L’école marocaine fabrique des bigots

Smyet bak ?

Omar Ben Houcine.

Smyet mok ?

Rkia Bent Mohamed.

Nimirou d’la carte?

E198231.

Vous venez de remporter le prix littéraire de La Mamounia. Entre nous, le fait que votre éditrice Layla Chaouni figure parmi le jury, ça pose un petit problème de conflit d’intérêt, non ?

Sincèrement, de source certaine, Layla Chaouni était la dernière à voter. J’avais déjà la majorité des voix au moment où elle l’a fait.

Lors de la remise du prix, vous avez appelé les candidats en lice (Fouad Laroui, Saphia Azzeddine, etc.) à persévérer dans l’écriture… Vous pensez qu’ils ont encore des progrès à faire ?

En fait, je m’adressais aux candidats qui présentaient leur premier livre, certainement pas à Fouad Laroui ou à Saphia Azzeddine qui sont des écrivains confirmés. Cela dit, je leur dédie à tous le prix. C’est nous tous qui avons gagné, et je partage ma récompense.

Et les 200 000 dirhams gagnés, vous comptez les partager aussi avec les autres candidats?

(Rire) C’était une façon de parler…

A ce propos, la sélection était plutôt hétéroclite, composée de vieux routiers et de débutants. Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que le jury est mieux placé que moi pour répondre. Mais il doit y avoir plusieurs explications, notamment le fait que la production littéraire au Maroc soit assez réduite. A quoi cela est dû ? Au statut de l’écrivain dans notre pays, qui ne peut pas vivre de son métier. Tenez, moi, je suis en tête des ventes dans la catégorie littérature francophone. Pourtant, ça ne me rapporte pas plus de 20 000 dirhams par an…

Là, ça devrait aller mieux avec les 20 patates. Vous comptez en faire quoi ? Les donner à une association caritative, comme l’a fait Mahi Binebine, votre prédécesseur ?

Ah moi, je ne suis pas Mahi (rires). Je suis un simple enseignant dans un village perdu dans l’arrière-pays. Vous connaissez le proverbe qui dit “qui paye ses dettes s’enrichit” ? Eh bien là, je vais m’enrichir…

Il paraît que vous êtes allergique aux écrans d’ordinateur. Ce n’est pas un peu problématique quand on est écrivain ?

C’est vrai, j’ai une allergie aiguë aux rayons de l’écran. Du coup, je ne peux pas rester trop longtemps devant un ordinateur : je ne peux pas dépasser une heure le matin et une heure l’après-midi. Alors je travaille à l’ancienne, avec un papier et un crayon. Ensuite, ma femme tape tout ça à l’ordinateur. Moi je relis et je corrige…

Vous êtes aussi allergique au téléphone selon la légende. C’est vrai ?

En fait, pendant un an, je n’avais plus de téléphone, parce que ça ne me créait que des ennuis. Entre ceux qui m’appelaient pour que je corrige leur thèse, ceux qui me demandaient de préfacer un livre, les journalistes… je ne m’en sortais plus, je ne trouvais plus le temps d’écrire.

Vous faites quoi de vos journées à Tahannaout, dans la région de Marrakech ?

Durant mon temps libre, je me promène à bicyclette, je lis, je réfléchis. C’est ici, au calme, que je suis le plus productif. J’ai besoin de silence pour écrire, et là, j’en ai à gogo.

Mohamed Morabiti habite à Tahannaout, où il a créé un atelier de peinture, où se rendent souvent Mahi Binebine et Abderrahim Yamou. Vous êtes le d’Artagnan de la bande ?

Non, je ne fais pas partie de la bande. J’ai beaucoup d’amitié pour Morabiti, mais je suis un solitaire dans l’âme.

Un solitaire qui n’aime pas les mondanités non plus. Ça va, ce n’était pas trop dur le week-end passé à La Mamounia ?

On va dire que c’était supportable, j’ai resisté (rires).

Vous qui êtes prof dans le civil, vous n’êtes pas tenté de mettre une tarte aux gamins indisciplinés de temps en temps?

Non, sincèrement. Si jamais je le faisais, les gamins auraient peur de moi. Or je préfère qu’ils m’aiment.

Vous savez ce qu’a dit Machiavel. Dans l’idéal, il vaut mieux être craint et aimé à la fois…

Non, vraiment, si la violence entre en jeu, la relation est gâchée. L’amour me suffit largement.

On dit que vous ne portez pas les Fassis dans votre cœur. Qu’est-ce qu’ils vous ont fait ?

J’ai grandi dans un village du Haut-Atlas. Pour les gens originaires du coin, les Fassis sont des gens qui, comme on dit chez nous, kalou l’blad (ils ont mangé le pays)… Et puis, remarquez, l’élite de Fès a toujours eu une dent contre les gens de Tahannaout, parce qu’en 1959, Abdelaziz Ben Driss Amraoui, un des leaders de l’Istiqlal, a été assassiné dans notre village par des radicaux de gauche.

Quand vous étiez jeune, vous étiez un tombeur avec vos yeux verts ?

Ah non ! Plus jeune, j’en étais au stade des besoins primaires, j’avais juste besoin de manger. Je ne compte pas les fois où je me suis endormi le ventre vide. Je ne vais pas dire que je suis issu d’une famille misérable, pour ne pas faire misérabiliste justement, mais on était très pauvres. Il m’arrivait de marcher plus de 10 kilomètres par jour pour me rendre à l’école, sans avoir rien mangé…

Bon là, ça va, vous avez l’air de bien manger hamdoullah…

Oui, j’ai pas mal grossi ces derniers temps.

Votre “patron”, Mohamed El Ouafa, ministre de l’Education, souhaite empêcher les professeurs de donner des cours particuliers. Ça vous énerve ?

Non, pour la simple raison que je n’en donne pas. Et puis, je pense mettre un terme à ma carrière dans l’enseignement. Je voudrais prendre ma retraite de manière anticipée. Pourvu qu’ils acceptent parce que ce n’est pas évident. Si ça se passe comme je le souhaite, je pourrais me consacrer exclusivement à l’écriture.

Ok professeur Nedali. Pourriez-vous nous donner une note sur 20 à l’enseignement public marocain ?

Ah… une note sur 20 (dubitatif). Je pense qu’il n’aurait pas la moyenne. Et le pire, c’est que la situation ne va pas en s’arrangeant. L’école marocaine est une fabrique de bigots. On trouve de plus en plus d’établissements scolaires dirigés par d’anciens professeurs arabophones et obscurantistes. Ce n’est pas comme ça qu’on va sortir de la crise.

 Antécédents

  •  1962. Naissance à Tahannaout, près      de Marrakech
  • 1985. Est nommé instituteur à Tinghir
  • 1991. Obtient sa licence en lettres modernes à l’université de Nancy, en France
  • 2004. Publie Grâce à Jean de la Fontaine
  • 2005. Reçoit le grand prix Atlas pour son roman Morceaux de choix
  • 2012. Remporte le Prix littéraire de La Mamounia pour Triste jeunesse (Ed. Le Fennec).

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