Depuis des semaines, des cliniques mobiles sillonnent les quatre coins du pays pour lutter contre la propagation du VIH. Escale dans la petite bourgade de Fkih Ben Saleh.
Ce matin-là, il pleut comme vache qui pisse à Fkih Ben Saleh, petite ville à l’urbanisme champêtre coincée entre Khouribga et Beni Mellal. A proximité du marché municipal et de ses nombreux détritus, une quinzaine de femmes défient la météo pour faire la queue devant un camion. Habillées en djellaba ou en training, le visage maquillé, certaines avancent prudemment ou baissent les yeux de peur d’être reconnues par les passants. Ce sont pour la plupart des travailleuses du sexe venues pour un dépistage du VIH et autres maladies sexuellement transmissibles (MST). Et le véhicule est une véritable clinique mobile installée par l’Association de lutte contre le sida (ALCS). Du Moyen-Atlas à la région de Souss-Massa-Drâa, de Tanger à Casablanca, cette caravane sillonne depuis début octobre toutes les régions du Maroc, en ciblant plus particulièrement les populations à risque, telles que les prostituées.
Les racines du mal
“Heureusement que le Maroc avait compris depuis 1986 qu’il fallait endiguer la maladie. Autrement, le pays aurait suivi la voie tragique de certains pays d’Afrique”. Le constat du docteur Mohamed Aït Lamqadem – qui s’occupe du dépistage dans la caravane mobile de l’ALCS – est sans équivoque. Depuis les années 1930, l’industrie du sexe tarifé s’est implantée dans plusieurs bourgades du Moyen-Atlas et le “business” connaît une véritable explosion dans d’autres régions. “Au Souss, on enregistre les plus importants taux de sida au Maroc à cause du nombre élevé de travailleuses saisonnières qui se prostituent de manière occasionnelle pendant les périodes où elles ne travaillent pas”, souligne Baabou Naïma, coordinatrice sur le terrain de l’ALCS. A Fkih Ben Salah, même s’il n’existe pas de bordels au sens propre du terme, plusieurs prostituées habitent des appartements qu’elles louent souvent en petits groupes de trois ou quatre personnes. Elles travaillent principalement avec une clientèle locale composée d’agriculteurs et, ponctuellement, avec les camionneurs et les travailleurs immigrés en Italie, issus de la région, de retour au pays. Pour les convaincre d’effectuer les tests, la caravane a dépêché deux jours auparavant trois agents de contact pour préparer le terrain. Leur méthode de travail consiste à repérer ces foyers de prostitution, et faire du porte à porte pour rencontrer les filles pour de longues séances d’information et de sensibilisation. “Dans chaque région, nous avons une personne qui passe le mot dans les quartiers et nous donne les numéros de téléphone des autres filles pour les convaincre de la nécessité du dépistage”, explique Mouhiman Amal, de la section de l’ALCS à Béni Mellal. Depuis cinq ans qu’elle est sur le terrain, cette dernière a développé un solide réseau. “Au début, les filles pensaient que les séropositifs étaient raflés et brûlés. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué et, chaque année, elles sont de plus en plus nombreuses à se présenter spontanément dès que la caravane est là”, souligne-t-elle.
Roulette russe
Il est à peine 11h du matin et pas moins de 35 femmes ont déjà bénéficié des services de la caravane. En effet, nul besoin de présenter un document d’identité, et tout ce qu’il se passe entre ces femmes et les médecins reste confidentiel. Une fois chacune d’elle admise dans le petit cabinet aménagé dans la clinique mobile, on lui fait une prise de sang et elle reçoit un identifiant numérique pour préserver l’anonymat. Il ne faut pas plus de quinze minutes pour avoir le résultat. Fatma, 26 ans, originaire d’un petit village de la région, vient de faire le test. Divorcée à 22 ans, elle exerce le plus vieux métier du monde depuis maintenant 4 ans. “La passe coûte 20 DH et, quand une fille est invitée à passer la soirée avec un client, le tarif varie entre 150 et 200 DH”, nous confie-t-elle en cachant péniblement sa nervosité. Elle sursaute de peur quand elle est appelée pour recevoir les résultats du test. Après 10 minutes d’attente, elle ressort avec un large sourire et une boîte de préservatifs dans la main. “Quand je propose à des hommes un rapport protégé, certains refusent et sont prêts à payer le triple pour avoir un rapport sans capote. C’est une forme de chantage qu’ils exercent sur nous et certaines de mes collègues dans le besoin tombent dans le piège, ouvrant la voie au sida ou à la syphilis”, explique-t-elle.
Love for sale
Après plusieurs jours dans le Moyen-Atlas, les responsables de la caravane retiennent leur souffle. En effet, si aucun cas de VIH n’a été signalé, la prolifération de la syphilis et d’autres MST donne des sueurs froides aux médecins de la caravane. “Ces maladies constituent le lit du sida puisqu’elles fragilisent les organes sexuels et facilitent la pénétration du virus”, analyse Mohamed Aït Lamqadem. L’autre catégorie qui constitue une véritable bombe est composée essentiellement des camionneurs de passage. En effet, certaines filles se sont spécialisées dans cette catégorie de clients très mobiles et compliquent ainsi la traçabilité de la maladie. “Certaines professionnelles se déplacent de ville en ville avec les camionneurs, qui disposent de cabines pour leurs ébats. C’est l’autostop de la mort puisque les filles deviennent des vecteurs du sida, transportant le virus d’une région touchée à une autre jusque-là épargnée”, souligne Mohamed Aït Lamqadem. Pour parer à cette situation, l’ALCS organise épisodiquement des caravanes dans les gares routières, avec dépistage et campagnes de sensibilisation. Par souci d’efficacité, des CD avec musique populaire et spots de sensibilisation sont distribués gratuitement aux camionneurs. Mais derrière cette lutte acharnée contre le sida, l’optimisme est de mise chez ces soldats de l’ombre. En effet, la prise de conscience des populations visées est telle que la maladie n’est plus un sujet tabou et les gens se présentent de plus en plus spontanément aux caravanes de l’ALCS, conscients que le sida est désormais une maladie qui se traite. Ainsi, dans le cas où une personne est diagnostiquée positive, elle est envoyée à un centre de l’ALCS et prise en charge depuis le transport jusqu’aux analyses et thérapies. “Quand la maladie est confirmée, son traitement dépend du niveau de l’immunité. Certaines personnes continuent à vivre normalement avec la maladie pendant cinq ans avant de commencer les soins”, explique Mohamed Aït Lamqadem. D’un autre côté, la thérapie n’est plus aussi lourde qu’avant et le nombre de comprimés à avaler a été réduit largement, en attendant l’arrivée prochaine du traitement par monoprise. Vers 15h, après 96 dépistages réalisés en une journée, trois jeunes filles se présentent à la dernière minute pour effectuer le dépistage. “J’ai réussi à les convaincre après plusieurs appels au téléphone. On ne va pas les laisser rebrousser chemin”, souligne Mouhiman Amal. Tout le staff, la mine fatiguée, reprend le travail, plus déterminé que jamais à faire reculer le sida.
Zoom. Le VIH en chiffres A l’occasion de Journée mondiale de lutte contre le sida, célébrée chaque année le 1er décembre, le Programme national de lutte contre le sida (PNLS) a publié ses dernières estimations sur l’évolution de la maladie au Maroc. Il en ressort que le virus toucherait 6824 malades déclarés et 29 000 séropositifs seraient porteurs du virus sans en avoir connaissance. Une tendance légèrement en hausse en comparaison avec les chiffres de 2008, où les porteurs potentiels du VIH avoisinaient les 25 000. D’après le PNLS, la prévalence du virus du sida stagne depuis les années 2000 et se maintient au faible niveau de 0,11%. Les jeunes, de 15 à 34 ans, représentent 51% des personnes infectées par la maladie. Actuellement, 4957 malades ont accès à des soins médicaux et reçoivent la trithérapie dans 13 centres répartis sur tout le royaume. Cette année encore, l’ALCS compte lancer une campagne de collecte des fonds qui va se dérouler du 6 au 31 décembre, en plus d’une soirée d’appel à dons qui sera diffusée le 14 décembre sur 2M. “Chaque dépistage coûte 1200 DH et les porteurs du virus sont entièrement pris en charge. Vu le nombre de bénéficiaires, le besoin est de plus en plus important”, conclut le docteur Mohamed Ait Lamqadem, qui officie dans l’une des cliniques mobiles de l’ALCS. |
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