Banques. La tentation du Halal

Le premier établissement islamique du royaume entrera en activité au plus tard en 2013. Une véritable victoire politique pour le PJD, qui ouvre ainsi de nouvelles perspectives pour l’économie du pays. Avant-goût.

Ouvrir le marché bancaire marocain à la finance islamique, Abdelilah Benkirane en rêvait. Dans sa campagne électorale, le parti du Chef du gouvernement en a même fait une de ses mesures  phares, qui devraient résoudre le problème de liquidités du pays, mais aussi (et surtout) booster la croissance du PIB d’au moins 2 points. Aujourd’hui à la tête du gouvernement, l’islamiste en chef du royaume, surfant sur un contexte de crise, est en passe de réaliser son rêve, coiffant au poteau tous les opposants à cette déferlante verte venue du Moyen-Orient. Benkirane développe un argumentaire qui tient la route : se connecter au réseau de la finance islamique, c’est créer un pont avec un marché bancaire qui ne connaît pas la crise, qui croît à deux chiffres tous les ans et qui brasse quelque 1000 milliards de dollars d’actifs financiers tous les ans. C’est aussi la meilleure manière d’attirer les pétrodollars, au moment où les flux d’investissements en provenance d’Europe se réduisent comme peau de chagrin.

 

Dollars à volonté

Belkacem Boutayeb, consultant en finance islamique et ex-directeur de l’international du groupe saoudien Dar Al Mal Al Islami à Genève, ne dit pas autre chose. Pour lui, l’ouverture d’une fenêtre islamique au Maroc pourra “attirer jusqu’à  5 milliards de dollars d’IDE sur les trois prochaines années”, soit près de la moitié des flux d’investissements drainés en 2011 par exemple. Face à un tel argumentaire, les réticences du super-wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, ne valent plus un kopeck, lui qui injecte toutes les semaines entre 50 et 70 milliards de dirhams dans le circuit bancaire pour combler les trous de trésorerie de ses protégés, et qui voit tous les jours son stock de devises fondre comme neige au soleil. Une situation alarmante dont la solution ne se trouve plus dans une Europe malade, mais chez nos frères aux turbans noirs. Leur force de frappe financière n’est plus à démontrer et leur manière de faire est très populaire au Maroc. Selon les résultats d’une récente étude réalisée par le cabinet international Islamic Finance Advisory & Assurance Services, 94% des Marocains se disent “favorables à la finance islamique”. Mieux, 7 personnes sur 10 se disent même “prêtes à investir dans des produits d’épargne conformes à la Charia”. Dans un pays où près de la moitié de la population boude encore le système bancaire classique, cela s’appelle un plébiscite. Et c’est aussi une caution morale que cha3b donne au Chef du gouvernement dans sa tentative d’islamiser le monde très feutré des cols blancs de l’avenue Hassan II. 

 

Bousculade à Rabat

Sûr de lui et du soutien du peuple, Benkirane avait entamé les démarches de prospection des banquiers du Golfe avant même la formation de son gouvernement. En décembre 2011 déjà, l’islamiste en chef avait reçu Khalid Bin Thani Al Thani, président de Qatar International Islamic Bank (QIIB) et vice-président du patronat qatari. Les rencontres avec les responsables des banques islamiques du Moyen-Orient se sont depuis accélérées. Aujourd’hui, ce sont plus d’une douzaine de demandes d’agrément qui se trouvent sur le bureau du gouverneur de la banque centrale, Abdellatif Jouahri, qui a toujours résisté à cette vague verte, prétextant que le “Maroc n’a pas besoin de nouvelles banques, les huit établissements déjà en place répondent à tous les besoins de l’économie”. Parmi les prétendants, le groupe saoudien Al Rajhi, Kuwait Finance House, Dubai Islamic Bank, le Bahreini Albaraka, Islamic Bank of Britain… Des mastodontes de la finance “verte”, qui opèrent dans les pays du Golfe, dans les places émergentes d’Indonésie ou de Malaisie, et même au cœur de la City de Londres. Mais tous les pronostics semblent pencher en faveur de Faisal Islamic Bank, un des géants de la banque islamique dans le monde, dont l’actionnaire de référence n’est autre que la famille régnante d’Arabie Saoudite. Benkirane et ses équipes avaient tenu plusieurs rencontres avec les actionnaires du groupe financier. La dernière en date est très récente, et date du 25 septembre. Son objet ? “La discussion des modalités concrètes d’investissement au Maroc”, selon les bruits de couloirs. Une nouvelle qui risque de ne pas plaire aux autres amis du royaume. Car sur toutes les demandes déposées, une seule sera retenue dans un premier temps. Le gouvernement veut  y aller mollo, pour ne pas bousculer l’ordre établi dans le secteur. “Nous avons pensé qu’il est préférable de commencer avec une seule institution de finance islamique, pour évaluer de près l’expérience”, explique le ministre des Affaires économiques, Najib Boulif, à l’agence Reuters. “Si l’expérience réussit dans les six mois, plus rien ne devrait nous empêcher d’autoriser plus de prêteurs islamiques à investir au Maroc”, poursuit  l’économiste en chef du PJD, comme pour rassurer les insatisfaits.

 

Des fqihs-banquiers

Pour préparer l’entrée de cette nouvelle génération de banquiers en jilbab, Bank Al-Maghrib a dû mettre à jour sa loi bancaire, corpus de textes réglementaires qui font office de Bible du secteur financier. Un nouveau chapitre traitant des banques islamiques s’y est rajouté et le projet est aujourd’hui entre les mains du gouvernement, qui devrait le valider en Conseil du gouvernement, avant de le soumettre au parlement. Un vote qui se fera lors de l’actuelle session parlementaire. Objectif : délivrer la première autorisation début 2013. Dans ce texte de loi, dont des bribes ont été publiées dans la presse, on apprend que ces banques ne porteront pas le label “islamique”, mais seront nommées “banques participatives”. Pourquoi ? Simple raison de com’, nous dit ce cadre de la banque centrale : “Si ces banques portent le nom islamique, cela voudrait dire que les autres banques, les classiques, ne sont pas islamiques. Ce qui est délicat à assumer”. Un jeu de mots qui rappelle celui des produits “halal”, lancés en 2007, et appelés pudiquement “produits alternatifs” pour ne pas créer la confusion. Mais au-delà de la forme, les autorités monétaires posent également des conditions drastiques à l’exercice des nouveaux venus. Pas question de laisser la future banque islamique entre les mains d’étrangers, 51% de son capital devra être détenu par des investisseurs locaux. Et en plus du contrôle légitime de Bank Al-Maghrib, la future banque verte devra répondre de ses actes devant un charia board 100% marocain, un comité de surveillance composé de ouléma chargé de contrôler la conformité des produits bancaires aux préceptes de l’islam et valider… ses campagnes de com’ ! Voilà qui ouvre des perspectives à un Zemzmi en mal de reconversion…

 

Produits alternatifs. L’expérience avortée

La finance marocaine n’est pas à sa première expérience islamiste. Dès 2007, Bank Al-Maghrib avait autorisé les banques marocaines à commercialiser des produits halal, dits alternatifs. Mais la sauce n’a pas pris. Sur les huit banques de la place, seules deux ont surfé sur cette vague : la Banque Populaire et Attijariwafa bank, qui a créé une filiale dédiée à cette niche (Dar Assafaa). Pire encore, les produits commercialisés par celles-ci n’ont pas trouvé preneurs, en raison du manque de communication, mais aussi à cause de leur coût élevé, comparé aux produits bancaires classiques. A fin 2011, l’encours des crédits halal distribués par les deux banques dépasse à peine les 800 millions de DH. Rien à voir avec les 650 milliards de DH d’encours de crédits comptabilisés sur la même année. Mais l’entrée de la concurrence venue du Golfe devrait mettre les banques marocaines en ordre de bataille. BMCE Bank a déjà pris ses dispositions en créant cette semaine un département de finance islamique. Et d’autres vont certainement suivre.

 

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