Spécialiste de la politique et de la société israéliennes, Alain Dieckhoff dresse l’état des lieux dans l’Etat hébreu à la veille des élections législatives anticipées du 22 janvier. Interview.
La coalition de droite formée par le Likoud et Israël Beitenou est donnée favorite aux élections législatives du 22 janvier. Pourquoi la droite israélienne est-elle aussi forte ?
Pour ce qui est de la stratégie électorale, Nétanyahou a marqué un point : il apparaît d’emblée comme le leader “naturel” d’une droite nationaliste unifiée alors que ses adversaires sont divisés (voir encadré). Mais cette réussite n’aura pas nécessairement une traduction en termes de votes. Les sondages actuels donnent pour l’heure moins de 40 sièges à Nétanyahou et son allié, Avigdor Lieberman, alors que le Likoud et Israël Beitenou disposent actuellement de 42 sièges à la Knesset. Cela dit, cette alliance de droite sera la force politique la plus importante au parlement : elle sera donc bien placée pour constituer une coalition gouvernementale, d’autant que les partis religieux lui sont globalement acquis.
La dernière livraison du bimensuel américain The New York Review of Books titrait “Israël en péril”. Selon le magazine, la dérive anti-démocratique du sionisme pourrait conduire à la mise en danger de l’Etat hébreu. Pensez-vous que le risque soit réel ?
Il y a à l’évidence une tentation anti-démocratique. Cependant, elle émane non pas du sionisme, mais de groupes politiques qui aimeraient renforcer l’allégeance aveugle des citoyens à l’Etat. Au cours de la législature écoulée, une série de lois ont été adoptées (pour punir le boycott des produits israéliens ou contrôler le financement des ONG par des États étrangers) qui visent à restreindre la liberté d’expression. Ces propositions émanaient essentiellement du parti russophone Israël Beitenou et du Likoud. Cet activisme législatif témoigne d’une volonté manifeste de réduire le champ de la critique envers l’État, tout en promouvant un esprit de loyauté à son égard.
Le dernier affrontement armé à Gaza s’est inscrit dans un agenda électoral précis, selon certains. Validez-vous cette thèse ?
Je conteste l’idée selon laquelle l’opération “Pilier de défense” était une guerre électorale. Elle était la conséquence d’une dégradation grandissante de la situation sécuritaire au sud du pays. Par contre, il est indéniable que le tandem Nétanyahou-Lieberman s’est employé à mettre à profit électoralement cette opération en se présentant comme le plus à même de répondre aux défis régionaux du pays. Sur le fond, le conflit de novembre 2012 a permis à Israël de soulager temporairement ses citoyens du sud. Sauf que rien n’est réglé, et le Hamas apparaît renforcé politiquement. Non seulement il a tenu tête à son adversaire, mais il est devenu un interlocuteur légitime pour les gouvernements arabes, en particulier ceux issus des récents changements de régime (Egypte, Tunisie).
Nétanyahou a annoncé la construction d’une clôture sécurisée le long de la frontière avec la Syrie, sur le plateau du Golan. Les peurs d’Israël et les mesures prises sont-elles justifiées ?
Les craintes d’un “débordement” de la crise syrienne sur Israël sont légitimes. En juin 2011, Bachar Al Assad avait déjà encouragé des centaines de Palestiniens à pénétrer sur le plateau du Golan. Comme son régime est chaque jour davantage aux abois, la tentation du président syrien d’entraîner la région dans sa chute va sans doute croître. Outre une pression multiforme autour du Golan, le Hezbollah, proche de Damas, pourrait également être de la partie en lançant des missiles sur Israël (comme en 2006).
Le Printemps arabe a-t-il changé les relations d’Israël avec ses voisins arabes ? Comment l’Etat hébreu perçoit ces révolutions ?
Les responsables israéliens, comme une bonne partie de l’opinion publique, ne voient pas d’un bon œil les évolutions en cours au Proche-Orient. Ils font un constat très simple : dès lors que des élections libres sont organisées, les islamistes raflent la mise, ce qui aboutit à l’adoption d’une posture plus critique envers Israël. Cela a été vrai avec la Turquie hier et avec l’Egypte aujourd’hui. De plus, ces gouvernements islamistes ont une proximité naturelle avec le Hamas contre lequel Israël a mené deux campagnes militaires en l’espace de cinq ans. Pour Israël, le Printemps arabe signifie un isolement plus grand au Moyen-Orient.
Les menaces israéliennes contre l’Iran semblent plus sérieuses que jamais. Pensez-vous qu’une guerre soit possible dans la région ? Les autorités israéliennes peuvent-elles déclencher les hostilités ?
Si, comme cela est probable, Nétanyahou se succède à lui-même, nul doute que la question du nucléaire iranien sera au cœur de ses préoccupations. Le renforcement des sanctions contre la République islamique, comme la guerre de l’ombre (assassinat de scientifiques, virus informatiques), ont jusqu’à présent retardé la mise en œuvre du programme iranien, mais ces actions l’ont-elles suffisamment entravé ? Sans doute pas, d’où la tentation de l’option militaire, dont les termes demeurent fondamentalement toujours les mêmes. D’un côté, des frappes militaires, bien qu’assez complexes à réaliser techniquement, pourraient compromettre le projet iranien ; d’un autre côté, tout le monde mesure bien que le risque de déstabilisation régionale consécutif à des attaques israéliennes serait considérable. Le choix final que feront les décideurs israéliens dépendra beaucoup de la position qu’adoptera le président Obama.
La nomination de Chuck Hagel, qui avait pris dans le passé des positions jugées anti-israéliennes, à la tête du Pentagone va-t-elle faire évoluer les relations entre Israël et les Etats-Unis ?
La nomination de l’ancien sénateur républicain apparaît comme une surprise, mais le procès en “anti-israélisme” qui lui a été fait d’emblée est avant tout une tentative de déstabilisation émanant de cercles néo-conservateurs aux Etats-Unis comme en Israël. Hagel est un esprit indépendant, un réaliste pragmatique. Ceux qui le critiquent lui reprochent finalement de ne pas apporter un soutien indéfectible aux gouvernements israéliens de droite. Mais est-ce que tenir la poursuite incessante de la colonisation comme une erreur politique est un signe d’hostilité à Israël ? A l’évidence, non. A bien des égards, on pourrait même défendre la position inverse, à savoir que l’avenir de l’Etat hébreu passe, sur le long terme, par le désengagement territorial de la Cisjordanie.
Donc la position américaine dans le conflit israélo-palestinien ne changera pas…
Le soutien américain envers la sécurité d’Israël demeurera intact sous “Obama II”, ce qui n’empêchera pas les tensions politiques avec Israël, surtout si le président américain se décide à relancer, comme il l’avait fait au début de son premier mandat, les initiatives diplomatiques pour débloquer les négociations israélo-palestiniennes.
Elections. Les forces en présence Pour les élections législatives de fin janvier, il y a 34 listes en lice. Mais la compétition véritable se joue entre une dizaine de partis. Le Likoud et Israël Beitenou -parti russophone nationaliste, représentatif de la droite dure et qui adopte des positions extrêmes vis-à-vis à des Palestiniens-, qui cohabitaient au sein du gouvernement sortant, ont constitué une alliance électorale. Face à eux, un pôle de centre-gauche divisé entre quatre formations : Kadima, le parti travailliste, et deux nouveaux venus, Yesh Atid (“Il y a un avenir”), dirigé par le journaliste Yair Lapid, et “Le Mouvement”, emmené par l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni. A cela, il convient d’ajouter le “Foyer juif”, un parti religieux ultranationaliste et les formations ultra-orthodoxes (Shas, Agoudat Israel). Enfin, il y a les trois listes qui s’adressent à l’électorat arabe : Hadash, Balad et Ra’am-Ta’al. A noter que la commission électorale a interdit le premier spot de Balad, où l’hymne national d’Israël était chanté en arabe. Il a été jugé comme une atteinte à l’hymne original. |
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