Deux journalistes du quotidien français Le Monde reviennent sur l’histoire de l’ancien patron du FMl et celle du couple qu’il formait avec Anne Sinclair. Une enquête passionnante, qui se lit d’une traite.
Jetons aux oubliettes le sempiternel débat sur la frontière entre la vie privée et la vie publique des hommes politiques : le temps d’un livre, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, journalistes au quotidien Le Monde, envoient valdinguer ce tabou très français pour expliquer le personnage Dominique Strauss Kahn. En 2007 déjà, les deux journalistes avaient tracé un parallèle entre la campagne présidentielle de Ségolène Royal et sa vie d’ex-compagne de l’actuel président, dans le livre La Femme fatale. Pour les deux auteurs, il ne fait aucun doute que pour Dominique Strauss Kahn aussi sa vie privée est étroitement liée à son parcours politique. Les 260 pages du livre Les Strauss-Kahn rappellent à ceux qui ne tarissaient pas d’éloges sur l’intelligence de DSK et qui le voyaient occuper les plus hautes fonctions de l’Etat, que son erreur n’a pas été seulement Nafissatou Diallo, mais une succession d’histoires opaques et d’imprudences déconcertantes. En prologue, les auteurs du livre se défendent de vouloir tirer sur l’ambulance ou encore de vouloir exhaler les miasmes d’une carrière politique défunte. Elles expliquent leur démarche : “En politique, les soubresauts et les angles morts d’un parcours ne se saisissent souvent qu’après coup. Beaucoup n’ont toujours pas compris sur quels malentendus, quels non-dits, quelles dissimulations Dominique Strauss-Kahn a pu s’élever si haut, pour sombrer si vite et si bas.” Pour ceux qui ont un jour défendu la théorie du complot dans l’affaire du Sofitel, faisant de DSK un homme seulement coupable de son désir, voire une victime d’une cabale politico-médiatique, le livre rappelle que “lorsqu’on recolle les morceaux du puzzle, ce qui surprend, c’est plutôt de découvrir les protections dont il a profité”.
“Un jouisseur sans destin”
“Tu sais très bien qu’il ne peut pas être président…”, répondait Nicolas Sarkozy lorsque Alain Minc, son conseiller, le mettait en garde contre l’ombre que pourrait lui faire DSK lors de la course à la présidentielle de 2012. L’assurance du président de droite n’est pas de l’imprudence, il connaît bien DSK et ses failles. Les deux hommes ont de nombreux points communs. Aucun d’eux n’a suivi le parcours classique des hommes politiques français, tous diplômés de l’ENA, et tous deux partagent un même goût du luxe décomplexé. Il n’était pas rare de les voir dîner ensemble au Fouquet’s avec leurs épouses respectives. Nicolas Sarkozy savait que “lorsqu’il s’agit de femmes, plus rien n’a d’importance pour Dominique”. Lors d’un débat qui a opposé les deux hommes en 1995, DSK n’a cessé de fixer la jeune attachée de presse du maire de Neuilly. Les mois suivants, la jeune blonde a reçu des dizaines de textos insistants. Mais la frivolité et l’inconséquence de l’ancien patron du FMI dépassaient tout entendement. Le Tout-Paris savait que DSK avait ses habitudes aux Chandelles ou encore à l’Overside, deux clubs échangistes de la capitale. Plus grave, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin racontent qu’en 2007, “un policier est tombé dans la nuit sur plusieurs voitures arrêtées, non pas au bord, mais au milieu de la chaussée, dans une des allées du Bois (de Boulogne, ndlr). Si on en croit la buée qui voile les vitres, les occupants sont nombreux. Parmi eux, Dominique Strauss-Kahn”. Celui-là même qui, une fois nommé à la tête du FMI, délègue à un certain Fabrice Paszkowski, un riche patron de PME en admiration devant lui, l’organisation de ses soirées libertines lorsqu’il est de passage en France. Le “rabatteur” de DSK a ensuite été poursuivi pour proxénétisme dans l’affaire du Carlton. Mais il faut noter que, déjà à ses débuts, DSK avait été jugé sévèrement par François Mitterrand. “C’est un jouisseur sans destin”, avait estimé le président socialiste. Une prophétie diront certains, un mauvais coup du sort répondent les plus indulgents.
Dallas à Marrakech
Le couple Strauss-Kahn a contribué fortement à alimenter la réputation de Marrakech, haut lieu de rencontre de l’intelligensia française. Les liens de DSK avec le Maroc ne sont un secret pour personne. Quand il a quitté son Agadir natal, qui était loin du faste et des mondanités, son père avait tout perdu dans le tremblement de terre de 1960. Des années plus tard, et grâce notamment à son mariage avec Anne Sinclair, riche héritière, DSK a de nouveau un pied-à-terre au royaume. Celui-ci, situé à Marrakech, est cette fois “somptueux”. Il s’agit d’un riad qui appartenait à l’ex-belle fille de Clint Eastwood et racheté par Anne Sinclair. “Ce sont en fait deux riads, et Anne a vu d’emblée la très belle affaire qui s’offrait : l’ensemble coûte officiellement à peine 500 000 euros. Sollicité par les Strauss-Kahn, l’architecte marocain Elie Moyal a proposé de réunir les deux bâtiments qui composent l’ensemble. Les travaux, à première vue pharaoniques, ont duré deux ans, mais le résultat est spectaculaire”, racontent les deux auteurs. Ce lieu voit défiler la crème des politiques, artistes et autres personnalités influentes : le chanteur et acteur Patrick Bruel, l’homme d’affaires Jean Frydman, le politique Jean-Paul Huchon, l’éditeur Olivier Nora, patron de Grasset… Devant autant de luxe —les cyprès importés d’Italie, la rivière de flacons de parfums, les employés à chaque coin de patio, etc.—, la première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, est inquiète. Elle qui n’ignorait rien du comportement de DSK avec les femmes pensait que c’était plutôt son goût du luxe qui le perdrait. Elle aurait même conseillé à DSK de se méfier de tout ce faste, peu de temps avant de passer un pacte avec celui qui devait conduire le PS à la victoire. “Vous êtes trop riches. Vous avez le droit, c’est de l’argent légitimement gagné par la famille d’Anne, mais quand on est riche, il faut être généreux. Il faut que vous créiez une fondation. Absolument. Trouvez une cause, créez une fondation”, lui a-t-elle alors suggéré. Martine Aubry aura finalement eu le mauvais pressentiment.
Trois questions à Raphaëlle Bacqué, journaliste et auteur du livre Les Strauss-Kahn “DSK ne peut plus revenir sur la scène politique”
Pour comprendre l’homme politique qu’a été DSK, est-il nécessaire de s’intéresser à sa vie privée ? Chacun a droit au respect de sa vie privée. Sauf que quand celle-ci a une telle influence sur la vie publique d’un responsable politique, il est du devoir du journaliste de la révéler. Dans notre livre, vous ne trouverez aucun détail graveleux et nous avons pris soin de ne pas franchir certaines limites. Mais le comportement de DSK le poussait aussi à avoir certaines fréquentations qui le rendaient vulnérables. S’il avait été candidat à la présidentielle, comme il en avait l’intention, je ne doute pas que la presse française aurait enquêté de façon plus complète sur sa personnalité et son comportement.
Dans votre livre vous expliquez comment DSK a pu rebondir après d’autres scandales. Pensez-vous qu’il puisse à nouveau revenir au-devant de la scène politique ? C’est vrai, dans le passé, DSK a toujours su rebondir. Mais cette fois, le scandale a été trop important, trop traumatisant pour la population française, pour que DSK puisse vraiment revenir. Il a dépassé la soixantaine et n’a plus le temps d’attendre que ce traumatisme s’efface. Cela ne l’empêchera pas d’intervenir de temps à autre, sur l’économie ou la crise, mais il paraît improbable qu’il se présente à nouveau devant les électeurs.
DSK entretient-il encore des relations avec l’actuel président de la république ? A ma connaissance, il n’a pas de relations avec François Hollande. Les deux hommes n’ont d’ailleurs jamais été proches. En revanche, certains ministres, comme celui de l’Intérieur, Manuel Valls, continuent de le rencontrer, plus souvent à titre amical que politique. |
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