De plus en plus de Maliens fuient le nord du pays, occupé depuis sept mois par des Touaregs sécessionnistes alliés à des groupuscules islamistes. TelQuel est allé à leur rencontre.
En fuyant les groupes islamistes armés dans sa ville, Tombouctou, Bintou Garba était loin d’imaginer ce qui l’attendait une fois dans la capitale. En ce premier mercredi du mois d’octobre, drapée dans son boubou couleur turquoise, elle patiente sous un soleil brûlant depuis des heures devant les locaux de Niéta, une association malienne humanitaire d’urgence, dans l’espoir d’obtenir un ticket pour un sac de riz. “J’ai cru les premiers temps que ce conflit se résoudrait vite, que nous retournerions rapidement chez nous. Hélas, ce cauchemar n’en finit pas. Nous sommes à Bamako depuis sept mois, et nos conditions de vie ne cessent de se dégrader jour après jour. Nous n’avons plus rien ! Regardez-moi, j’en arrive à venir tendre la main pour nourrir ma famille”, explique-t-elle en soupirant. Pour contenir la foule très dense, des militaires ont fait le déplacement. Les 45 tonnes de riz distribuées ce jour-là ne pourront satisfaire tout le monde. Après une longue attente, Bintou n’obtiendra pas de ticket mais repartira tout de même avec une vingtaine de kilos de riz, qu’un autre déplacé a bien voulu partager avec elle.
Desert blues
Agée d’une quarantaine d’années, Bintou Garba est une artiste reconnue au Mali. Soliste, elle a reçu de nombreuses récompenses, dont une en 1988, remise des mains du président de l’époque, Moussa Traoré. “J’ai tout fait pour le Mali, chanter, participer aux festivals… et aujourd’hui rien, pas une aide ni soutien du gouvernement ! C’est comme si nous n’existions pas”, lance-t-elle amèrement. Dans sa fuite, Bintou a dû tout abandonner : sa maison, ses instruments, son orchestre… “Les rebelles sont arrivés avec des armes lourdes au petit matin, le 1er avril. Il y a eu des détonations pendant des heures. Nous avons couru car ils ont dit qu’ils ne voulaient plus entendre de musique, que les artistes étaient bannis. Nous avons eu très peur…”, explique-t-elle la voix nouée. Dans ses bagages, elle a toutefois réussi à emporter un enregistrement de son dernier album, qu’elle conserve précieusement. Avec ses six enfants, son mari et treize autres membres de sa famille, ils vivent désormais tassés dans un petit deux-pièces, sans eau courante, situé dans un quartier périphérique de la capitale, à Badianbougou. Pour payer le loyer, la nourriture et les bidons d’eau, Bintou se débrouille, emprunte souvent. “La situation est très difficile, nous avons beaucoup de charges et très peu de moyens”, déplore-t-elle. De la grande demeure confortable de Tombouctou, il ne reste que des souvenirs. “Là-bas, nous avions de l’espace, de quoi nous nourrir chaque jour et même une voiture”, se remémore-t-elle.
Tragédie du sable
Comme Bintou Garba, près de 500 000 personnes ont été forcées de quitter leurs foyers en raison de l’insécurité et de l’instabilité qui règne dans le nord du pays. 300 000 d’entre elles ont fui dans les pays voisins, principalement en Algérie, au Burkina Faso, en Mauritanie ou encore au Niger, alors qu’un peu plus de 206 000 autres ont trouvé refuge dans le sud du pays. Malgré d’importantes difficultés pour déterminer le lieu exact des déplacements, l’IOM
(Organisation internationale pour les migrations) estime que plus de 46 000 personnes déplacées se sont installées à Bamako. Un peu plus de 50% d’entre elles ont trouvé refuge auprès de leurs proches ou dans des familles d’accueil, qui, bien qu’ayant conservé leur emploi, doivent s’occuper de foyers beaucoup plus nombreux. Une charge supplémentaire inattendue qui, à terme, risque de les faire glisser eux aussi dans la précarité. Agé de 42 ans, Touré Brahim, Bamakois et assureur de profession, partage sa maison de cinq pièces avec 18 membres de sa famille ayant fui Gao. Inquiet, il crie à qui peut l’entendre que la situation deviendra chaotique, voire sans issue, s’il n’obtient pas d’aide. “Un sac de 50 kilos de riz ne dépasse pas la semaine, et les factures d’eau et d’électricité se sont alourdies ! Pour l’instant, je puise dans mes économies, mais bientôt, je n’aurai plus rien et je ne pourrai plus assumer aucune charge”, explique-t-il.
La Charia, un moindre mal ?
Etienne Pourret, chef de projet de l’ONG ACTED (Agence d’aide à la coopération technique et au développement) dans le district de Bamako, reconnaît lui aussi être démuni face à cette problématique. “En ce qui concerne la prise en charge médicale et psychosociale de toutes ces personnes, nous n’avons pas de réponse. De nombreux déplacés ayant subi des violences, ou souffrant de troubles, de stress post-traumatique se présentent à nous chaque jour. Malheureusement, nous sommes désarmés”, déplore-t-il. Tiémane Koulibaly, sociologue et chercheur à l’Institut des sciences humaines de Bamako, s’est penché sur la question des déplacés depuis des mois. De son étude (encore en cours), il tire une première conclusion : “Les autorités ont une grande part de responsabilité en ce qui concerne le sort des déplacés, elles auraient pu amoindrir leurs souffrances. Si l’Etat s’était engagé à les prendre en charge, en les installant dans des camps à l’intérieur de la capitale, cela aurait pu réduire quelque peu la pression matérielle et psychologique de cette population. Rien de tout cela n’a été fait. Il n’y a que des dons d’exhibition ! Et je ne mâche pas mes mots. A coups de reportages télévisés, on exhibe des tonnes de riz, des tonnes de mil distribuées par-ci par-là, tout cela dans un seul but : être reconnu par telle ou telle ONG. L’Etat n’a jamais cherché à localiser tous ces individus. Certains sont dans des familles, d’autres se débrouillent seuls… Bref, ils sont éparpillés à travers toute la ville. Pour toutes ces structures qui doivent faire la distribution et leur venir en aide, c’est un véritable casse-tête”, s’indigne-t-il. “D’où le découragement de beaucoup de déplacés. La détresse est très forte. A tel point que certains ont rebroussé chemin. Ceux qui ont attendu au-delà de leurs espérances sont retournés au bercail. Ils ont donc préféré affronter les brimades, la Charia et la tyrannie qui les attendent là-bas à l’humiliation et aux conditions de vie difficiles qu’ils subissent ici. Comme dit le proverbe, si vous êtes confronté à deux maux, vous choisissez le moindre”, conclut le sociologue Tiémane Koulibaly.
Gestion de crise. Un Etat insuffisant Depuis qu’il s’est vu supprimer toute aide internationale directe, l’Etat malien a du mal à joindre les deux bouts. Le nouveau gouvernement d’union nationale, en exercice depuis août 2012 après une instabilité prolongée, a bien tenté de prendre des mesures pour répondre aux besoins de santé, de nutrition et d’éducation, mais de sérieuses carences demeurent pour la grande majorité des déplacés. La plupart n’ont toujours pas accès aux services essentiels. A ce jour, le HCR (Haut commissariat aux réfugiés) n’a reçu que 41,7 % des 153,7 millions de dollars nécessaires pour venir en aide aux réfugiés et déplacés. Débordées, les associations et les ONG encore sur place sont à la peine. Elles ne peuvent à elles seules absorber le flux continu de demande d’aide, comme l’explique Dicra Mouna Koulibaly présidente de l’association malienne de secours humanitaire d’urgence Niéta, et déplacée elle aussi. “Malheureusement, nous ne pouvons satisfaire tout le monde, les demandes sont plus nombreuses chaque jour. Nous avons vraiment besoin de l’appui des autorités, de la population ainsi que de la communauté internationale. Les besoins sont énormes”, confie-t-elle. |
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