Sahara. Ross, le come-back

Six mois après que Rabat lui a retiré sa confiance, l’émissaire onusien fait son grand retour au royaume, plus fort que jamais. Coulisses d’un périple qui pourrait redessiner la carte géopolitique de la région.

 

Camouflet pour le Maroc, diplomatie à genoux, amateurisme… la dernière visite de Christopher Ross au royaume continue de susciter une vive polémique. Six mois après lui avoir retiré sa confiance, Rabat a en effet déroulé le tapis rouge à l’émissaire onusien, hier encore accusé de partialité et d’animosité envers les intérêts suprêmes de la nation. Le représentant personnel du SG de l’ONU au Sahara a en effet eu droit à une réception royale officielle et a été reçu, en grande pompe, par les dirigeants des principales institutions du pays (Corcas, parlement, etc.). “Christopher Ross a été maintenu à son poste après l’entretien téléphonique entre le roi et le SG de l’ONU. Durant cet appel, les deux hommes ont insisté sur l’importance de la neutralité de l’émissaire onusien et la nécessaire prise en compte du plan marocain d’autonomie”, explique ce cadre au ministère marocain des Affaires étrangères. Les deux parties semblent donc décidées à tourner la page, et à tout reprendre à zéro. A Rabat, le diplomate onusien a par exemple tenu à rencontrer des acteurs associatifs, des académiciens et les patrons des principales formations politiques du pays. Abdelkrim Benatiq, SG du Parti travailliste, était de la partie. “Nous nous sommes retrouvés face à un expert du Maroc et de la région, doublé d’un excellent arabophone qui n’a besoin d’aucune interface pour parler à ses interlocuteurs. C’est également un homme psychologiquement fort, qui sait cacher ses émotions et rester impassible, même face à des critiques personnelles”, rapporte Benatiq.

Lors de cette rencontre, Ross n’a pas évité de commenter l’incident du retrait de confiance. “Je ne suis pas le seul responsable de la rédaction du rapport final, a-t-il expliqué. Il y a le Haut commissariat aux réfugiés, aux droits de l’homme, la Minurso, etc. Il est cependant sûr que je serais plus vigilant la prochaine fois”, a promis l’émissaire onusien. En tout, la rencontre avec les patrons des partis politiques a duré plus de six heures, avec des interventions de qualité et de durée inégales. “Personne n’a été briefé au préalable. Les politiques ont donc dû improviser et parler un langage du cœur avec un technicien du droit international. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure méthode”, commente Réda Taoujni, militant associatif spécialiste du Sahara. Finalement, Ross et ses hôtes d’un soir ne sont passés à table qu’à deux heures du matin. Que retenir de cette rencontre marathon ? “L’émissaire onusien a compris que pour les partis politiques marocains, l’offre d’autonomie était le dernier recours possible pour la résolution du conflit.

Il sera obligé d’en tenir compte pour la rédaction de son rapport, même si cela réduit sensiblement sa marge de manœuvre”, conclut Benatiq. Le diplomate onusien a d’ailleurs livré le fond de sa pensée concernant ce fameux plan marocain d’autonomie. “De grandes puissances soutiennent ce plan et le font savoir publiquement, mais elles ne font rien pour faire pression sur les autres parties du conflit. Je crois qu’il y a, dans cette région, de grands enjeux énergétiques qui font perdurer le statu quo”, a expliqué, en substance, Christopher Ross.

 

“Rencontrez qui vous voulez”

Durant cette rencontre, Ross a également livré quelques confidences concernant sa rencontre avec Mohammed VI, en présence des ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères. “Le roi m’a dit : ‘Rencontrez qui vous voulez, quand vous voulez’”, a notamment affirmé Ross. Et l’émissaire onusien a pris le monarque au mot. A Laâyoune, où il n’était encore jamais allé en tant qu’envoyé spécial du SG de l’ONU, Ross a grandement joué sur la symbolique. Il a d’abord lui-même fixé son agenda et joint les personnes qu’il désirait rencontrer. Il a tenu la quasi-totalité de ses réunions au quartier général de la Minurso et s’est déplacé à bord d’un véhicule onusien banalisé. Après le ballet des officiels à Rabat, Ross a réservé sa première rencontre sahrouie aux membres du collectif Codesa, menés par Aminatou Haïdar, icône indépendantiste au Sahara, avec laquelle il a passé plus de deux heures. Il a ensuite répondu à l’invitation de Hamdi Ould Errachid, maire de la ville, à déjeuner à la résidence privée des Ould Errachid à Laâyoune. Au programme également, plusieurs rencontres avec des militants associatifs, des chioukh de tribus, etc. “A Laâyoune, rapporte cet activiste local, le Maroc a tenu à faire savoir à Ross qu’il y avait plusieurs représentants légitimes du peuple sahraoui, parmi lesquels les élus du Sahara et l’institution des chioukh, qui existe avant même l’occupation espagnole”. Jeudi, l’émissaire onusien a également assisté, en première loge, à quelques escarmouches entre militants indépendantistes et forces de l’ordre devant la maison d’Aminatou Haïdar, elle-même blessée lors de ces évènements. “Ce n’est pas si grave. Le Maroc, à travers le CNDH, a reconnu un excès de violence lors de ces incidents. Il ne faut plus en faire un complexe”, nuance un militant unioniste.

 

Visite sous contrôle

A Tindouf, le diplomate américain devait oublier tout ce qu’il a entendu à Rabat et à Laâyoune pour écouter la thèse du front indépendantiste. Mais avant, le représentant de Ban Ki Moon souhaitait rendre visite au bureau de la Minurso à Tifariti. La zone est extrêmement sensible. Pour le Polisario, il s’agit du chef-lieu des “territoires libérés”, alors que pour le Maroc, c’est un territoire marocain qui sert de zone tampon entre les deux parties du conflit. “Le Polisario a sauté sur l’occasion et organisé une réception officielle de Ross sur place sans que le Maroc ne bouge le petit doigt. C’est inadmissible. De toute façon, s’emporte Taoujni, le Maroc n’a fait que subir cette visite”. L’envoyé spécial du SG de l’ONU a ensuite enchaîné les rendez-vous protocolaires, sans rencontrer aucune des voix dissonantes du Polisario. Officiels du Front, militants associatifs, femmes… tous ont eu droit aux sourires généreux de Ross et à quelques compliments. Invité à laisser un message sur le livre d’or du Front, le diplomate américain a écrit ces quelques mots lourds de sens, et en arabe classique : “Toute la réussite en ces circonstances difficiles”. Depuis sa résidence à Tindouf, Ross a également pris le soin de joindre Aminatou Haïdar par téléphone pour demander de ses nouvelles après qu’il a appris qu’elle a été blessée lors des escarmouches qui ont eu lieu en bas de chez elle. “Plusieurs militants indépendantistes sont restés en contact direct avec Ross et ont continué à l’appeler quand il était à Tindouf”, confie Taoujni. Face à toute cette agitation, un officiel marocain préfère rester “raisonnablement optimiste”. Selon lui, “pour la première fois, Ross a eu accès à un panel extrêmement diversifié d’opinions et d’acteurs. Aujourd’hui, il n’appartient qu’à lui de refléter ou pas cette diversité dans son rapport”. Autre conclusion, cette déclaration faite depuis Nouakchott. Ross aurait dit en substance qu’il était temps “de trouver une nouvelle approche pour les négociations entre le Maroc et le Polisario”, faisant sans doute allusion, selon cet observateur, à “la nécessité d’impliquer quelques politiques et représentants de la société civile”.

 

Zoom. Ross, cet arabophile ?

Lors de son séjour au Maroc, Christopher Ross a laissé une bonne impression chez la majorité des personnes qu’il a rencontrées. Tous parlent d’un diplomate expérimenté, sage et réservé. Sa grande culture a également fait sensation. L’homme s’exprime en effet en arabe littéraire, et en maîtrisant la nuance de chacun des mots utilisés. “Il a également fait preuve d’une grande connaissance de l’histoire du Maroc et de la région en général, et maîtrise parfaitement l’historique du conflit”, commente cet homme politique. à Rabat, Ross a également levé le voile sur un pan de sa vie privée, évoquant son enfance au Liban où son père était présent en tant que diplomate, ou les quatre années passées à Fès en tant que directeur du Centre culturel américain. “Cela lui a permis de mieux connaître la société et les référentiels culturels marocains”, confie ce militant associatif qui a été reçu par Ross.

 

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