Smyet bak ?
Mohamed Ben Bouchaîb
Smyet mok ?
Mahjouba Bent Mohamed
Nimirou d’la carte ?
B 100 581
Arrêté plusieurs fois, vous êtes rodé aux interrogatoires…
Oui, le vôtre est d’ailleurs très gentil comparé à ceux que j’ai subi. Il me donne le temps de m’exprimer (sourire).
Votre boycott systématique des élections s’apparente aux chiens qui aboient pendant que la caravane passe. Est-ce efficace ?
Notre travail en profondeur porte ses fruits puisque nous commençons à convaincre les masses laborieuses. De plus en plus, elles considèrent qu’il y en a marre de ce jeu de dupes que sont les élections et elles identifient désormais les voix vraies qui parlent de politique.
Ces masses laborieuses ont tout de même voté massivement oui pour la nouvelle Constitution…
On ne peut s’attendre qu’à ce genre de résultat quand le roi appelle à voter oui, suivi par les ouléma, les zaouias, bien aidé par les prêches du vendredi et la publicité de l’Etat. On a assisté à un vrai matraquage politique.
Pourquoi maintenez-vous le secret autour du nombre de vos militants ?
Il n’y a aucun secret. Nous sommes autour de 3000.
C’est tout de même peu pour des gens parlant au nom du peuple…
Oui, comparé aux autres formations. Mais cela vient aussi du fait que nous sommes très réservés quant au recrutement. C’est un héritage de la clandestinité, nous sommes restés méfiants.
Vous avez été surpris par le déclenchement du Mouvement du 20 février ?
Je ne m’attendais pas à l’ampleur du mouvement et à la vitesse à laquelle il a pris. Même s’il y avait des prémices au vu des protestations qui avaient déjà lieu dans les villes marocaines autour de la vie chère, de l’eau, etc.
Les jeunes du M20 vous ont donné une leçon de communication avec leurs slogans courts et percutants.
Leur force, c’est effectivement leur communication efficace et leur audace. Mais leur grand défaut est de ne pas avoir accompagné tout cela d’une analyse, d’une culture politique et d’un sens de l’organisation.
Que répondez-vous aux gens qui vous ont accusés d’avoir noyauté le M20 ?
Nos militants ont participé aux manifestations comme les autres. Nous n’avons jamais cherché à placer des slogans radicaux contre la monarchie car ils auraient nui au mouvement en faisant peur à certaines franges de la population.
Vous admettrez tout de même que votre alliance avec Al Adl Wal Ihsane était contre nature.
Nous n’avons jamais eu d’alliance avec eux. Nous nous sommes retrouvés ensemble dans les assemblées et les marches du 20 février au même titre que les autres composantes du mouvement.
Vous vous êtes marié en prison ?
Oui. J’avais prévenu ma femme, lui expliquant que j’avais été condamné à 20 ans de prison et qu’elle ferait mieux de refaire sa vie. Elle a voulu que l’on se marie malgré tout. Le adoul a aussi mis en garde ma future épouse, elle l’a remis à sa place : “Ou nta choughlek ?”
Ce adoul ne devait pas connaître la célèbre formule “Quand on aime, on a toujours 20 ans”.
Non, sans doute pas (rires).
De quoi a-t-on le plus peur sous la torture ?
Ma hantise était de livrer le nom de camarades encore en liberté. Sous la torture, les policiers nous intimaient l’ordre de parler sans nous poser de questions précises. Celles-ci auraient confirmé ce qu’ils savaient déjà et révélé ce qu’ils cherchaient à savoir.
Vous en avez voulu à ceux qui ont craqué sous la torture ?
Non, jamais, je peux les comprendre. Je connais certains qui ont parlé, mais ils n’ont jamais remis en cause leurs convictions. D’ailleurs, aucun des membres du groupe d’Ilal Amam qui ont été arrêtés en même temps que moi n’a demandé la grâce royale.
Quel a été votre premier engagement politique ?
J’ai adhéré en 1972 au syndicat national des lycéens. On s’est mis d’accord pour que la moitié des membres ne passent pas le bac afin que notre cellule clandestine reste active au sein du lycée. Dans notre état d’esprit de l’époque, les études étaient secondaires car la révolution était à nos portes et le nouveau monde était pour demain.
Vous étiez un peu naïf …
Ce n’était pas de la naïveté à l’époque. Hassan II venait d’échapper à deux coups d’état et son régime était très affaibli. Des Ittihadis se préparaient à la révolution en Algérie, d’autres en Syrie et il y avait un bouillonnement social au Maroc. Cela n’aurait peut-être pas tourné à la révolution mais un changement radical était possible.
Vous étiez prêt à prendre les armes ?
Tous les militants de gauche portaient des treillis et on aurait pris le maquis si on nous l’avait demandé. Le Front
populaire de libération de la Palestine (FPLP) nous a d’ailleurs proposé des formations militaires. Nous avons finalement refusé considérant que notre mouvement était avant tout politique.
Un mot sur Abraham Serfaty, fondateur d’Ilal Amam ?
J’ai rejoint l’Ecole mohammadia des ingénieurs parce qu’il y avait une cellule d’Ilal Amam mise en place par Abraham Serfaty. J’admirais cet homme car il était ouvert aux nouvelles idées et se remettait sans cesse en cause. J’étais aussi fasciné par son parcours. Issu d’une famille aisée, il avait fait une croix sur une carrière toute tracée de haut fonctionnaire afin de combattre pour ses idées. Et, en plus, c’était un juif marocain antisioniste.
Vous avez continué à l’admirer après qu’il a dit du bien de Mohammed VI ?
Il se sentait redevable envers le régime qui avait mis fin à son exil. Le Maroc lui manquait énormément et il ne voulait surtout pas mourir en dehors de son pays. Il était donc prêt à beaucoup de sacrifices pour revenir au Maroc. Je n’ai pas adhéré à son discours sur les changements positifs de Mohammed VI, mais je ne l’ai pas jugé pour autant. Cet homme a milité
60 ans, a fait tellement de sacrifices que je refuse qu’on l’accuse d’avoir “vendu le match”. Cela me faisait mal de le voir condamné par certains
de ses anciens camarades.
Il a pourtant fallu attendre sa mort pour que certains militants d’Annahj se réconcilient avec lui.
Tout Annahj Addimocrati était effectivement là pour lui rendre un dernier hommage. J’ai d’ailleurs été de ceux qui ont porté son cercueil. On ne voulait pas que son enterrement soit récupéré par les officiels du régime présents à ses obsèques. On a chanté l’hymne d’Ilal Amam devant eux. Ils n’ont peut-être pas compris les paroles, mais il y avait des sécuritaires présents qui leur ont sans doute traduit (sourire).
|
[/encadre] |
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer