Gaza. Cyber-reporters de guerre

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En quelques jours, les bombardements israéliens ont fait plus de 100 morts et des centaines de blessés dans la bande de Gaza. Sur Internet, des Palestiniens anonymes font entendre leur voix. Morceaux choisis.

L’opération menée par les forces israéliennes sur le territoire palestinien, “Pilier de défense”, a été annoncée sur le Net. Une première. Les forces militaires live-bloguent et tweetent sans cesse depuis le début de l’opération, le 14 novembre 2012. De son côté, le mouvement palestinien Hamas active ses sites, ses blogs et ses comptes sur différents réseaux sociaux. La guerre sur le terrain a ses prolongements sur le Web. A tel point que les autorités israéliennes ont à un moment menacé de priver Gaza d’accès au Net. Ce à quoi le fameux collectif Anonymous a répondu en ouvrant une nouvelle opération baptisée #OpIsrael. Les hackers ont annoncé qu’ils s’assureront que les Gazaouis aient accès à Internet et menacent Israël d’attaques virtuelles en cas de censure prononcée. L’enjeu est de taille. S’assurer que le Web fonctionne, c’est s’assurer que les simples internautes, outre les groupes armés et les forces militaires, puissent s’exprimer. Voici une sélection de textes traduits de l’anglais ou de l’arabe, choisis dans quelques-uns des très nombreux blogs tenus par des Palestiniens anonymes.

 

Bil rouh, bil dam…

Voilà qu’elle recommence à nouveau, la guerre sur Gaza, comme d’habitude, juste avant les élections israéliennes. Voilà qu’Israël s’empare du rôle du méchant héros de ce feuilleton qui n’en finit pas, et voilà, une fois de plus, que Gaza se retrouve dans le rôle de la victime noyée dans son sang, et que les roquettes de la résistance s’abattent sur une terre jadis appelée Palestine. Le problème est que cette résistance, malgré son enthousiasme et ses roquettes perçant l’azur du ciel (avec une éblouissante beauté pour certains d’entre eux), n’est qu’un “extra” parmi la succession de scènes que diffusent les journaux télévisés, comme il y a quatre ans. A dire vrai, telle est la réalité des survivants en temps de guerre. Ils réussissent à l’emporter face à la vie, ils se préoccupent du nombre de morts et de dégâts, ils se lamentent de la mort de leurs martyrs et jubilent lors de la mort des martyrs de leurs ennemis. Comme s’ils disaient à cette folle guerre : frappe-nous encore plus, frappe-nous ! Voilà que nous avons cessé de vivre, de faire la fête. Nous avons même cessé de nous surprendre ! Nous nous sommes complètement vidés de nos tristesses et de nos rancœurs […] La plupart d’entre vous diront : mais Gaza ne doit pas se taire, elle doit résister, répondre à l’occupation ! Je vous réponds alors : je sais une seule chose, que la résistance n’est qu’une “réaction anormale à une action anormale –qui s’appelle Israël”. Et je vous demande : jusqu’à quand allons-nous rester en suspens, coincés dans ces tourbillons “anormaux” de notre vie ?

L’occupant utilise l’assassinat comme seul moyen de défense, et la résistance utilise la même méthode comme seul moyen de lutter contre l’occupant. Lorsque l’occupant tue davantage, la résistance aussi tue davantage, l’un nourrissant l’autre jusqu’à l’infini, et deviennent tous deux des jumeaux en pensées et en actes, en idéologie et en culture. Est-il raisonnable que nous luttions contre ce que nous refusons, en singeant les propos et la logique de l’occupant ? Comment est-il possible que nous refusions Israël alors que nous ne cessons d’adopter sa culture raciste, sanguinaire et violente ?

Aujourd’hui, je ne vois dans les mouvements de résistance que de simples petits élèves de l’école israélienne. Ils y apprennent la rancœur, le mensonge, la haine raciale et sociale… et les tirs de roquettes ! Ils apprennent également à se réjouir de la mort d’un autre homme, de l’autre côté. Nous voulions combattre l’occupation. Nous l’avons clonée et nommée “résistance”.

Abeer Khshiboon, blogueuse palestinienne, le 16 novembre, http://abeerk.wordpress.com/. Traduit de l’arabe.

 

Peur sur la ville

Dans la nuit du 14 novembre, juste avant la prière du Maghrib, des navires de guerre israéliens ont déclenché une série d’attaques meurtrières sur une ville de Gaza surpeuplée, dans une vingtaine de localités, une première parmi une longue série qui suivra. Jusqu’à maintenant, 16 Palestiniens ont été tués, dont une fillette de 7 ans, un bébé de 10 mois du nom de Hanin Tafish, une femme enceinte, et Hamid Abu Daqqa, un petit footballeur âgé de 13 ans. Il est mort dans son maillot du Real Madrid avant d’avoir pu finir sa deuxième mi-temps.

Parmi les morts, le commandant militaire du Hamas Ahmed Jabari, qu’Israël a liquidé lors d’un assassinat extrajudiciaire, comme elle l’a fait plusieurs fois dans le passé sans avoir encouru de conséquences. Jabari avait joué un rôle dans les négociations qui ont conduit à la libération du soldat israélien enlevé Gilad Shalit, et a été remarqué pour son rôle dans la transformation de la branche armée du Hamas. Il a, par le passé, échappé à plusieurs tentatives d’assassinat (son fils est d’ailleurs mort dans l’une d’entre elles). Son meurtre a clairement été le signe de l’escalade de la violence entamée par Israël, et un rappel mortel aux Palestiniens qu’ils peuvent, à tout moment, être écrasés comme des fourmis, tant qu’Israël ne rend de compte à personne. Les officiels israéliens ont nommé ce dernier assaut meurtrier “Opération Pilier de défense” – une référence, selon Ben Soffa (blogueur israélien), à une manifestation de Dieu. (“Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et dire que c’est un acte divin ?”, a-t-il poursuivi). Ce soir, le ciel continue de “pleuvoir de terreur” sur les Palestiniens de Gaza, comme l’a terriblement répété ma mère, ce matin sur Skype. La ville était en feu lorsque la nuit est tombée. Et tout le monde dans ce territoire assiégé s’est mis à observer attentivement la riposte du Hamas à cette nouvelle escalade israélienne, ce qui ne manquera pas de poser un nouveau défi à son leadership dans le territoire.

[…] Les Palestiniens de Gaza ne peuvent pas faire des choses aussi simples que visiter leurs familles à Ramallah, prier à Jérusalem, étudier à Bethléem, tomber amoureux et vivre à Jenin. La dépendance vis-à-vis de l’aide internationale est montée en flèche, résultat du siège ayant pour but de priver les Palestiniens, non de nourriture, mais de liberté, de développement et de prospérité, et de les laisser perpétuellement au bord du gouffre de la crise humanitaire. Alors au lieu de parler de dissuasion, peut-être l’accent devrait-il plutôt être mis sur l’octroi de leur liberté aux Palestiniens, en leur permettant de se libérer de la terreur et du contrôle constants menés par Israël.

Une mère blogueuse et journaliste résidant à Gaza, le 15 novembre, gazamom.com. Traduit de l’anglais.

 

I have a dream

J’ai toujours cru en la paix. J’ai toujours cru en la coexistence et je me suis maintenu à l’écart de toute violence. Lorsque j’étais enfant comme Munir (mon fils), le premier soulèvement palestinien de 1987 avait éclaté. Depuis lors, j’ai toujours cru en mon droit, en tant qu’être humain, de vivre en liberté dans un environnement sain. Je me souviens qu’à ce moment, le Secrétaire général des Nations Unies, Javier Perez de Cuellar, effectuait une visite dans la Bande de Gaza occupée, dans le cadre d’une mission d’observation. J’avais alors pris mon balai et commencé à nettoyer devant la porte de la maison familiale à Maghazi, au centre de la Bande de Gaza.

“Ah, je vois que vous êtes en train de faire le ménage, apparemment pour l’envoyé spécial de l’ONU qui s’apprête à venir”, m’avait dit Ibrahim Mansour, un de mes vieux voisins, alors que j’étais en train d’astiquer. Je lui avais répondu : oui, je veux que ces gens sachent que nous sommes une nation éprise de la vie ! J’ai ensuite réalisé mon rêve, lorsque j’ai été capable d’adhérer à une formation médiatique chapeautée par l’ONU à New York en 2001, j’ai été ravi de discuter avec des officiels de l’ONU, y compris Kofi Annan, le Secrétaire général de l’époque. J’ai profité de l’occasion pour parler de la population de Gaza. J’ai mentionné cette même histoire de nettoyage au Chef du Centre de la Palestine et de la décolonisation à l’ONU, Salim Fahmawi, qui était également en charge du programme de formation.

Depuis mon retour du programme de formation de l’ONU, j’ai consacré ma carrière à la nécessité de la paix et la coexistence, travaillant sans relâche à dire au reste du monde que les Palestiniens sont une nation qui aime la vie et qui veut vivre normalement, comme n’importe quelle autre nation.

Rami Almeghari, journaliste gazaoui, le 15 novembre, www.electronicintifada.net. Traduit de l’anglais.

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