Depuis son ouverture en avril, le succès du premier magasin marocain dédié au commerce solidaire ne s’est pas démenti. Plongée dans un modèle économique qui cherche à donner un nouveau souffle aux petits producteurs.
Boulevard des FAR, quartier des affaires à Casablanca. Pendant que l’activité bat son plein dans les bureaux, il suffit d’avancer vers l’arrière-cour d’un immeuble de quatorze étages pour découvrir un petit paradis où les odeurs et la quiétude invitent à flâner à travers les étals. On est dans le premier magasin de commerce équitable, lancé par Maroc Taswiq. Pas moins de 800 m2 dédiés aux meilleurs produits des terroirs marocains. En ce début d’après-midi, ce n’est pas encore le rush, mais dès la sortie des bureaux, il y a habituellement foule dans le magasin. À côté des grands classiques tels que l’huile d’argan ou l’eau de rose, on trouve d’autres délices, comme la confiture de figue de barbarie, le khli3 des provinces du sud, le vinaigre de cidre de la région de Tadla, un masque de soin à base de poudre de cactus, des noyaux de dattes broyés qui font office de café… Le tout à des prix très abordables. Plébiscité par les consommateurs, le magasin s’est par ailleurs rapidement imposé comme fournisseur des hôtels de luxe du centre-ville. Et le meilleur reste à venir, puisque le magasin est en cours de finalisation d’un accord avec l’agent local représentant les navires de croisière accostant à Casablanca, pour faire de cette enseigne un passage incontournable du tourisme culinaire dans la ville blanche. Et cette fièvre du fair-trade est en train de gagner du terrain sous l’impulsion de l’État.
La recette du succès
Eclaboussé par une série de scandales révélés au grand jour par la Cour des comptes, l’Office de commercialisation et d’exportation (OCE) renaît de ses cendres grâce à un lifting total de la structure et la création d’une branche dédiée à l’agriculture solidaire et équitable, Maroc Taswiq. Cette structure, dotée d’un budget de 10 millions de dirhams, mène un programme ambitieux destiné à mettre en valeur les produits du terroir made in Morocco en fédérant un grand nombre de coopératives. “L’idée est de payer les coopératives au juste prix et d’en faire bénéficier le consommateur final”, explique Najib Mikou, président de Maroc Taswiq. Pour y parvenir, les responsables de cette nouvelle entité comptent redéployer le patrimoine immobilier et logistique de l’OCE, longtemps objet de gabegie. “Les locaux de ce premier magasin ont été fermés pendant trente ans et le matériel de la chaîne de froid est resté inutilisé pendant plusieurs années. Nous n’avons fait que réaffecter nos moyens sans recourir à l’aide de l’Etat”, souligne Najib Mikou. Résultat, un premier magasin sera lancé en avril 2012 avec pour objectif de permettre aux coopératives de vendre leurs produits à des prix attractifs. Le succès rencontré est tel que 350 coopératives sont déjà conventionnées avec Maroc Taswiq, et plusieurs magasins solidaires verront le jour d’ici la fin de l’année, notamment à Mohammedia, Agadir, Rabat et El Jadida. Mais au-delà de ces considérations d’ordre économique, il convient de noter que le projet a été également dicté par des raisons politiques. En effet, la fragilité du tissu social rural constitue une véritable bombe à retardement. “Ces produits sont notre unique richesse, il faut développer ce commerce parce que la stabilité de nos campagnes, qui comptent des millions d’habitants, en dépend”, affirme Najib Mikou.
Consommer utile
Alors concrètement, comment Maroc Taswiq a-t-elle pu séduire les coopératives ? La valorisation et le marketing ont toujours constitué le talon d’Achille des produits du terroir. Ainsi, cette branche de l’OCE a fait le choix d’agir au niveau de la valorisation des produits, en modifiant leurs identités visuelles et leur packaging, tout en compressant leurs coûts de revient. Pour cela, Maroc Taswiq a lancé des appels d’offres pour trouver des fournisseurs d’emballages, d’étiquettes et autres contenants pratiquant des prix très compétitifs. “Pendant des années, nous avons payé très cher des emballages de qualité le plus souvent très moyenne. Ça se répercutait sur le prix final des produits, qu’on avait du mal à écouler”, explique ce petit producteur, membre d’une coopérative dans la région de Zagora. Par ailleurs, pour ne pas alourdir la trésorerie des coopératives, l’office public leur accorde un délai de paiement de trois mois. Enfin, pour compresser au maximum les coûts de revient, une stratégie très efficace est mise en place en aval : des véhicules sillonnent le pays jusque dans ses coins les plus reculés, pour collecter les différents produits directement à la source, débarrassant ainsi les producteurs du problème de transport, dont le prix oscille normalement entre 1,50 et 2 DH par kilo de marchandise. Et dès que le chiffre d’affaires des ventes dépasse les 200 DH, plancher fixé par Maroc Taswiq, les sommes sont reversées aux coopératives. “C’est une somme qui peut paraître dérisoire. Pourtant, pour des dizaines de milliers de familles, il s’agit de leur principale source de revenus”, nous confie Khadija El Anzar, la gérante du magasin.
Fair-trade ?
Si le commerce équitable peut constituer une alternative, certaines coopératives n’hésitent pas à recourir à des pratiques pour le moins inéquitables, qui nuisent au développent du secteur et faussent les prix. En effet, bénéficiant d’un statut les exonérant de l’impôt des patentes, de la taxe urbaine, ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée, certaines coopératives n’hésitent pas à “tricher” sur les marchandises qu’elles vendent à prix fort en ne faisant pas bénéficier les petits paysans des ventes de leurs produits. Matières premières de mauvaise qualité, fabrication des produits en absence des règles d’hygiène, manque de traçabilité, voire rachat de matières premières et spéculation sur les prix… sont autant de pratiques qui faussent la règle du juste prix. “Normalement, le kilogramme d’amlou coûte entre 200 et 230 DH. Mais certains spéculateurs achètent les graines d’argan en dehors de la saison de cueillette ou quand la récolte n’est pas bonne, et imposent leurs prix par la suite. D’autres coopératives, elles, cassent les prix en réduisant les coûts et en sacrifiant la préparation à l’ancienne. De ce fait, nous sommes parfois lésés”, raconte Aïcha Ahifi, présidente d’une coopérative spécialisée dans la commercialisation de l’huile d’argan dans la région d’Essaouira, qui emploie une quarantaine de femmes. Devenue courante, la consommation de produits labélisés bio ou du terroir attire de plus en plus les classes moyennes à fort pouvoir d’achat. Mais arrivés sur les étals de certains magasins spécialisés, ces produits sont vendus à des prix faramineux qui ne bénéficient pas aux paysans. Pour corriger ces injustices, le personnel de Maroc Taswiq n’hésite pas à se déplacer sur le terrain pour vérifier la qualité des produits et veiller à l’homogénéité des prix entre les différentes coopératives. Dans le but de mieux accompagner les producteurs, un projet de loi qui vise à faire entrer les petits producteurs dans le capital de Maroc Taswiq a été déposé au parlement. Et ce n’est que le début…
Expansion. Saveurs sans frontières Pour attirer les consommateurs étrangers et booster les ventes à l’international, Maroc Taswiq joue la carte du commerce électronique en misant sur une plateforme Web offrant une plus grande visibilité aux produits du terroir marocains. Mais pour accéder au marché international de plus en plus exigeant, ces produits ont besoin de certifications, sésames indispensables pour figurer sur les étals des marchés étrangers. Pour aider les coopératives à obtenir ces certifications, le programme Taswiq les assiste en leur apportant le savoir-faire et le matériel liés au traitement et à la sécurité sanitaire des produits avant d’affronter l’audit des cabinets internationaux. Par ailleurs, pour mieux se positionner à l’export, Maroc Taswiq ambitionne de s’adosser à des groupements ou ONG mondiaux spécialisés dans le commerce équitable comme Oxfam, et profiter de leur réseau de distribution. |
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