiques peuvent paraître trop vagues, mais elles ont un impact direct sur la vie de tous les jours. Lisez ce que dit ce directeur d’agence bancaire casablancais : “Le cash ne circule plus. Des fois, je suis obligé de prendre de l’argent du GAB pour couvrir une demande de retrait. Et quand je fais appel au siège pour m’alimenter en liquide, on me dit ‘fais avec ce que tu as’ !” Les demandeurs de crédit ont dû aussi le remarquer. Exit les années fastes où les crédits étaient accordés à tout-va, en 24 heures chrono. Désormais tout est passé à la loupe, et des secteurs entiers de l’économie marocaine, comme l’industrie ou encore le tourisme, se voient opposer un niet catégorique à toute demande de renouvellement de leurs lignes de trésorerie. Même les (très) riches promoteurs immobiliers n’échappent pas à cette nouvelle donne… Les chiffres de Bank Al-Maghrib pour l’année 2012 sont à ce titre édifiants. Les crédits bancaires, qui progressaient de deux chiffres il y a trois ou quatre ans, ont évolué à peine d’un petit 4,5% en 2012. Une croissance “ridicule”, tirée essentiellement par les prêts à la consommation ainsi que par le financement de l’Etat et des établissements publics, des clients “sans risque”, comme on dit dans le jargon de la finance. “C’est légitime. Les banques ont accusé en 2012 un déficit de trésorerie de plus de 70 milliards de dirhams. Comment veut-on qu’elles continuent à financer l’économie alors que leurs ressources se tarissent ?”, signale ce cadre à la banque centrale, qui semble défendre ses poulains en col blanc, que plusieurs politiques qualifient désormais d’“égoïstes frileux”.
Bonjour le protectionnisme !
La solution, tout le monde la connaît. À moins que le pétrole ne jaillisse de notre sous-sol, il faut relancer les exportations du pays. Toutes les politiques publiques de cette dernière décennie convergent d’ailleurs vers cet objectif, avec plus ou moins de réussite, comme dans le secteur automobile, l’aéronautique ou celui de l’offshoring, devenus depuis quelques années de grands pourvoyeurs de devises pour le pays. Mais rien n’y fait, la situation s’aggrave d’année en année, à cause notamment de la flambée des prix des matières premières importées par le Maroc, et des accords de libre-échange déséquilibrés, qui profitent plus à nos partenaires commerciaux qu’à notre tissu productif (lire encadré). Aujourd’hui encore, des actions sont entreprises pour relancer les exportations, via notamment la création de consortiums à l’export, ou d’aides financières aux entreprises tournées vers l’export. Mais les fruits de ces actions ne se ressentiront que sur le long terme. En attendant, l’équipe Benkirane semble avoir trouvé la parade pour parer à l’urgence du moment : mettre un coup de frein aux importations, en activant une politique de protectionnisme qui ne dit pas encore son nom. Dans les secteurs du PVC, de l’acier ou encore dans le sanitaire, des mesures dites de “défense commerciale” ont été prises ces dernières semaines pour stopper le flux de produits asiatiques et européens qui inondent le marché local. Idem pour les marchés publics, où l’Etat exige désormais des heureux gagnants d’acheter marocain, et de ne recourir à l’importation qu’en cas de non-disponibilité des produits ou des équipements concernés. Des mesures qui permettront d’économiser quelques milliards de dollars, mais ne pourront pas résoudre le fond du problème. En attendant, le Maroc sait qu’il peut compter sur ses amis arabes du Golfe, qui se sont engagés à lui octroyer une aide de cinq milliards de dollars, étalée sur cinq ans, à raison d’un milliard par année. Pour 2013, 400 millions de dollars ont été déjà débloqués par l’ami saoudien. Le reste devra suivre bientôt. Et si tout cela ne suffit pas à stopper l’hémorragie, on pourra toujours puiser dans la ligne de précaution de 6,2 milliards de dollars accordée en 2012 par le Fonds monétaire internationale… Un cadeau empoisonné, qui peut nous coûter très cher.
Libre-échange. Une ouverture mal préparée Le Maroc est un boxeur, poids plume qui joue contre des Tyson. Voilà comment on peut qualifier les accords de libre-échange (ALE) conclus avec la majorité des partenaires commerciaux du pays. Mal négociés, ces ALE, auxquels on prêtait mille vertus, se sont avérés pénalisants pour le Maroc. C’est le cas de l’accord signé avec l’Union Européenne. Ses exportations dans le cadre de l’accord sont passées de 49 milliards de dirhams en 2006 à 80 milliards en 2009, puis à 95 milliards à fin 2011. En face, le Maroc n’arrive à placer dans le cadre de ces accords qu’un petit 30 milliards de dirhams, occasionnant un déficit commercial monstre de plus 45 milliards. Idem pour les Etats-Unis, la Turquie ou même les pays signataires de l’accord d’Agadir (Egypte, Jordanie et Tunisie), et qui sont pourtant de même taille que le Maroc. “Ce n’est plus à prouver, les ALE nous pénalisent beaucoup. Et nous sommes en train de réfléchir à une manière de renégocier ces partenariats ou de les mettre en suspens momentanément”, confie cette source au département du Commerce extérieur.
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