Microfinance. Prête-moi si tu peux !

Quatre ans après la crise qui a mis à genou le secteur, les opérateurs de microcrédit affichent de nouvelles ambitions. Scan d’une branche en pleine mutation.

 

Alors que les banques marocaines sont jugées frileuses, les organismes de microfinance, eux, affichent des prétentions pour le moins audacieuses. Ils souhaitent augmenter le nombre de bénéficiaires de microcrédit de façon vertigineuse, en le faisant passer de 800 000 à 3,2 millions en l’espace de 8 ans seulement ! Cette stratégie, épaulée par l’Etat, a été annoncée par la Fédération nationale des associations de microcrédit (FNAM), qui regroupe les 13 acteurs du secteur. Ambitieux, les établissements de microcrédit ne doivent pas pour autant tomber dans l’amnésie. En 2008, le secteur avait frôlé la banqueroute, alors que l’économie du pays enregistrait une croissance soutenue. Crise des impayés, croissance non maîtrisée, mauvaise gouvernance sont tout autant de maux dans lesquels les “banques des pauvres” ne doivent plus retomber, au risque de replonger des millions de personnes, déjà en situation précaire, dans la pauvreté.

 

Peut mieux faire

C’est à coups de chiffres et de statistiques que Tariq Sijilmassi, président de la FNAM, expose les réussites et les objectifs de la microfinance marocaine : “Même si nous sommes premiers dans la région, nous restons encore à la traîne par rapport à des pays à économie comparable comme la Bolivie ou le Pérou”, avait rappelé “le Monsieur microcrédit” du Maroc, justifiant ainsi les nouvelles ambitions du secteur. Celui-ci projette, à l’horizon 2020, de servir un montant global de crédits de 25 milliards de dirhams, au lieu des quelque 5 milliards actuellement. “Notre objectif est de faire passer l’encours des crédits servis de 0,6% du PIB à plus de 1,8% en 2020”, assure Sijilmassi, par ailleurs président de la toute nouvelle “Attawkif microfinance”, récente appellation donnée à la Fondation Banque Populaire pour le microcrédit suite à sa fusion avec la Fondation Zakoura. Reste à trouver les sources de financement à même d’assurer l’augmentation du volume des crédits. En clair, ce sont 40 milliards de dirhams qui devront être levés d’ici 2020. Pour relever ce défi, l’Etat et les établissements bancaires mettront la main à la poche. Les sources de financement sont diverses : le marché, les bailleurs de fonds nationaux et internationaux, le Fonds Hassan II ou encore l’Agence française de développement. De plus, le ministre chargé du Budget, Driss Azami Al Idrissi, a assuré qu’un projet de loi relatif au microcrédit est actuellement en cours d’examen. Un projet de loi qui devrait permettre aux associations de microcrédit de changer de statut juridique pour devenir des établissements de crédit agréés  par Bank Al-Maghrib. L’objectif est double : leur permettre une plus grande facilité dans l’obtention de fonds tout en restant des organismes à but non lucratif. “L’objectif étant de placer tout le secteur du microcrédit sous le contrôle de Bank Al-Maghrib”, renchérit un cadre de la banque centrale.

 

Les années fastes

Si l’accent est mis aujourd’hui sur un contrôle plus accru des associations de microcrédit, et leur mise sous tutelle, c’est pour éviter de répéter les erreurs du passé. En 2008, le tissu de la microfinance marocaine est passé par un sérieux moment de doute. Pourtant, tout semblait aller pour le mieux. Le secteur était en pleine croissance, il bénéficiait du soutien des pouvoirs publics, les bailleurs de fonds ne manquaient pas. Mais en décembre 2007, les professionnels du secteur tirent la sonnette d’alarme. La crise des impayés avait débuté, les créances à risque avaient été multipliées par quatre entre 2004 et 2007, et la mauvaise gouvernance gangrénait le secteur. “En réalité, nous n’avions que 650 000 bénéficiaires de microcrédit sur les 1 300 000 déclarés”, rappelle ce cadre de la banque centrale, qui ajoute que le fait que “le contrôle de tout le secteur ait été entre les mains du ministère de l’Economie et des Finances a contribué au laxisme dont ont bénéficié de nombreux emprunteurs, qui étaient pourtant loin d’être solvables”. L’euphorie avait à l’époque gagné les emprunteurs. Beaucoup d’entre eux n’hésitaient pas à contracter des crédits simplement pour se procurer le mouton de l’Aïd. Résultat, les pouvoirs publics ne pouvaient pas rester les bras croisés face un secteur qui demeure vital pour une frange non négligeable de la population. Devant les difficultés auxquelles était confrontée la Fondation Zakoura, pourtant un des fleurons de la microfinance marocaine, celle-ci a dû être rachetée par un puissant établissement public : la Banque Populaire. Autre mesure d’urgence adoptée au lendemain de la crise : les institutions de microcrédit ont mis en place des plans de redressement d’envergure et constitué des équipes entières chargées du recouvrement des créances. Les résultats ne se sont pas fait attendre, puisque entre 2008 et 2009, la part des clients ayant contracté des prêts multiples est passé de 39 à 29%.

 

Sous la houlette de BAM

“Bank Al-Maghrib a mis en place une plateforme de partage d’information : le ‘credit bureau’. Nous avons également mis en place des cellules de suivi chargées de conseiller les bénéficiaires”, rassure le cadre de la banque centrale, pour qui l’objectif maintenant est de passer à la vitesse supérieure. Les taux d’intérêt, eux, s’établissent en moyenne à 25%. Un chiffre qui peut paraître élevé comparé aux taux fixés par les banques institutionnelles. “Le taux d’intérêt élevé est inhérent à la pratique et aux volumes des dossiers”, explique Mouna Yacoubi, conseillère de Tariq Sijilmassi, “C’est une question de coût”, continue sur la même lancée le cadre de BAM. “Contrairement au crédit conventionnel, qui est plutôt demandé par le bénéficiaire, ce sont les organismes de microcrédit qui se déplacent, parfois à travers les montagnes jusque dans des villages reculés, pour octroyer les microcrédits aux bénéficiaires. Le fort taux d’intérêt est tout simplement justifié par les charges qui augmentent”, assure la même source. Seulement voilà, il n’y a pas de plafond aux taux d’intérêt, au risque de les voir s’envoler à des taux usuriers, comme cela a été constaté dans d’autres pays, où ils ont atteint la barre des 150% (comme en Inde). Mais le Maroc n’en est pas encore là. La microfinance a permis à des centaines de milliers de Marocains, parmi eux une majorité de femmes, de sortir de la pauvreté. Pourvu que ça dure.

 

Etude. à qui profite le crédit ?

Depuis l’éclosion du secteur au milieu des années 1990, le microcrédit a bénéficié au total à près de 5 millions de personnes, dont 55% de femmes. Près des deux tiers sont citadins, ce qui fait que le nombre de bénéficiaires originaires du monde rural n’est pas négligeable, puisqu’il dépasse le million. Les jeunes de moins de 40 ans ont été plus de 40% à bénéficier de la microfinance. Quand aux secteurs d’activité choisis pour l’utilisation des fonds, ce sont les métiers manuels qui arrivent en tête, avec un peu moins de 2 millions de détenteurs de projet, suivis du commerce et de l’agriculture. Sur le plan international, le secteur de la microfinance marocaine arrive à la 21ème position au niveau des encours, tandis qu’il se place à la quinzième place pour le nombre de clients. Concernant la zone MENA, le Maroc est loin devant ses voisins puisqu’il totalise plus des deux tiers du volume des encours, selon une étude de la FNAM.

 

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