Smyet bak ?
Haddou.
Smyet mok ?
Kechchou.
Nimirou d’la carte ?
C8271.
Haddou et Kechchou, ce sont des prénoms du terroir ?
Ce sont des prénoms amazighs très courants chez les nomades d’Aït Izdeg, mais aussi dans le Haut et le Moyen-Atlas. Mes parents n’ont jamais été à l’école, sinon ils auraient été abrutis.
Que voulez-vous dire ?
Ce sont de gens qui ont vécu sans le moindre préjugé. Ils ont cru en leur islam et en leur berbérité. Ils voyaient le monde à travers leur prisme de valeurs et ils ne nous ont jamais rien demandé ou imposé, si ce n’est que nous soyons responsables de nous-mêmes. Ils ne m’ont jamais demandé de prier, de jeûner ou de m’habiller de telle ou telle manière.
Avez-vous des souvenirs de votre enfance à Gourrama, dans la région d’Errachidia ?
Je me rappelle surtout des dix kilomètres aller – retour, tous les jours, pour me rendre à l’école primaire du village. Ce n’est d’ailleurs qu’à 6 ans que j’ai appris l’arabe et le français puisque je ne parlais que berbère.
Vous entendiez-vous avec les juifs de la région ?
Personnellement, j’ai vécu leur départ comme un drame et c’était une déchirure pour tout le monde. Les juifs de Gourrama, qui étaient là depuis des siècles, percevaient la Palestine comme un lieu mythique, un paradis, alors que leur pays, c’était chez nous. Les choses ont changé quand on a permis à l’Alliance israélite mondiale puis
à l’Agence sionniste de travailler au Maroc, commençant par cibler les communautés juives les plus pauvres. On a alors exporté les juifs de Gourrama comme de la chair à canon dans les kibboutzim. On leur a promis monts et vallées, puis on les a mis au premier front face aux musulmans.
Est-ce cette sympathie qui vous a poussé à défendre Kamal Hachkar, le réalisateur de Tinghir-Jérusalem ?
Je l’ai soutenu, et je continue de le soutenir. Les gens qui attaquent ce film ne l’ont pas vu dans leur grande majorité. Kamal Hachkar retrace le drame des juifs de Tinghir qui regrettent cet Eden perdu. Il ne fait nullement l’apologie du sionisme. D’accord, il a été en Israël, mais Israël existe. Moi, je reconnais cet Etat dans les frontières de 1967. Le panarabisme et le panislamisme, on n’en veut pas chez nous.
Et la liberté de conscience, vous en pensez quoi ?
J’y crois, mais il faut la construire. Elle suppose le respect des autres sans exclure une religion, quelle qu’elle soit. L’ennemi de la liberté de conscience et de la liberté tout court, c’est le collectivisme et le communautarisme. Il faut aller vers des systèmes politiques et philosophiques où la religion est une affaire personnelle et individuelle.
Vous êtes né à 30 km de Tazmamart. Des souvenirs ?
Je me souviens surtout que les carottes qu’on mangeait provenaient de Tazmamart, qui était un ksar où se sédentarisaient les nomades. Après 1973, il a été transformé en bagne et nous savions ce qui s’y passait. Un de mes camarades de classe, Moha Bouttou, y a trouvé la mort. C’était l’un des cadets de l’école d’Ahermoumou. On savait tout, mais on se le disait sous le manteau.
Et comment avez-vous atterri au lycée militaire de Kénitra ?
Je n’avais pas tellement le choix. Pour le lycée, il fallait soit aller à Errachidia, soit à Meknès. J’ai opté pour le lycée militaire de Kénitra sur proposition de mon frère qui était lui aussi militaire.
Vous avez fini par fausser compagnie à l’armée…
Le lycée militaire, c’était un système qui tournait le dos à la société. On y formait des élites, mais j’ai compris qu’en faire partie, cela signifiait profiter des autres. De là où je viens, il n’y avait pas de distinction entre riches et pauvres. Tout le monde mangeait “Ahlab” pour le dîner (couscous accompagné de petit lait, ndlr). A Kénitra, c’était différent. Il y avait tous les fils de militaires, mais le fils d’un sous officier n’était jamais l’égal du fils d’un général. Et puis, je ne pouvais pas me soumettre au système “exécution, puis réclamation”.
Passons à autre chose. Cela vous fait quoi d’être le gardien d’une partie de la mémoire collective du pays ?
La BNRM (Bibliothèque nationale du royaume du Maroc) renferme en effet une partie de cette mémoire dans le sens où, en vertu du dépôt légal, nous avons tout ce qui a été écrit au Maroc et sur le Maroc depuis 1935. Mais aussi 35 000 manuscrits qui seront numérisés d’ici fin 2013, sans parler de milliers de livres rares et précieux. Cette richesse a profité pendant des décennies à une minorité et j’ai l’honneur, aujourd’hui, de la mettre à la disposition de tous les Marocains. Nous avons aussi une extraordinaire collection de journaux dont certains datent de 1860.
En matière de dons ou de legs, les Marocains sont-ils généreux ?
Oui, ils le sont. Pendant les quatre dernières années, nous avons reçu des dons de grandes familles de lettrés et c’était des manuscrits et des collections uniques. Rien qu’en 2011, on nous a fait don de 200 000 livres. Les gens ont conscience d’avoir affaire à une institution fiable et transparente qui travaille pour le Maroc et le Marocain.
Et vous, y a-t-il un document qui vous tient particulièrement à cœur ?
C’est un manuscrit anonyme sur la chirurgie en Andalousie au huitième siècle. C’est une merveille que nous avons numérisée. Il y a aussi un livre collectif sur l’histoire du port de Casablanca.
Parlons politique. Pour l’Ittihadi que vous êtes, qu’est-ce qui ne va pas à l’USFP ?
Le parti a perdu tout contrôle sur les siens. Aujourd’hui, il est dominé par une croyance, vraie ou fausse, selon laquelle ce sont les intérêts personnels qui priment. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le bureau politique n’a pas su être un arbitre parce qu’il est lui-même plein de contradictions. Il se focalise sur les compromis et oublie la stratégie. Enfin, il s’agit aussi d’un problème de leadership et cela ne se limite pas au seul chef de file. L’USFP souffre d’opportunisme collectif.
Sinon, le tramway qui passe à côté ne dérange-t-il pas votre quiétude et celle des lieux ?
Au contraire ! D’ailleurs, j’ai tout fait pour qu’il passe tout près de la bibliothèque. Mieux, c’est un motif de fierté de voir que l’arrêt porte le nom de la BNRM. Le soir, à la nuit tombée, je suis rassuré pour les jeunes filles qui quittent les lieux et qui prennent ce magnifique tramway, en toute sécurité.
Une dernière pour la route. Vous êtes plutôt Facebook ou Twitter ?
J’utilise Internet, mais je préfère lire. Et la vérité, c’est que je n’ai jamais autant lu que depuis que je suis à la BNRM.
Antécédents
1950. Naissance à Gourrama, dans la région d’Errachidia
1960. Entre au lycée militaire de Kénitra et y obtient son bac, sept ans plus tard
1971. Poursuit ses études à Lille, en France, où il rencontre Anne, sa femme
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1975. Rejoint les rangs de l’USFP
1980. Naissance de Meryem, l’aînée de ses trois enfants
1982. Obtient son doctorat en sciences économiques
2003. Nommé directeur de la BNRM (Bibliothèque nationale du Maroc).
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