Le come-back de la salafia jihadia dans plusieurs villes du pays rappelle étrangement l’avant-16 mai 2003. Qu’en est-il vraiment ? TelQuel fait le point.
Le 27 novembre à Tanger, une manifestation de “barbus” a tourné à la confrontation ouverte. D’un côté, les policiers. De l’autre, une centaine de salafistes, qui réclamaient à grand bruit la libération d’un des leurs. Soupçonné de faire partie d’un groupe de 24 terroristes présumés, spécialisé dans l’envoi de jihadistes au Nord-Mali, l’homme aurait tenté d’assassiner un gendarme.
Ces derniers mois, les salafistes sortent du bois. Et les autorités répliquent, comme le montre l’histoire suivante, survenue le 17 octobre à Salé. Deux individus sont arrêtés au quartier Al Inbiâat quand ils s’apprêtaient, juste après la prière d’Al Asr, à donner l’assaut contre une maison de ce quartier populaire. Leur cible ? Une vieille femme accusée de s’adonner à la voyance et à la sorcellerie. Leur objectif ? Selon des sources policières, ils envisageaient… de pendre la vieille dame. Au moment de leur arrestation, les deux individus avaient sur eux deux couteaux, des cagoules, un marteau et deux cordes dont une nouée et prête à l’usage. “Ces deux personnes sont connues des services de police, qui les surveillaient depuis quelque temps”, explique une source sécuritaire à Rabat. D’ailleurs, ils avaient déjà purgé des peines de prison pour terrorisme et l’un d’eux n’a été libéré que fin 2010. Sur la base d’informations obtenues durant leurs interrogatoires, la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire) a pu arrêter huit autres membres d’une cellule présumée terroriste. Quelques jours plus tard, une autre cellule, baptisée “Ansar Charia au Maghreb Islamique”, est également démantelée. Selon des sources sécuritaires, ses membres (au nombre de 8) étaient sur le point de passer à l’acte : confection d’explosifs pour des attentats contre des édifices de l’Etat, mais aussi contre des personnalités publiques et des sites touristiques.
De Sidi Moumen à Rich
Début octobre dernier, l’un des lycées de Rich, petite localité aux environs d’Errachidia, a été le théâtre d’un autre incident grave. Et cette fois, ce sont des enseignants salafistes qui se sont attaqués à un de leurs collègues, professeur de philosophie. Ils ont d’abord tenté à plusieurs reprises de dissuader les élèves d’assister à ses cours -la philosophie étant assimilée à leurs yeux à de l’apostasie-, puis ils sont passés à la méthode forte. Après l’avoir dûment tabassé en pleine récréation, en présence des lycéens, l’un des enseignants salafistes a simulé un “égorgement” en passant son index autour du cou de son collègue. H.B, la victime, a porté plainte et une enquête est en cours.
D’autres faits, tout aussi graves, ont été passés sous silence. Il y a près de deux mois, deux amoureux ont été passés à tabac dans un terrain vague près de Sidi Moumen, à Casablanca, par un groupe de salafistes. Les deux jeunes gens, selon la plainte qu’ils ont déposée devant la police, ne faisaient que s’éloigner du vacarme de leur quartier et étaient simplement en train de discuter. Même les éléments des forces de l’ordre n’échappent pas à la vindicte des salafistes. Dans une vidéo qui circule toujours sur le Net, un certain “Moussaâb Nadori” promet une grosse somme d’argent à qui se vengerait d’un officier de police de la métropole qui aurait violenté, il y a quelques années, l’épouse d’un détenu salafiste lors d’un sit-in en face de la prison de Oukacha.
Défenseurs de la Charia
« Redonner à la Charia sa vraie place au sein de la société”, “mettre en garde contre la laïcité et les lois positives” ou encore “travailler à la restauration du califat”… ce sont là quelques points clés du manifeste diffusé début septembre dernier par un nouveau groupe qui a choisi pour nom “Ansar Charia au Maroc” (Les défenseurs de la Charia au Maroc). Si ce groupe s’est d’abord manifesté sur les réseaux sociaux, il a fini par investir la rue lors des manifestations contre le film Innocence of Muslims, et il a surtout choisi des villes du nord comme Tanger, Martil, Tétouan et Fnideq pour ses démonstrations de force. Il a surtout bénéficié de “l’apport” de plusieurs figures connues du salafisme marocain : Omar Haddouchi, qui a été gracié en avril 2011, et Fatiha Mejjati, alias “Oum Adam”, pour ne citer que ces deux-là.
A quoi reconnaît-on “Ansar Charia au Maroc” ? D’abord à leur drapeau, identique à celui de leurs “homologues” en Libye, au Yémen et en Tunisie: un étendard noir frappé de la maxime “La ilaha illa Allah”. S’ils disent n’avoir aucune connexion avec l’étranger, ils ne cachent nullement leur sympathie pour les mouvements extrémistes de par le monde, Al Qaïda au Maghreb islamique en premier lieu. Des meneurs ? Jusqu’à il y a quelques jours, aucun nom ne se dégageait pour revendiquer le leadership. Mais dimanche 21 octobre, la police a arrêté un certain Hassan Younsi à Tétouan, au moment où il se rendait chez quelques “frères”. Connu dans les milieux salafistes pour son activisme et son verbe, cet ancien détenu est présenté comme l’un des chefs des “défenseurs de la Charia au Maroc”. “On soupçonne surtout ce groupe d’organiser le recrutement de jihadistes pour la Syrie, et en premier lieu à partir des quartiers populaires de Tétouan”, affirme une source locale.
Les “fous d’Allah”
Y a-t-il lieu de craindre les dernières agitations des salafistes ? Mohamed Darif, politologue et spécialiste des mouvements islamistes, se veut rassurant, du moins pour ce qui concerne “les défenseurs de la Charia au Maroc”. “Je pense que c’est l’appellation de ce mouvement qui suscite les appréhensions puisqu’elle est associée à des mouvances qui prônent la violence et qui ont vu le jour dans le sillage du Printemps arabe”. Pour notre politologue, “les défenseurs de la Charia” ont décliné leur programme quand ils se sont prononcés contre la laïcité, mais jamais contre le régime. “Souvenons-nous qu’en 2005, Mohammed VI avait déclaré à El Pais que le Maroc ne sera pas un Etat laïc”, poursuit notre chercheur.
Que dire alors des actes de violence perpétrés par des activistes se revendiquant de la salafia ? “Je pense que ce qui est arrivé à Salé est le fait d’individus isolés. Il faut plutôt avoir peur de la violence organisée et encadrée”, répond Mohamed Darif. Pour conclure, notre politologue estime qu’il ne faut pas trop exagérer ces actes de violence commis par des “fous d’Allah”, car cela risque de déboucher sur d’autres dérives. Sous-entendu : certains milieux sécuritaires pourraient en profiter pour donner un tour de vis et légitimer de nouvelles atteintes aux droits de l’homme, comme cela a été le cas après les attentats du 16 mai 2003. En attendant, les salafistes, jihadistes ou pas, ne se cachent plus. Il ne se passe presque pas une seule semaine sans qu’ils manifestent dans plusieurs villes du royaume.
Zoom. Fizazi, Abou Hafs et les autres Les chioukh de la salafia, pour la plupart libérés de prison dès le déclenchement du Printemps arabe, essaient à leur manière, chacun de son côté, de revenir sur scène. Mohamed Fizazi peine à concrétiser son projet de création d’un parti, “Hizb al îlm wal âmal” (Parti du savoir et de l’action). Hassan Kettani et Abdelouahab Rafiki (Abou Hafs) restent des électrons libres. Ils multiplient les rencontres et les conférences. Abou Hafs étend même son action et sa “science” aux autres pays maghrébins où il est toujours en tournée. Quant aux salafistes de Fès, menés par Jalal Moudden, ils ont choisi le cadre associatif avec la création, dès mars 2011, du “Mouvement marocain salafiste pour la réforme”. D’autres figures encore dédient leur temps à la cause de toujours : défendre les salafistes remis en liberté et les droits de ceux qui sont toujours derrière les barreaux. |
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