“Le racisme, c’est hram”

Smyet bak ?

 

Yaya Camara.

 

 

Smyet mok ?

 

Foulematou Tawel Camara

 

 

Nimirou d’la carte d’sijour ?

 

3435432.

 

 

Vous parlez darija ?

 

Chouia, machi bezaf. Un peu. Mais j’aimerais beaucoup progresser.

 

 

Vous venez de passer 15 jours en prison, pour contrebande de tabac et de vin, et pour usage de faux pour obtenir votre carte de séjour. Vous pensez que c’est la vraie raison pour laquelle vous êtes poursuivi actuellement en justice ?

 

Pas du tout. D’abord, je réfute la version de la police qui parle de plus de 200 cartouches de cigarettes, j’avais seulement quelques paquets chez moi. Mais aussi, je tiens à dire que lorsque les policiers ont débarqué à mon domicile à Hay Takadoum, à Rabat, ils m’ont dit qu’ils recherchaient des dealers ou trafiquants de drogue. Ils m’ont passé les menottes, et ont retourné mon appartement. Et là, ils sont tombés sur un rapport que j’étais sur le point de livrer à l’AMDH, dont je suis membre, sur la situation des migrants subsahariens.

 

 

Ils ont réagi comment ?

 

Ils ont commencé à me demander pour qui je travaillais, et là, l’un d’eux m’a dit : “Tu sais, l’alcool ou les cigarettes, on s’en fout, mais le rapport, c’est très grave…” Alors je le dis, mon procès est politique.

 

 

Par la suite, vous avez passé une quinzaine de jours en prison. C’est plus dur derrière les barreaux quand on est subsaharien ?

 

Bizarrement, c’est moins dur que dehors. Je n’ai pas subi d’acte de racisme. Je pense que c’est dû au fait qu’en prison, chacun a ses propres problèmes, et on ne se soucie pas forcément des autres.

 

 

Aujourd’hui, on a l’impression que les Subsahariens ne tolèrent plus le sort qui leur est réservé, qu’ils ne veulent plus subir. Qu’est-ce qui a changé ?

 

Nous avons décidé de prendre en main notre destin. Nous avons créé plusieurs associations, nous multiplions les sit-in. Bref, nous ne voulons plus nous laisser faire. Je me l’étais promis il y a quelques années, aujourd’hui, je l’ai fait.

 

 

Beaucoup de Subsahariens viennent au Maroc pour rejoindre l’Europe. C’était votre objectif en débarquant dans le royaume ?

 

Non, et pour tout vous dire, je ne savais même pas qu’il y avait des enclaves espagnoles dans le nord du pays.  Mais ça l’est devenu au fil du temps, à cause des traitements qu’on nous inflige ici. C’est d’ailleurs une option pour la majeure partie des Subsahariens, qui veulent désormais tenter leur chance en Europe, parce qu’on ne leur offre aucune opportunité au Maroc, et qu’ils subissent le racisme tous les jours que Dieu fait.

 

 

Quelles sont les insultes que vous vous prenez dans la face au quotidien ?

 

Je ne vais rien vous apprendre, l’insulte la plus répandue c’est âzzi, mais on entend de tout, à Fès, on nous traite de “Gamgam”, c’est, paraît-il, “un singe noir”. Pourtant, le racisme c’est hram…

 

 

A force de subir le racisme au quotidien, vous n’avez pas envie d’exploser parfois ?

 

Si, souvent. Mais que voulez-vous, je contiens ma rage, je me bouche les oreilles, je me dis que je suis au-dessus de tout ça. Si tu t’embrouilles avec un Marocain, il y en a dix qui rappliquent.

 

 

Certains Subsahariens disent que s’ils se baladent souvent en groupe, c’est justement par peur d’être agressés. C’est votre cas ?

 

Oui, on se dit qu’on risque moins de se faire embêter si on est plusieurs…

 

 

Le fait que vous soyez musulman, ça vous rapproche des Marocains ?

 

Franchement, pas plus que ça. On vous dit “Ah vous êtes musulmans, marhba, bienvenue”, mais ça s’arrête là, je ne suis même pas sûr qu’ils le pensent vraiment.

 

Vous pensez que le Maroc a une politique d’intégration, qu’il est préparé à accueillir le flux migratoire venant d’Afrique subsaharienne ?

 

Pour le moment, on ne voit aucune politique d’intégration. Je pense même que les autorités refusent de mener une telle politique, elles préfèrent se voiler la face.

 

 

On vous a déjà reproché de voler le travail des Marocains, comme l’a dit en substance un ministre il y a quelque temps ?

 

J’entends souvent dire ça. Franchement, de quoi on parle, de petits boulots qui payent une misère ? L’Etat marocain ne nous donne strictement rien.  Un hebdomadaire a récemment fait une Une intitulée “Le péril noir”. En fait, c’est l’inverse, nous ne constituons pas un danger, nous sommes en danger, voilà comment il faut voir les choses. Je vais même aller plus loin, aujourd’hui, nous constituons une opportunité pour le Maroc, qui peut, via le traitement qu’il nous réserve, montrer qu’il est un vrai pays des droits de l’homme, ou pas.

 

 

Et si on vous dit, “le Maroc tu l’aimes ou tu le quittes ?” 

 

Je réponds que je l’aime ce pays, mais que je peux pointer du doigt ce que je trouve négatif. C’est mon droit.

 

 

Pourquoi les Marocains ne se sentent pas africains ?

 

J’ai remarqué ça en effet. J’ai plusieurs explications. Peut-être est-ce dû à leur couleur de peau, du fait qu’en grande majorité, ils ont la peau relativement claire. C’est peut-être aussi à cause de la proximité du Maroc avec l’Europe, et du mépris profond qu’ils ont pour l’Afrique noire. A mon avis, tout cela fait qu’ils développent ce sentiment.

 

 

 

Vous avez des exemples de Subsahariens intégrés à la société marocaine, qui ont réussi professionnellement, socialement ?

 

Oui, bien sûr, ils sont rares mais il y en a. Je connais un homme qui travaille dans l’immobilier, il est marié à une femme marocaine. Mais c’est une minorité. Il y a aussi des immigrés qui travaillent dans le bâtiment, ou encore dans l’élevage. Ce sont des métiers très durs, qui payent très peu. La plupart des Subsahariens vivent dans la précarité.

 

 

Vous vous voyez faire votre vie avec une Marocaine ?

 

Oui, j’en serais ravi. Et je pense que je ferais d’elle une femme heureuse. Maintenant, dès que nous autres, Subsahariens, parlons à une Marocaine, quelqu’un débarque et lui souffle dans l’oreille : “Mais pourquoi tu lui adresses la parole, il a le sida ce mec”, ou alors, “Tu ne sais pas que les noirs sont à l’origine de tous les problèmes”. Une fois, j’ai rétorqué : “Mais nous ne sommes pas à l’origine du terrorisme, c’est déjà ça”.

 

 

Vous avez un peu d’espoir quand même ?

Oui, je le dis toujours à mes amis : il ne faut jamais baisser les bras. Ce qui ne nous empêche pas d’être réalistes, nous ne nous battons pas pour nous mais pour nos enfants, pour les générations futures. Ce sont eux qui récolteront le fruit de notre combat. Si Barack Obama a pu être élu, c’est qu’avant lui, il y a eu Martin Luther King.

 

 

Antécédents

 

1984. Naissance en Guinée.

 

2004. Débarque au Maroc puis se réfugie dans une forêt dans le nord.

 

 

2005. Début du militantisme pour les immigrés subsahariens au Maroc.

 

2009. Parle à ses parents pour la dernière fois.

 

2012. Poursuivi en justice pour son engagement dans la lutte pour les droits des migrants.

 

 

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