Samuel L. Kaplan “Les Marocains sont prêts à aller de l’avant”

Samuel Louis Kaplan, ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique en poste à Rabat depuis quatre ans, nous reçoit un après-midi, dans sa villa rbatia, gardée par un labrador. L’homme est sûr de lui, souriant, vêtu d’un costume classique et arborant un pin’s sur lequel on voit se joindre les deux drapeaux marocains et américains. Le lieu, lui, est joliment décoré, mêlant artisanat marocain et pièces américaines. Au milieu des photos de famille, un cadre rappelant la primeur de la reconnaissance des USA par le Maroc en 1789. Nous sommes invités à nous installer dans des canapés, autour d’une table offrant dattes et thé à la menthe. Aux côtés du diplomate, un spécialiste en économie, un autre en politique, un attaché de presse, un interprète et, bien sûr, sa femme. L’ambiance reste décontractée tout le long de l’interview. Les questions les plus sensibles suscitent des rires, puis des questions en retour, pour sonder les connaissances des interlocuteurs et, enfin, des réponses diplomatiques. Forcément...   Nous approchons des élections américaines. L’étiquette politique du locataire de la Maison Blanche peut-elle changer la donne dans les relations entre nos pays ? Cela ne peut provoquer de changements majeurs : le Maroc est un allié de longue date. Il est vrai que le style change. Le président Obama a par exemple expliqué qu’il ne voulait pas que les USA soient les meilleurs, mais préfère se positionner comme un partenaire de qualité pour ses alliés. Le président Obama se distingue aussi par son opposition à la guerre que nous avons menée en Irak et le retrait des troupes qu’il effectue, ce qui change un peu nos relations avec le monde arabe.   Obama est allé en Egypte mais jamais au Maroc. Doit-on comprendre que dans la région, Le Caire reste un allié plus important ? Quand il y a une crise à régler, on ne va pas voir son meilleur ami, on se rend au point chaud. Les relations entre le Maroc et les Etats-Unis sont l’exemple d’un partenariat intense dans lequel les deux parties s’enrichissent. Et j’espère que le président Obama pourra venir ici.   Que doit-on comprendre du fait que, lors de sa dernière visite, Hillary Clinton ait rencontré le conseiller royal, Taïeb Fassi Fihri, avant le ministre des Affaires étrangères, Saâd-Eddine El Othmani ?  La seule raison est d’ordre logistique : le bureau de M. Fassi-Fihri se trouvait sur son chemin, et se situe avant celui de M. El Othmani. Cela dit, pour le déjeuner, ils étaient tous les deux en face de nous, chacun avait son rôle à jouer.   N’est-il pas plus facile pour vous de vous entretenir avec un conseiller royal qu’avec un ministre islamiste ? Nous parlons avec ces deux personnes, les rencontrant parfois conjointement. Ils ont des styles différents, des rôles différents, mais sur les questions majeures comme celle du Sahara, le message est, in fine, le même.   Doit-on comprendre que le Sahara est la première discussion entre nos deux pays ? Au département des Affaires étrangères, le Sahara est en effet un sujet majeur, qui affecte en général toutes les discussions de politique étrangère.   A ce propos, comment les Etats-Unis perçoivent le plan proposé par le Maroc ? Nous considérons la proposition d’autonomie comme crédible et réaliste. Nous la prenons donc très au sérieux.   Les Etats-Unis pourraient-ils avoir un rôle pour pousser la RASD et l’Algérie à accepter ce plan ? Tout ce que nous pourrons faire pour aider, nous le ferons. Mais vous devez vous souvenir que nous travaillons sous le parapluie des Nations Unies. Souvenez-vous bien que malgré la confusion souvent entretenue, notamment dans la presse, Christopher Ross n’est pas notre envoyé, il représente l’ONU. Le fait qu’il soit américain est une coïncidence.   Arrivez-vous à cerner la politique marocaine et ses subtilités ? L’action du PAM par exemple ? Je ne prétendrais pas être expert en politique partisane marocaine. Il n’est pas toujours facile de comprendre ce qui sépare les partis, alors même qu’ils ont des échanges très durs, ni de saisir les valeurs mises en avant. Je suis américain : chez moi, il y a deux partis. Je crois que notre système est plus efficient, et le vôtre plus intéressant.   Vous rencontrez de nombreuses composantes politiques, y compris les islamistes d’Al Adl Wal Ihsane. Que tirez-vous des rencontres avec eux ? Al Adl Wal Ihsane ? Ah ! J.C.O : Justice and Charity Organisation. Je ne les ai jamais rencontrés personnellement, cela ne serait pas approprié étant donné leur statut. Mes conseillers, effectivement, les ont rencontrés. Il est dans notre intérêt de rencontrer un maximum de personnes pour comprendre le paysage politique et, par exemple, dans leur cas pour comprendre ce qu’ils représentent. Nous avons rencontré aussi des jeunes du Mouvement du 20 février. Avant ce genre de rencontres, bien sûr, nous prévenons les autorités marocaines.   Des ONG américaines influentes ont parfois un discours plus dur que les officiels concernant le Maroc. Que pensez-vous de leurs travaux ? Nous lisons tout. Nous n’avons pas à corriger ces travaux bien que parfois nous pouvons les juger inopportuns. Notre équipe travaille annuellement avec des Marocains sur les droits de l’homme et nous soulevons des questions à cette occasion.   Justement, comment les USA perçoivent-ils l’état des droits humains au Maroc ? Une analyse prudente montrera qu’il y a une progression constante depuis une vingtaine d’années. Je lis ce que disent certains leaders demandant plus d’améliorations, plus vite, et je sais que des organisations se mobilisent à ce propos.   Que répondez-vous aux personnes assurant que des agences américaines, la CIA en particulier, agissent secrètement au Maroc dans le cadre de la lutte antiterroriste ? En matière de sécurité et de renseignements, la coopération entre nos pays est à son niveau maximum. Mais à ma connaissance, il n’existe pas de tels programmes.   Et les rumeurs de survol du pays par des drones ? Ce sont des rumeurs.   Face à la montée de la menace terroriste au Sahel et à la crise malienne, est-il possible de voir rouvrir des bases américaines au Maroc ? Nous prenons, et je prends personnellement, la crise malienne très au sérieux. Mais je pense que le commandement de l’AFRICOM à Stuttgart est suffisant. Je pense que l’ouverture de bases américaines au Maroc ne serait pas appropriée. Encore une fois, sur le plan sécuritaire et militaire, notre partenariat est très efficient. Le renseignement militaire est de qualité, fluide et va dans les deux sens. Sur le plan logistique, nous fournissons de l’équipement. A Ben Guerir, des Américains aident l’armée marocaine à utiliser et entretenir les F-16 que nous avons vendus au Maroc. Mais ils ne sont là qu’en tant qu’instructeurs.    Avez-vous pris peur lors de l’annonce de manifestations devant le consulat américain de Casablanca après la découverte du film Innocence of muslims sur le Net ? Combien de personnes ont manifesté ? 150 environ, dans un pays de 32 millions d’habitants. Sans compter que certains de ces manifestants exprimaient en fait leur colère à cause du résultat d’un match de football. Et il y avait probablement 150 policiers marocains pour surveiller de près ce qui se passait.   Vous comptez construire une nouvelle ambassade pourtant. N’est-ce pas pour des raisons de sécurité ? Non, nous voulons une nouvelle ambassade parce que l’actuelle a beau être très jolie et absolument charmante, elle n’est pas pratique du tout.   Le Millenium Challenge Account arrive à échéance en 2013. Le Maroc a-t-il rempli ses obligations ? Oui, nous avons fait ensemble un travail excellent ; je pourrais vous parler des heures de ces sept millions d’arbres plantés, de ces femmes à qui nous avons appris à signer leurs poteries, des ces scooters-frigos distribués qui permettent à des hommes de vendre leur production…  Sans compter les opérations de microfinancement, très réussies, où le taux de remboursement frise les 100%, preuve que les Marocains sont prêts à aller de l’avant.     Lire notre dossier : "Enquête. L'Amérique et nous" sur :  http://bit.ly/WF96mQ  

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Samuel Louis Kaplan, ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique en poste à Rabat depuis quatre ans, nous reçoit un après-midi, dans sa villa rbatia, gardée par un labrador. L’homme est sûr de lui, souriant, vêtu d’un costume classique et arborant un pin’s sur lequel on voit se joindre les deux drapeaux marocains et américains. Le lieu, lui, est joliment décoré, mêlant artisanat marocain et pièces américaines. Au milieu des photos de famille, un cadre rappelant la primeur de la reconnaissance des USA par le Maroc en 1789. Nous sommes invités à nous installer dans des canapés, autour d’une table offrant dattes et thé à la menthe. Aux côtés du diplomate, un spécialiste en économie, un autre en politique, un attaché de presse, un interprète et, bien sûr, sa femme. L’ambiance reste décontractée tout le long de l’interview. Les questions les plus sensibles suscitent des rires, puis des questions en retour, pour sonder les connaissances des interlocuteurs et, enfin, des réponses diplomatiques. Forcément…

 

Nous approchons des élections américaines. L’étiquette politique du locataire de la Maison Blanche peut-elle changer la donne dans les relations entre nos pays ?

Cela ne peut provoquer de changements majeurs : le Maroc est un allié de longue date. Il est vrai que le style change. Le président Obama a par exemple expliqué qu’il ne voulait pas que les USA soient les meilleurs, mais préfère se positionner comme un partenaire de qualité pour ses alliés. Le président Obama se distingue aussi par son opposition à la guerre que nous avons menée en Irak et le retrait des troupes qu’il effectue, ce qui change un peu nos relations avec le monde arabe.

 

Obama est allé en Egypte mais jamais au Maroc. Doit-on comprendre que dans la région, Le Caire reste un allié plus important ?

Quand il y a une crise à régler, on ne va pas voir son meilleur ami, on se rend au point chaud. Les relations entre le Maroc et les Etats-Unis sont l’exemple d’un partenariat intense dans lequel les deux parties s’enrichissent. Et j’espère que le président Obama pourra venir ici.

 

Que doit-on comprendre du fait que, lors de sa dernière visite, Hillary Clinton ait rencontré le conseiller royal, Taïeb Fassi Fihri, avant le ministre des Affaires étrangères, Saâd-Eddine El Othmani ? 

La seule raison est d’ordre logistique : le bureau de M. Fassi-Fihri se trouvait sur son chemin, et se situe avant celui de M. El Othmani. Cela dit, pour le déjeuner, ils étaient tous les deux en face de nous, chacun avait son rôle à jouer.

 

N’est-il pas plus facile pour vous de vous entretenir avec un conseiller royal qu’avec un ministre islamiste ?

Nous parlons avec ces deux personnes, les rencontrant parfois conjointement. Ils ont des styles différents, des rôles différents, mais sur les questions majeures comme celle du Sahara, le message est, in fine, le même.

 

Doit-on comprendre que le Sahara est la première discussion entre nos deux pays ?

Au département des Affaires étrangères, le Sahara est en effet un sujet majeur, qui affecte en général toutes les discussions de politique étrangère.

 

A ce propos, comment les Etats-Unis perçoivent le plan proposé par le Maroc ?

Nous considérons la proposition d’autonomie comme crédible et réaliste. Nous la prenons donc très au sérieux.

 

Les Etats-Unis pourraient-ils avoir un rôle pour pousser la RASD et l’Algérie à accepter ce plan ?

Tout ce que nous pourrons faire pour aider, nous le ferons. Mais vous devez vous souvenir que nous travaillons sous le parapluie des Nations Unies. Souvenez-vous bien que malgré la confusion souvent entretenue, notamment dans la presse, Christopher Ross n’est pas notre envoyé, il représente l’ONU. Le fait qu’il soit américain est une coïncidence.

 

Arrivez-vous à cerner la politique marocaine et ses subtilités ? L’action du PAM par exemple ?

Je ne prétendrais pas être expert en politique partisane marocaine. Il n’est pas toujours facile de comprendre ce qui sépare les partis, alors même qu’ils ont des échanges très durs, ni de saisir les valeurs mises en avant. Je suis américain : chez moi, il y a deux partis. Je crois que notre système est plus efficient, et le vôtre plus intéressant.

 

Vous rencontrez de nombreuses composantes politiques, y compris les islamistes d’Al Adl Wal Ihsane. Que tirez-vous des rencontres avec eux ?

Al Adl Wal Ihsane ? Ah ! J.C.O : Justice and Charity Organisation. Je ne les ai jamais rencontrés personnellement, cela ne serait pas approprié étant donné leur statut. Mes conseillers, effectivement, les ont rencontrés. Il est dans notre intérêt de rencontrer un maximum de personnes pour comprendre le paysage politique et, par exemple, dans leur cas pour comprendre ce qu’ils représentent. Nous avons rencontré aussi des jeunes du Mouvement du 20 février. Avant ce genre de rencontres, bien sûr, nous prévenons les autorités marocaines.

 

Des ONG américaines influentes ont parfois un discours plus dur que les officiels concernant le Maroc. Que pensez-vous de leurs travaux ?

Nous lisons tout. Nous n’avons pas à corriger ces travaux bien que parfois nous pouvons les juger inopportuns. Notre équipe travaille annuellement avec des Marocains sur les droits de l’homme et nous soulevons des questions à cette occasion.

 

Justement, comment les USA perçoivent-ils l’état des droits humains au Maroc ?

Une analyse prudente montrera qu’il y a une progression constante depuis une vingtaine d’années. Je lis ce que disent certains leaders demandant plus d’améliorations, plus vite, et je sais que des organisations se mobilisent à ce propos.

 

Que répondez-vous aux personnes assurant que des agences américaines, la CIA en particulier, agissent secrètement au Maroc dans le cadre de la lutte antiterroriste ?

En matière de sécurité et de renseignements, la coopération entre nos pays est à son niveau maximum. Mais à ma connaissance, il n’existe pas de tels programmes.

 

Et les rumeurs de survol du pays par des drones ?

Ce sont des rumeurs.

 

Face à la montée de la menace terroriste au Sahel et à la crise malienne, est-il possible de voir rouvrir des bases américaines au Maroc ?

Nous prenons, et je prends personnellement, la crise malienne très au sérieux. Mais je pense que le commandement de l’AFRICOM à Stuttgart est suffisant. Je pense que l’ouverture de bases américaines au Maroc ne serait pas appropriée. Encore une fois, sur le plan sécuritaire et militaire, notre partenariat est très efficient. Le renseignement militaire est de qualité, fluide et va dans les deux sens. Sur le plan logistique, nous fournissons de l’équipement. A Ben Guerir, des Américains aident l’armée marocaine à utiliser et entretenir les F-16 que nous avons vendus au Maroc. Mais ils ne sont là qu’en tant qu’instructeurs. 

 

Avez-vous pris peur lors de l’annonce de manifestations devant le consulat américain de Casablanca après la découverte du film Innocence of muslims sur le Net ?

Combien de personnes ont manifesté ? 150 environ, dans un pays de 32 millions d’habitants. Sans compter que certains de ces manifestants exprimaient en fait leur colère à cause du résultat d’un match de football. Et il y avait probablement 150 policiers marocains pour surveiller de près ce qui se passait.

 

Vous comptez construire une nouvelle ambassade pourtant. N’est-ce pas pour des raisons de sécurité ?

Non, nous voulons une nouvelle ambassade parce que l’actuelle a beau être très jolie et absolument charmante, elle n’est pas pratique du tout.

 

Le Millenium Challenge Account arrive à échéance en 2013. Le Maroc a-t-il rempli ses obligations ?

Oui, nous avons fait ensemble un travail excellent ; je pourrais vous parler des heures de ces sept millions d’arbres plantés, de ces femmes à qui nous avons appris à signer leurs poteries, des ces scooters-frigos distribués qui permettent à des hommes de vendre leur production…  Sans compter les opérations de microfinancement, très réussies, où le taux de remboursement frise les 100%, preuve que les Marocains sont prêts à aller de l’avant.

 

 

Lire notre dossier : « Enquête. L’Amérique et nous » sur :  http://bit.ly/WF96mQ

 

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