Mauritanie. Qui veut la peau du président ?

Le chef de l’État mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, a été blessé par balle samedi 13 octobre dans des circonstances qui demeurent encore floues. Le caractère inopportun de l’incident et l’actuelle vacance de l’Exécutif ouvrent la porte à toutes les inquiétudes. Le point.

 

C’est certainement pour contrer les effets de panique que l’entourage du président n’a eu de cesse de rassurer l’opinion, domestique et internationale, depuis deux semaines. Mohamed Ould Abdel Aziz a d’ailleurs préféré se montrer en personne à la télévision au lendemain des faits, pour garantir que ses jours n’étaient plus en danger, suite à une première opération chirurgicale à Nouakchott. L’homme fort du pays est, depuis, en convalescence dans un hôpital près de Paris “pour des soins complémentaires” d’une durée indéterminée. Aucun intérim n’est prévu pour le moment, la Constitution ne le prévoyant qu’en cas d’“empêchement déclaré définitif”. Selon la version officielle, l’origine du tir relèverait d’une simple erreur d’identification. Une patrouille mobile aurait ouvert le feu sur le convoi présidentiel qui le ramenait d’un séjour de repos dans le désert. Les forces en stationnement sur ce poste de contrôle situé à 40 km de la capitale n’auraient pas été informées du passage du président, qui roulait ce jour-là en véhicule banalisé. Version confirmée par le président et même par les officiers de l’armée. 

 

Crispations

Malgré les assurances à répétition de l’Exécutif, les spéculations vont bon train chez notre voisin. Une version alternative des faits, basée sur des témoignages, alimente la thèse de la tentative d’assassinat. Selon cette rumeur, une voiture aurait dépassé le convoi en tirant dans la direction des sièges passagers. De quoi nourrir tous les fantasmes sur une volonté de déstabilisation politique, thèse séductrice dans un pays dont l’histoire récente est jalonnée d’une série de coups d’Etat et où certaines factions de l’armée nourrissent leur hostilité à l’égard de Abdelaziz. Si tout semble être revenu à la normale depuis l’incident, ce qui discréditerait cette thèse, l’angoisse gagne du terrain dans le pays. La Coordination de l’opposition démocratique (COD), pourtant la plus déterminée des forces de l’opposition, a appelé à “la discrétion en ces circonstances malheureuses” et a ajourné toutes activités contestataires jusqu’à nouvel ordre. La presse mauritanienne, elle, a choisi la carte de la suspicion, n’ayant de cesse depuis une semaine de décortiquer les circonstances de cet événement “surréaliste”, que certains qualifient sans détour d’“attentat”. Vraiment pas de quoi calmer les esprits.

Pas plus que ne l’est l’ombre d’AQMI, qui pourrait selon certaines versions être impliquée dans la fusillade. Cette thèse plus précise, plus sombre, n’en est pas moins légitime étant donné le lourd passif de l’organisation terroriste en terre mauritanienne : attaques contre des casernes mauritaniennes, assassinat d’un ressortissant américain, enlèvement et assassinat de ressortissants français. De plus, la nébuleuse du désert a depuis longtemps proféré des menaces de mort à l’encontre du président en réponse à la “guerre par procuration” – entendre “pour le compte de l’impérialisme occidental français” – qu’il mène contre le terrorisme sahélien. L’événement intervient d’ailleurs alors que Paris ne cesse de mettre en garde contre la croissance de la menace terroriste dans le pays et qu’un redéploiement de l’armée française dans la région est en cours.

 

Mauvais timing

Le déficit d’information et le discours (trop) rassurant de l’Exécutif ont clairement pour effet d’alimenter toutes ces thèses conspirationnistes. Mais comment pourrait-il en être autrement dans un Etat menacé intérieurement depuis plusieurs années et où tous les regards sont tournés vers les malheurs du voisin malien ? L’implication d’AQMI et de ses alliés dans l’insurrection du Nord-Mali fait peser la menace d’une déstabilisation durable de tous les pays frontaliers. Mais la Mauritanie, pourtant alliée du Mali et compagnon de douleur dans la lutte contre le terrorisme, rechigne à participer à l’intervention internationale autorisée mi-octobre par le Conseil de sécurité de l’ONU. Comme si garder ses distances avec la crise malienne allait offrir une accalmie à Nouakchott. Avec déjà 100 000 réfugiés maliens amassés à sa frontière et un Exécutif en vacance suite à une mystérieuse fusillade, les autorités auront beau faire : la Mauritanie est plus que jamais liée au destin de son voisin, pour le meilleur et pour le pire.

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