Foot-business. La cagnotte de la CAN

Rendez-vous très attendu des téléspectateurs, la Coupe d’Afrique des Nations s’est transformée en véritable produit marketing. Un évènement qui coûte de l’argent aux citoyens, mais qui en rapporte aussi. Le point.

Si la CAN est incontestablement un grand moment de football, c’est aussi un centre de coût et de profit pour le pays, ses entreprises, ses chaînes, ses cafés et autres bars… Les marketeurs ne voient pas dans la CAN que l’évènement footballistique, mais la considèrent d’abord comme un produit qu’il faut vendre, commercialiser et rentabiliser. Les entreprises et grandes institutions du pays, elles, y voient un moment de télé, un rendez-vous “émotionnel” qu’il faut capter à tout prix, pour vendre son image ou sa marque. Bref, la CAN, c’est du foot, mais c’est aussi un business. Quand le onze national se porte bien, ce marché est florissant. Mais aujourd’hui, les comptes ne sont pas équilibrés, puisqu’on dépense plus qu’on ne gagne.

 

Les comptes de la Fédé

En plus des 115 millions de dirhams que l’Etat a allongés pour acheter les droits de retransmission de dix matchs de la CAN, la Fédération royale marocaine de football a dû dépenser la bagatelle de 7,5 millions de dirhams pour payer les frais du périple marocain en Afrique du Sud. “Mais attention, ceci n’est pas une dépense nette, puisque la Confédération africaine de football doit nous reverser quelque 4 millions de dirhams au titre de la participation du Maroc à cette édition 2013”, souligne Karim Alem, chef de la délégation marocaine en Afrique du Sud, qui comptait pas moins de 47 personnes. 47 personnes à nourrir donc, à loger, à transporter et à soigner le cas échéant. Et pour son séjour, la délégation rouge et verte n’a pas fait dans l’économie. Logée au Hilton Sandton à Johannesburg et au Protea Hotel Uhmlanga Ridge de Durban, la délégation —composée des 23 joueurs, du staff technique et des membres fédéraux— a dépensé quelque 1,7 million de dirhams rien qu’en frais de logement et de nourriture.

Le transport de l’équipe nationale, à bord d’un avion Air France, a coûté dans les 600 000 DH, aller-retour. La sélection nationale a dû aussi acheter ses équipements sportifs sur place. Coût de l’opération : 300 000 DH. Le tout sans compter les frais de médication qui s’élèvent à 200 000 DH. Mais quand on voyage pour une compétition, il n’y a pas que le foot. Les séances d’entraînement des joueurs durent 3 heures par jour au grand maximum. Le reste du temps, nos Lions sortent, font du shopping, prennent un pot… Et pas question qu’ils casquent le moindre kopeck dans ces extras, puisque la Fédé assure à l’ensemble de la délégation, et à quelques supporters accompagnant l’équipe, un per diem de 200 euros par jour et par personne. Ce sont donc 2,4 millions de dirhams qui ont été dépensés dans le seul argent de poche de la délégation, restée presque un mois dans le pays de Mandela.

 

Du phosphate à la télé

Côté recettes, c’est la télé qui profite le plus de la manne CAN. Retransmis sur les trois chaînes nationales —Al Aoula, Arriadia et 2M—, les trois matchs de la sélection nationale ont été suivis par plus de 3 millions de téléspectateurs selon MarocMétrie. Une audience à couper le souffle, et qui attire les gros annonceurs, en quête de gain en image. Cette année, pour consolider les efforts, la vente des espaces publicitaires pour la CAN a été confiée à la régie publicitaire de la SNRT. Idem pour 2M, pourtant entité autonome, qui dispose de sa propre régie. “Nous avons fait une offre spéciale pour la CAN, que nous avons placée comme un produit à part entière. Nous garantissions ainsi à nos clients d’être présents là où le match passe. Autrement dit, ce ne sont pas les chaînes qu’on vendait, mais le produit CAN. Les recettes publicitaires sont en suite réparties entre les différentes chaînes”, explique Adel El Fakir, directeur central en charge de la régie publicitaire de la SNRT. Les principaux annonceurs qui ont misé sur cet événement de foot sont, comme d’habitude, Maroc Telecom, partenaire officiel des Lions de l’Atlas, le groupe Addoha d’Anas Sefrioui, et les fromageries Bel, avec leur marque phare La Vache Qui Rit. Mais la surprise de cette année a été incontestablement l’OCP. Présent dans tous les matchs CAN à travers 3 spots publicitaires de 10 secondes chacun, l’Office chérifien des phosphates s’est offert le luxe de passer à deux reprises un film institutionnel de deux minutes et demie. “L’OCP a été le premier annonceur dans cette CAN, il nous  a apporté un soutien énorme”, signale Adel El Fakir. Du côté de l’office chérifien, ceci n’est pas du tout une surprise. “L’OCP a toujours aidé le sport national, notamment le foot. La moindre des choses est de montrer notre soutien à l’équipe nationale. C’est cela qui a permis aux Marocains de voir les matchs du Maroc sur leur propre télé. La responsabilité sociale fait partie de notre ADN”, nous explique-t-on à l’OCP.

 

Les Lions font pschitt

Malgré cela, le retour sur investissement n’était pas à 100% assuré. Achetés à 115 millions de dirhams, les matchs n’ont même pas rapporté la moitié de la mise de départ. Contrairement à la CAN 2012, où la régie de la SNRT a enregistré un record en termes d’affluence publicitaire, cette année, c’est la dèche. “Pendant la CAN 2012, nous avons fait un record en termes de recettes. Nous avons rempli tout l’espace réservé à la pub et qui était de 12 minutes par heure. Ce qui nous a permis de couvrir la moitié des frais d’achat des matchs. Cette année, on a à peine rempli 6 minutes de temps publicitaire”, s’alarme ce responsable de la SNRT. La faute à qui ? A la conjoncture d’abord. “Nous n’avons pas encore consolidé les chiffres de la pub pour l’année 2012, mais il est clair qu’il y a eu de sérieuses coupes dans les budgets des annonceurs, à cause notamment de la crise économique”, explique ce patron d’une agence de com’ casablancaise. Autre élément : la succession de deux CAN en l’espace d’une année, ce qui a poussé plusieurs annonceurs à lever le pied en 2013, faute de budget. Mais la mauvaise prestation du onze national sous Gerets en 2012, au Gabon, y est aussi pour quelque chose. “La pub reste un investissement. Cette année, certains de nos clients ont préféré ne pas prendre de risques en misant sur la sélection nationale. Ce qui est leur droit le plus absolu”, souligne Adel El Fakir. Et ils ont eu bien raison. Sortis dès le premier tour après trois nuls, les Lions ne sont pas allés loin dans la compétition. Une élimination qui a été dure à avaler pour le public, mais aussi pour les publicitaires, qui y voient, eux, une coupe nette dans leur chiffre d’affaires.

 

Audimat. Al Jazeera, grande championne

Très suivie par nos concitoyens, la chaîne qatarie Al Jazeera Sport attire de plus en plus d’annonceurs marocains, et fait désormais de la concurrence aux chaînes nationales sur le produit foot. En ce qui concerne la CAN, pour laquelle la chaîne aux gros moyens a le monopole des images jusqu’en 2015, les téléspectateurs ont pu voir des pubs de Maroc Telecom, de Méditel et d’autres annonceurs de chez nous, et en darija s’il vous plaît. Des plages publicitaires qui ont été vendues au Maroc comme des petits pains. “Les équipes d’Al Jazeera se sont déplacées au royaume avant la CAN, et en une semaine, elles ont tout vendu”, nous confie Moncef Belkhayat, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports. Et les résultats ont vite suivi, puisque les matchs de la sélection nationale ont été regardés sur Al Jazeera par plus de 10 millions de personnes. Un engouement que l’ex-ministre des Sports explique par la qualité du contenu proposé par la chaîne qatarie, dont les commentateurs sont devenus de véritables stars au Maroc. Comment faire pour tenir tête à ce géant de la télé ? “Il faut tout simplement améliorer le contenu de nos chaînes. Cela passe par le commentaire des matchs mais aussi par les plateaux d’analyse des rencontres. Des prestations aujourd’hui très médiocres”, souligne Moncef Belkhayat.

 

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