Les distributeurs d’hydrocarbures montent au créneau et revendiquent le remboursement de leurs créances cumulées auprès de l’Etat. Une ardoise de 15 milliards de dirhams que l’Etat est incapable de payer. Le point.
Les pétroliers qui revendiquent le règlement des arriérés de la compensation, c’est devenu presque un marronnier. Depuis 2006, début de la flambée des cours du pétrole sur le marché international, les distributeurs d’hydrocarbures montent au créneau pour fustiger et faire pression sur un Etat “mauvais payeur”, qui “ne respecte pas ses engagements” et qui laisse traîner des créances. Dans le temps, l’ardoise ne dépassait pas les 5 ou 6 milliards de dirhams. Et c’était considéré déjà comme faramineux. Aujourd’hui, cette même ardoise flirte avec les 15 milliards de dirhams. à ce stade, cela devient insoutenable. Pire, “ce montant aurait pu frôler les 20 milliards de dirhams, si le gouvernement n’avait pas anticipé les tendances du marché international en augmentant le prix du carburant à la pompe en juin dernier”, signale Moulay Abdallah Alaoui, président de la Fédération de l’énergie affiliée à la CGEM. Comment donc en est-on arrivés là ? Et de quoi ces 15 milliards de dirhams sont-ils constitués ?
Calcul de pompiste
Le calcul est très simple. Prenons l’exemple du gasoil. A la pompe, l’mazout est vendu depuis juin dernier à 8,15 dirhams le litre. C’est ce qu’encaisse réellement le distributeur. Mais en réalité, le prix du litre de gasoil est de 11,50 dirhams. Pour que le citoyen ne sente pas le poids de cette charge, l’Etat intervient via la Caisse de compensation et prend en charge la différence. On demande au pompiste de vendre à un prix inférieur au coût réel, avec la promesse de lui verser la différence à la fin du mois. Ces petits 3 dirhams que l’Etat doit payer au litre à chaque distributeur donnent des chiffres astronomiques quand on tient compte de la consommation mensuelle des Marocains. Mais il n’y a pas que les hydrocarbures. Le gaz butane entre aussi dans le calcul, les pétroliers étant en même temps distributeurs de bonbonnes de gaz. Vendue à 40 dirhams, la bouteille de 13 kilos coûte en vérité près de 120 dirhams. Le reliquat (80 DH)) est supporté momentanément par les distributeurs, qui doivent le recouvrer auprès de l’Etat à la fin du mois. Idem pour le fuel industriel qui est subventionné à hauteur de 2000 dirhams la tonne. Ajoutez ceci à cela, et multipliez le tout par la consommation totale des Marocains en gasoil, essence, gaz butane et même en fuel, et vous avez vite des milliards. En gros, cette ardoise de 15 milliards de dirhams que le gouvernement traîne depuis mars dernier est composée en grande partie des subventions aux hydrocarbures, qui comptent pour 60% dans l’ensemble de la créance. Le reste, c’est du gaz.
La patate chaude
Quand il a pris les rênes du gouvernement, Abdelilah Benkirane a hérité d’une ardoise de 14 milliards de dirhams. Un gros montant qui s’est cumulé au fil des mois sans que le gouvernement El Fassi ne daigne le débloquer. Pris en otage, Benkirane et son argentier Nizar Baraka ont décidé d’apurer ce passif, en augmentant le montant des versements mensuels dus aux pétroliers. De 2,5 milliards de dirhams le mois, on est passés à un montant plus important, comme le note Youssef Aherdane, secrétaire général du Groupement des pétroliers du Maroc, le GPM : “L’Etat a totalement apuré le passif de 2011. Les paiements sont devenus réguliers et ont atteint depuis février les 4,3 milliards de dirhams par mois”. Mais pas suffisant pour arrêter l’hémorragie. Car depuis l’investiture du nouveau gouvernement, la conjoncture mondiale se dégrade de plus en plus. Et le prix du baril de pétrole ne cesse d’augmenter sur les marchés internationaux. Le gouvernement, qui tablait dans ses prévisions budgétaires sur un prix du baril ne dépassant pas les 100 dollars, se retrouve aujourd’hui avec un baril à 120 dollars. Fixé à 42 milliards de dirhams, le budget de la compensation a littéralement explosé. En six mois seulement, la Caisse a englouti 80% de son budget, et sera à sec d’ici octobre.
Un milliard d’intérêts
La situation devient donc catastrophique. D’un côté, l’Etat en manque de moyens ne peut aller plus vite que ses capacités financières. De l’autre, les pétroliers qui voient leurs créances gonfler ne peuvent supporter longtemps ce gap dans leur trésorerie. D’autant qu’un opérateur privé n’est pas censé financer les trous budgétaires de l’Etat. Surtout quand ça lui coûte de l’argent, énormément d’argent. “Il faut savoir que les pétroliers se retournent vers les banques pour financer ce gap de trésorerie. Et les banques nous facturent les crédits de 6 à 7% d’intérêts, ce qui va nous coûter cette année pas moins de 1 milliard de dirhams”, explique Youssef Aherdane. Une véritable impasse que seule une libéralisation totale des prix des carburants et du gaz butane pourra résoudre. Chose, encore une fois, impossible dans un pays où toute tentative de toucher au pouvoir d’achat des ménages risque de conduire à une explosion sociale, comme en 1981, ou tout récemment en 2007 à Sefrou. Mohamed Najib Boulif, ministre des Affaires générales et économiques, travaille d’arrache-pied sur la question. Il a promis en tout cas de présenter d’ici début 2013 un projet de réforme de la Caisse de compensation, dont les grandes lignes seront un passage en douce à la vérité des prix, accompagné d’une aide directe aux populations les plus démunies. En attendant la concrétisation de cette réforme, qui risque de prendre beaucoup de temps, le gouvernement essaie de trouver des solutions provisoires pour apaiser les tensions avec les pétroliers (voir encadré)… Comme par exemple l’application de pénalités de retard sur les créances impayées. Une manière de couvrir relativement les charges d’intérêts des pétroliers, et de rassurer au passage les banquiers, qui seront invités à ouvrir les robinets du crédit à tout créancier de l’Etat. Pourtant, cette mesure “généreuse” ne plaît pas aux majors nationaux du pétrole, qui veulent juste une chose : qu’on les rembourse, et vite !
Titrisation. La solution Baraka L’argentier du royaume, Nizar Baraka, est un homme intelligent. Au lieu de trouver des solutions pour régler ses impayés et boucler les trous de trésorerie de ses partenaires pétroliers, il leur propose tout simplement de vendre leur dette à d’autres gens, et d’arrêter de lui casser la tête. Le mécanisme s’appelle la titrisation. Et il est assez simple. Au lieu de continuer de faire pression sur l’Etat, les pétroliers doivent consolider leur dû, le dupliquer en titres financiers et le revendre à des investisseurs institutionnels moyennant un taux d’intérêt relativement confortable comparé aux taux pratiqués par les banques. Et l’Etat dans tout ça ? Très généreux, Nizar Baraka se porte garant du remboursement, comme il le fait déjà pour les sorties sur le marché local des bons du Trésor, où à l’international où il s’apprête d’ailleurs à lever entre 700 millions et 1 milliard de dollars. Sauf que l’idée ne plaît pas trop aux pétroliers, qui trouvent tout cela compliqué : “La titrisation n’est pas la solution. En revendant nos créances, on ne fait que reporter le mal, sans pour autant l’éradiquer”, signale le lobbyiste en chef des pétroliers du Maroc, Youssef Aherdane. L’indéboulonnable patron de la Fédération de l’énergie à la CGEM, Moulay Abdellah Alaoui, se veut plus cassant : “La titrisation, c’est une vue de l’esprit”. Baraka, il faut être sérieux ! |
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