Phénomène. Le temps des populistes

Sous prétexte de parler au peuple, des leaders politiques se donnent en spectacle, multipliant les déclarations et les actions coup de poing dans les médias. Zoom sur une tendance de plus en plus marquée.

Populisme, le mot est de nouveau à la mode partout dans le monde et le Maroc ne fait pas exception. Il sert généralement à désigner des politiques à la langue bien pendue ou qui ne s’embarrassent pas de règles protocolaires ou de bienséance sociale. Leurs adversaires les accusent de “déprécier l’action politique” et de “flatter l’ego du petit peuple au dépens de l’élite bien pensante”. Eux s’en défendent et plaident des notions comme la proximité, la transparence et la franchise. Mais d’abord, de qui parle-t-on ? Les populistes sont, en majorité, des hommes politiques appartenant à différents bords… mais pas seulement. Depuis quelques années, des acteurs associatifs, des artistes et même des prédicateurs religieux leur disputent la vedette. “Le populisme est une notion universelle assez mal cernée, même en Europe. On peut cependant parler d’acteurs publics qui assurent le spectacle médiatique et dont le discours tourne autour d’une opposition des classes. Il touche, d’une manière ou d’une autre, le grand public”, indique ce politologue.

 

Benky show

Dans le classement des “show-men” marocains, Abdelilah Benkirane occupe naturellement une place de choix. Le Chef du gouvernement a un style qui détonne dans le microcosme politique marocain. Le leader partisan, qui recevait les journalistes dans sa chambre à coucher, n’a pas beaucoup changé, finalement. Ses envolées oratoires, son humour grossier, son style négligé et ses attaques contre ses adversaires assurent toujours le buzz. Mais depuis quelques semaines, l’islamiste en chef doit composer avec un concurrent de taille : Hamid Chabat. Le nouveau secrétaire général de l’Istiqlal est un spécialiste de la surenchère médiatique. N’avait-il pas osé traiter Mehdi Ben Barka de criminel sanguinaire, qualifier les enquêteurs de la Cour des comptes de terroristes et élever sa ville, Fès, au rang de cité sainte au même titre que La Mecque et Al Qods ! Entre les deux, plusieurs autres personnalités publiques se démènent pour décrocher leur quart d’heure de gloire. Elles sont bien obligées de suivre pour espérer grappiller un petit bout d’espace médiatique, et donc de visibilité et d’influence. Citons à titre d’exemple Abdelaziz Aftati, député rebelle du PJD, ou encore Abdelhadi Khairate, dirigeant de l’USFP. Porté par son enthousiasme, ce dernier n’avait pas hésité, lors d’un meeting partisan, à accuser le prince Moulay Hicham d’avoir illégalement bénéficié de prêts sans garanties de la part du CIH. Contre toute attente, le cousin de Mohammed VI porte plainte et oblige le dirigeant ittihadi à se confondre en excuses, prétextant “l’inexactitude de ses informations”.

 

Le diktat du buzz

Abdelhadi Khairate n’avait pourtant pas le choix. Depuis le 20 février, la règle est la même pour tout le monde : pour mériter son nom sur les Unes des journaux, il faut désormais faire le buzz. Au lendemain de la constitution du gouvernement, les ministres de l’équipe Benkirane se sont par exemple surpassés sur ce registre. A ceux qui affirmaient leur intention de rester dans leurs modestes maisons respectives, d’autres répondaient par des déclarations de patrimoine spontanées (et assez approximatives). Le ministre de l’Equipement avait même suscité une mini-crise gouvernementale en publiant la liste des bénéficiaires des agréments de transport. Son collègue de la Communication était allé jusqu’à menacer de démissionner si les chaînes publiques continuaient à passer des publicités pour les jeux de hasard. Depuis, plusieurs personnalités publiques se sont relayées sur la scène du théâtre populiste national.

Comment expliquer un tel engouement ? Plusieurs éléments peuvent aider à cerner ce phénomène. Il y a d’abord le grand retour de la rue. Depuis le déclenchement du Printemps arabe, le peuple est à nouveau chouchouté et convoité par les politiques. Petit à petit, même les plus récalcitrants parmi les responsables politiques abandonnent leurs mots savants et leurs manières raffinées pour ressembler un peu plus à ceux qu’ils sont censés servir et représenter. “Rappelez-vous que vous ne seriez pas arrivés là où vous êtes sans le soutien du peuple. Restez donc proche de lui et à l’écoute de ses doléances”, avait récemment recommandé Abdelilah Benkirane aux cadres de son parti. Puis il y a les médias. Qu’ils soient classiques, électroniques ou interactifs (Facebook, YouTube, etc.), ils sont complices de cette montée du spectacle politique. Les acteurs publics ont en effet rarement été sollicités à ce point. Désormais, un ministre se laisse facilement filmer par des manifestants dans la rue et répond sans problème aux questions de quelques blogueurs anonymes. Le foisonnement de titres électroniques a également forcé certains acteurs publics à se surpasser pour ne pas passer inaperçus. C’est le cas de Cheikh Nahari, célèbre prédicateur oujdi, actuellement poursuivi pour appel au meurtre contre le journaliste Mokhtar Larhzioui. Sans les journaux électroniques et les réseaux sociaux, le cheikh de l’Oriental serait sans doute resté un orateur anonyme. Aujourd’hui, il est soutenu par des milliers d’internautes et son nom est référencé sur les principaux moteurs de recherche de la planète.

 

Hypocrisie politique

Se pose alors une question : cette montée du populisme est-elle sans conséquence ? Rien n’est moins sûr. Le buzz est par définition éphémère. Certes, il sert à intéresser un peu plus “les masses populaires” à la chose politique, mais il ne propose pas de remèdes à ses (nombreux) maux. Il procure, aussi bien aux politiques qu’à leurs fans, une satisfaction de courte durée qui fait oublier, momentanément, les réels débats de fond. Le spectacle politique renforce ce que les spécialistes de la communication appellent désormais “la peopolisation de la politique”. Au lieu de s’intéresser à la confrontation des idées et des programmes, on s’intéresse à la vie privée et à la personnalité des acteurs politiques. Est-ce condamnable pour autant ? Pas vraiment. Le système de communication politique actuel repose sur une triple hypocrisie selon cet historien des médias. Les politiques prétendent défendre un programme, alors que c’est eux-mêmes qu’ils vendent avant tout. Les lecteurs (et les téléspectateurs) disent manquer de débat de fond, mais s’arrachent les Unes sur la vie privée et les polémiques politiques. Quant aux médias, inutile de leur reprocher d’offrir un produit adapté au public d’aujourd’hui.

 

Histoire. Basri, Ziane et les autres

Le Maroc n’a jamais vraiment manqué de voix populistes. Bien avant le Printemps arabe et les manifestations du 20 février, des responsables partisans et politiques assuraient déjà le show. Au panthéon du spectacle politique, citons l’exemple de Driss Basri. Les passages de l’ancien ministre de l’Intérieur au parlement sont, à ce jour, largement partagés sur Internet. Sa recette : un mélange d’autoritarisme, de sarcasmes et d’expressions du terroir, à mille lieues de l’image du responsable politique lisse et raffiné de l’époque. Autre grand nom du populisme made in Morocco : Mohamed Ziane, patron du Parti libéral marocain. Pendant de longues années, l’homme est devenu célèbre grâce à ses sorties médiatiques et ses déclarations tonitruantes à la presse. Cela l’a-t-il pour autant aidé à devenir plus populaire ? Rien n’est moins sûr. Sa formation politique occupe toujours une place marginale sur l’échiquier politique marocain.

 

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